Pour les activistes du climat, c'était un coup d'éclat. En bloquant le plus grand tunnel automobile des Alpes le Vendredi saint, ils ont été catapultés à la une des journaux du monde entier. Presque tous les Suisses et Suissesses connaît aujourd'hui le groupe derrière cette action: Renovate Switzerland.
Mercredi soir, cinq jours après ce blocage impressionnant, Renovate Switerzland a proposé une séance d'information en ligne en petit comité par appel vidéo, afin de recruter également de jeunes activistes. Blick s'est connecté lors de cette réunion.
Les militants brossent un tableau sombre
La réunion en ligne a-t-elle été un succès? Dix personnes en tout et pour tout étaient présentes. Ce qui fait plutôt peu. Est-ce étonnant? Pas vraiment, estime-t-on, car la plupart des gens sont agacés par les blocages de routes. Les bloqueurs climatiques l'admettent. «Mobiliser la majorité de la population n'est pas le but, explique la porte-parole de Renovate, Cécile Bessire. Si 1% d'entre elle se joint au mouvement, ce sera considéré comme un succès.» D'où vient ce chiffre? D'après le groupement, lorsque ce but sera atteint, la pression venant de la rue sera telle que les politiques se verront contraints de répondre aux revendications de Renovate Switzerland: déclarer l'état d'urgence climatique et mieux isoler un million de bâtiments en Suisse.
Lors du meeting, Daria a pris la parole. Cette jeune microbiologiste s'était notamment collée sur la route devant le Gothard. Elle brosse le tableau d'un avenir très sombre qui nous menace tous si nous ne faisons pas davantage pour lutter contre le changement climatique: «Il y aura des viols de masse, beaucoup d'homicides, une famine, et une migration de masse.» Nous aurions encore le temps d'empêcher cela, mais «il est déjà presque trop tard», a-t-elle asséné.
Renovate Switzerland ne fait donc que commencer. Les prochains blocages sont en cours de planification. La porte-parole Cécile Bessire ne révèle rien de concret, mais ajoute: «Nous allons continuer avec des actions non-violentes. Chacun et chacune devra se positionner par rapport à la crise climatique.»
Un réseau mondial
Les partisans de Renovate veulent frapper dans les grandes villes comme Lausanne, Genève, Bienne, Berne ou Zurich, a appris Blick. Ils se préparent à des blocages de rues, mais aussi à d'autres actions dans l'espace public.
D'où émane la stratégie de ces radicaux climatiques? Elle est coordonnée au niveau international. Renovate Switzerland est intégré dans un réseau qui va du Canada à la Nouvelle-Zélande, de la Suède à l'Italie: le collectif A22. «Nous sommes ici pour agir, pas pour parler. Nous avons un plan, écrit le collectif sur son site web. Tant que nous respirerons, nous n'abandonnerons pas.»
A22 réunit une douzaine d'organisations qui sont passées à la désobéissance civile. En Allemagne, on y trouve Last Generation (la «Dernière Génération» en français), qui barbouille des œuvres d'art dans les musées avec de la sauce tomate, de la purée de pommes de terre, de l'huile. En Angleterre, Just Stop Oil. Un groupe qui commet des attentats à la peinture contre des entreprises. En France, Dernière Rénovation, une campagne qui perturbe d'importants événements sportifs, se donne pour objectif de déclencher un soulèvement populaire.
Mi-janvier, les délégués de toutes les organisations se sont réunis à Amsterdam. Deux militants de Renovate Switzerland ont fait le voyage depuis la Suisse. L'un d'eux a rapporté en ligne: «Cette rencontre en chair et en os nous a permis de définir dans les grandes lignes la stratégie pour 2023.» Il se dit «très déterminé et motivé» après l'expérience d'Amsterdam. La prochaine réunion devrait avoir lieu dès l'été.
Le Fonds d'urgence pour le climat les finance
Mais qui paie cette immense organisation? La protestation climatique coûte de l'argent. Et il vient surtout des Etats-Unis. Le réseau A22 est en grande partie payé par le Climate Emergency Fund, une fondation californienne qui, selon ses propres dires, soutient les organisations qui «ont ancré la désobéissance civile dans leur stratégie».
Le fonds a été créé et cofinancé par une milliardaire du pétrole: Aileen Getty, petite-fille du tycoon pétrolier Jean Paul Getty. Elle a hérité de son grand-père une partie de sa grande entreprise. Depuis, sa famille n'a plus la main sur l'entreprise.
«Je suis la fille d'une famille qui a bâti sa fortune sur les combustibles fossiles - mais nous savons désormais que l'extraction et l'utilisation de ces substances détruisent la vie sur notre planète», a écrit Aileen Getty dans le journal britannique «Guardian». Selon elle, le moyen le plus rapide d'obtenir un changement dans la société est «l'activisme perturbateur».
30% du budget proviennent des Etats-Unis
Le fonds ne rend pas public le montant exact de l'argent versé au réseau A22. Ce qui est clair, en revanche, c'est qu'une partie de cet argent va directement dans les poches de Renovate Switzerland. Les montants en provenance des États-Unis couvrent 30% du budget du mouvement. Le reste est constitué de dons de particuliers.
Pendant ce temps, la biologiste moléculaire Daria évoque toujours une ambiance de fin du monde durant l'appel vidéo. «Cela se passe insidieusement. Tout ce que nous aimons et chérissons est en danger.» A qui la faute? Selon elle, les politiques sont aussi responsables du fait que beaucoup ne réalisent pas à quel point la planète va mal. Celui qui prédit la fin du monde ne sera plus guère élu au parlement. Il est donc logique que les hommes et les femmes politiques cachent la vérité - «car elle est sombre».
Le gros coup du Gothard a remotivé Renovate Switzerland. «Il n'y a jamais eu autant d'articles dans les médias», se réjouit Daria. Début mai, le groupement organisera un entraînement au blocage. Les militants en herbe devront y apprendre à rester calmes, à ne pas faire de compromis, et ils devront aussi être préparés aux réactions parfois agressives des automobilistes. Car ces blocages sont coûteux, mais aussi très dangereux.
Fabian Eberhard