Lors d’une audition parlementaire, en 2019, le commandant des Forces sous-marines et de la Force océanique stratégique [ALFOST], qui était alors l’amiral Bernard-Antoine Morio de l’Isle, avait dit constater une « implantation » étrangère de « plus en plus forte » autour des quatre centres de transmission de la Marine nationale [CTM] assurant en permanence les émissions au profit des sous-marins nucléaires à la mer. Celui de Rosnay [Indre] était le principal concerné, plusieurs achats de terrains agricoles situés dans son environnement proche par des investisseurs étrangers – en particulier chinois – ayant été réalisés.
Plus d’un an après, le projet du groupe chinois Huaweï d’implanter à Brumath [Bas-Rhin] une usine dédiée aux solutions technologiques de réseaux mobiles ne manqua pas de susciter quelques interrogations au regard de la proximité avec plusieurs sites militaires dédiés au renseignement et à la guerre électronique.
Mais ce phénomène n’est évidemment pas propre à la France. Aux États-Unis, les terres agricoles situés près des sites militaires intéressent beaucoup les investisseurs chinois. Au total, ceux-ci y ont acquis 140’000 hectares, ce qui représente à peine 1 % de la totalité des terres appartenant à des étrangers. Seulement, ce n’est pas superfie qu’ils détiennent qui préoccupe les autorités américaines… mais plutôt « la proximité des terrains qu’ils possèdent avec des bases militaires et d’autres installations de sécurité nationale », a relevé Foreign Policy.
Aussi, le comité américain sur les investissements étrangers [CFIUS] a tiré le signal d’alarme et l’administration Biden vient de publier une ordonnance visant à contraindre la société MineOne, liée à la Chine, à revendre les terrains qu’elle possède dans le Wyoming, près de Warren Air Force Base, laquelle abrite des missiles sol-sol stratégiques Minuteman III.
La Suisse est-elle aussi confrontée à cet appétit chinois pour les propriétés situées près des terrains militaires ? C’est ce que suggère un long article du Wall Street Journal, qui s’est intéressé au cas du pittoresque hôtel Rössli, lequel se trouve à moins de cent mètres de la base aérienne de Meiringen, où seront affectés des chasseurs-bombardiers F-35A à partir de 2028.
Cet hôtel a été racheté pour un million d’euros par la famille Wang, originaire de Chine, en 2018. Soit à une époque où la Suisse n’avait pas encore annoncé son intention de se procurer des F-35A.
Plusieurs éléments recueillis par le journal américain sur le compte de la famille Wang sont assez troublants. Ainsi, fils d’un diplomate ayant été affecté en Allemagne dans les années 1960, Wang Jin ne s’est pas beaucoup investi dans son activité d’hôtelier, qu’il a semblé découvrir. Ce qui est en soi curieux au regard de la somme investie pour rependre l’hôtel Rössli. S’il s’exprimait dans un allemand très correct, ce n’était pas le cas de son épouse, Lin Jing.
Quant à leur fils, Dawei, censé étudier dans grande école hotelière de Montreux, il ne savait même pas préparer un café au lait à la mode suisse [on fait d’abord chauffer le lait avant de verser le café, ndlr].
Cependant, une récente enquête mené par la Radio Télévision Suisse [RTS] donne une version différente : ce serait le fils Wang qui aurait acquis l’hôtel en son nom.
Au fil du temps, les employés les plus anciens de l’établissement ont rendu leur tablier, « frustrés par le déclin de l’auberge et agacés de devoir cuisiner des repas pour les propriétaire à partir d’ingrédients chinois » et selon des instructions écrites en mandarin, avance le Wall Street Journal. À partir de 2020, des « travailleurs chinois », dont certains n’avaient pas de permis de séjour, ont commencé à remplacer le personnel local.
En outre, il est apparu que, ayant du mal à s’adapter au climat de la région, les Wang rentraient fréquemment en Chine, y compris lors de la pleine saison touristique.
Ce manège aurait pu durer longtemps… Seulement, après la décision de Berne d’acquérir 36 F-35A, le renseignement américain s’est intéressé de près à la sécurité des bases suisses. Et le cas de l’hôtel Rössli n’a pu que l’intriguer.
D’après le Wall Street Journal, les États-Unis ont exigé de la Suisse qu’elle prenne des mesures pour sécuriser la base de Meiringen, dont l’accès est encore aisé, notamment pour les « spotters ». En clair, « cela signifiait que la famille Wang devait partir ».
Le Service de renseignement de la Confédération [SRC] n’a d’abord pas pris les avertissements sur les Wang au sérieux. Puis, en juillet 2023, la police cantonale a finalement effectué une descente dans l’hôtel.
Le couple a été interpellé, puis condamné à une amende pour des « violations de la loi suisse sur l’industrie hôtelière ». Mais cela été suffisant pour le convaincre de retourner définitivement à Pékin, où, apparemment, il réside dans un quartier très huppé. Le fils s’est volatilisé dans la nature.
Quant à l’hôtel Rössli, il est actuellement en vente pour 1,8 million de francs suisses. Selon le Wall Street Journal, un seul acheteur se serait manifesté : l’armée suisse.
Les Wang étaient-ils des espions ? Aucune preuve ne permet de l’avancer, selon Berne. « En Suisse, on peut venir très près des aéroports militaires, il y a même des routes qui traversent les pistes de décollage. Cela n’a rien à voir avec les États-Unis et les autres pays occidentaux où les aéroports militaires sont très protégés et inaccessibles pour le public. Cela n’a évidemment pas échappé au gouvernement chinois », a cependant résumé Ralph Weber, professeur à l’Université de Bale et spécialiste de la Chine, auprès de la RTS.

