«Nous déversons des dizaines de milliards sur l’Ukraine et nous sommes presque aveugles sur leur destination réelle lorsqu’il s’agit de projets civils. Il faut le reconnaître: nous sommes des donateurs les yeux fermés. Ce qui n’est pas anormal en période de guerre.» L’interlocuteur qui nous avoue cette réalité préoccupante de l’Ukraine est un haut fonctionnaire de la Commission européenne chargé de la surveillance des sanctions économiques et financières contre la Russie.
Il revient justement de Kiev, où les équipes de l’Union européenne suivent de près le départ annoncé, en début de semaine, du ministre de la Défense Oleksiy Reznikov. Même si le président ukrainien Volodymyr Zelensky a remercié ce compagnon de la première heure, aux avant-postes de la résistance de son pays à l’agression russe, le mot «corruption» plane au-dessus de ce remaniement gouvernemental. Un scandale portant sur l’achat d’uniformes à des prix bien trop élevés lui aurait été fatal.
«Sa position devenait intenable. Il a tenté de s’expliquer. Mais les évidences de surfacturation l’ont tué», juge, depuis Kiev, l’analyste Alexandra Filippenko, lors d’un débat sur la chaîne France 24, auquel Blick était convié. Problème: l’armée et les fournitures militaires sont peut-être, aujourd’hui, le secteur le mieux surveillé côté corruption. Car pour le reste…
«La corruption permet d’accélérer les choses»
«Qui dit guerre dit urgence. Urgence alimentaire. Urgence en fournitures de matériels. Urgence de la reconstruction pour démontrer à la population que l’Etat ukrainien fait son travail. Dans ces conditions, réclamer des factures et des reçus, c’est illusoire», juge notre interlocuteur à Bruxelles. Bonne remarque. Comment éviter la corruption? Comment contrôler l’acheminement des fonds en plein conflit, alors que de nombreuses informations, jugées sensibles par les autorités, ne peuvent pas être rendues publiques?
Plus de 77 milliards d’euros d’aide militaire et civile ont été fournis à l’Ukraine depuis l’agression russe du 24 février 2022 par l’UE et ses 27 États membres. Sur ce montant, 25 milliards d’euros ont directement été versés au budget de l’État ukrainien pour payer ses fonctionnaires, régler ses factures, etc.
En théorie, cette aide conséquente doit permettre au gouvernement de Kiev de répondre aux besoins à court terme, comme la réparation des infrastructures énergétiques. Mais qui peut évaluer le prix d’un chantier sous la menace des bombes russes? «Parfois, il faut le reconnaître, la corruption permet d’accélérer les choses, poursuit notre diplomate européen. On doit admettre qu’en temps de guerre, le cash circule davantage, et les 'primes' aussi. C’est une avenue facile à emprunter pour les corrupteurs et les corrompus.»
Richard Werly