Parmi les nombreuses thèses qui ont circulé depuis l’explosion de la pandémie du Covid-19 détecté à l’automne 2019 dans la ville chinoise de Wuhan, celui d’un virus artificiel conçu dans un laboratoire a longtemps été écarté par la communauté scientifique international. Jusqu’à ressurgir récemment et prendre de l’ampleur. L’essai du journaliste Jérémy André, Au nom de la science, retrace cette saga terrifiante.
Dans l’histoire récente de l’humanité, l’armée japonaise et son unité 731 en Mandchourie avant le début de la Seconde Guerre mondiale, et les nazis de l’Allemagne pendant la Shoah. Là, ce serait l’armée chinoise au XXIème siècle. Rien n’est prouvé mais le soupçon grandit. Depuis son apparition, le Covid-19 a tué plus de 7 millions de personnes à travers la planète selon un décompte officiel, et sans doute beaucoup plus. La pandémie a engendré une immense vague de disruptions sociales, économiques et politiques dont les conséquences sont loin d’être terminées et qui se feront encore sentir dans les années qui viennent.
Depuis le début, en dépit des demandes répétées de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que de nombreux pays, les autorités chinoises ont régulièrement menti et tout fait pour dissimuler les causes de cette pandémie, usant de techniques de désinformation multiples pour incriminer les États-Unis et l’Occident.
Avec le temps qui passe, il sera de plus en plus difficile de réunir les éléments pour déterminer de façon irréfutable l’origine de ce virus. Est-ce le résultat d’une transmission de l’animal vers l’homme, c’est-à-dire une banale zoonose ? Est-ce une erreur ou une fuite de laboratoire ? Ou bien, beaucoup plus grave, les conséquences d’une manipulation en laboratoire visant à la mise au point d’un virus artificiel qui pourrait servir comme une arme biologique ?
Dans son livre Au nom de la science paru début avril aux éditions Albin Michel, le journaliste du magazine Le Point Jérémy André passe en revue toutes ces thèses. Un travail d’enquête minutieux dont il ressort que loin d’être exclue, la dernière thèse semble prendre corps dans les milieux scientifiques internationaux, mais sans pouvoir être confirmée par manque de preuves.
« Des scientifiques chinois le reconnaissent : le marché [aux animaux de Wuhan] peut ne pas avoir été l’origine de l’épidémie, mais un des tout premiers foyers, explique l’auteur. Dans la même métropole, des laboratoires manipulaient le génome du virus de cette famille. Il ne s’agit pas juste d’une vague coïncidence. Avec l’aide des États-Unis, ces recherches à haut risque portaient sur des caractéristiques singulières apparues pour la première fois avec le nouveau virus. Un accident de laboratoire aurait dû être la première hypothèse à envisager, et l’a en réalité été en privé pour presque tous les acteurs. Qui nous a menti ? Il a fallu trois ans à batailler sur tous les terrains pour faire émerger des documents accablants, longtemps cachés par certains collaborateurs des laboratoires de Wuhan. Révoltés par cette obstruction, des scientifiques crédibles et respectés ont fini par appeler en nombre à une enquête sans concession sur l’origine de la pandémie. »
La France, rappelle Jérémy André, a été étroitement associée à la construction de ce fameux laboratoire P4 de Wuhan, le nec plus ultra de la sécurité biologique. L’Institut de virologie qui l’abritait avait pour « partenaires stratégiques » certains des plus prestigieux acteurs français de la recherche, l’Institut Pasteur et la Fondation Mérieux. Des conclusions hâtives aux États-Unis avaient, dans un premier temps, réussi à détourner l’attention des collaborations américaines à risque avec Wuhan, ce qui convenait parfaitement à l’exécutif français. Cela permettait, par ricochet, d’exonérer toute conséquence possible des collaborations françaises avec ce laboratoire P4.
Souvenons-nous, la propagande chinoise incrimina le pangolin. Puis l’attention se porta sur les chauve-souris. Un temps, Pékin accusa l’armée américaine, puis des produits d’importations congelés. Autant de thèses dont il apparut vite qu’elles visaient à détourner l’attention de la réalité.
Revenons sur la participation de la France, la diplomatie tricolore de même que des chercheurs français avaient émis de sérieuses réserves à ce projet, car Paris savait pertinemment que des coronavirus étaient bien étudiés dans le P4. Ces appels à la prudence n’avaient pas été écoutés, si bien qu’une partie de l’administration française « a poussé à satisfaire les souhaits des Chinois, exigeant entre autres des Français qu’ils adoubent la qualité de la sécurité du laboratoire, tout en y ayant perdu presque tout droit de regard », souligne l’auteur. Le processus est connu : le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, a été l’un de ceux qui ont tout fait pour que cette coopération dangereuse voit le jour, coopération qui s’est avérée funeste pour la crédibilité de la recherche française.
Aux États-Unis, le débat sur l’origine du virus dans les milieux scientifiques a longtemps été paralysé par les accusations brutales, outrancières, sans fondement et même complotises de celui qui était alors le président du pays, Donald Trump. Dès l’origine, tous les regards étaient tournés vers Anthony Fauci, alors âgé de 79 ans et sacré par le New Yorker « Docteur de l’Amérique ». En avril 2020 encore, il estimait que l’analyse du génome était « cohérente avec un saut entre espèces de l’animal à l’homme ».
Quand la rumeur d’un virus sorti d’un laboratoire chinois explose lorsqu’elle est évoquée par le magazine Science, la référence mondiale de l’actualité scientifique, elle est immédiatement dénoncée comme une « théorie du complot » par des « experts ».
Le 31 janvier 2020, le virologue Kristian Andersen répond à un mail de Fauci qui lui faisait part de ses inquiétudes sur ce sujet. Il est nécessaire, explique alors Andersen, de « déterminer quel est l’hôte naturel » de ce virus. Et de balayer du revers de la main des « analyses complètement faussées et erronées » qui « peuvent être ignorées en toute sécurité ».
Mais, en privé, sa réponse à Anthony Fauci est toute autre : « Les caractéristiques inhabituelles de ce virus constituent une part très petite du génome (moins de 0,1 %), donc on doit regarder vraiment de très près toutes les séquences pour voir que certaines de ces caractéristiques semblent [potentiellement] conçues par ingénierie génétique. » Kristian Andersen rejoint ainsi la conclusion préliminaire de ses premiers échanges avec trois autres virologues, Edward Holmes, Robert Garry et Michael Farzan : « Eddie, Bob, Mike et moi-même trouvons tous les génomes incompatible avec les attentes de la théorie de l’évolution. »
« À les suivre, un tel virus ne pourrait pas être apparu par hasard dans la nature, et doit donc avoir été fabriqué ou modifié en laboratoire », pointe Jérémy André. Déjà la possibilité de l’origine artificielle du virus est abordée. En effet, cette idée repose sur une spécificité de ce nouveau coronavirus où il apparaît clairement un clivage à la furine. Il s’agit d’une toute petite partie du génome qui démultiplie la capacité du virus à infecter les cellules humaines et rend donc le virus extrêmement contagieux chez l’homme. Mais le 2 février 2020, Kristian Andersen fait marche arrière et se montre catégorique : les spéculations sur un virus artificiel représentent des « théories cinglées ». La messe semble donc dite.
Or, le contexte est bien celui d’une Chine qui, depuis Mao Zedong, s’est fixée comme objectif de devenir une superpuissance savante pour égaler les États-Unis. Dans ce domaine, la virologie était l’une de ces sciences de pointe sur lesquelles déjà à l’époque les autorités chinoises avaient misé pour devenir numéro 1 mondial. Il est d’autre part clair aujourd’hui que dans l’histoire de l’humanité, la Chine a été une des régions principales d’émergence des grandes épidémies, dont les deux grandes pandémies de la peste du millénaire, la peste noire au XVIème siècle et la peste de Chine au XIXème siècle qui trouvaient leur origine dans l’Empire chinois.
La première épidémie de grippe de 1889-1890 pourrait être aussi née en Chine. C’est confirmé pour la grippe asiatique de 1957 et la grippe de Hong Kong de 1968. Le premier SARS, enfin, est apparu en 2002 dans le Guangdong, grande province au sud de la Chine.
Lorsque l’épidémie du Covid-19 était apparue, la ministre de la Santé de l’époque Agnès Buzyn avait été l’une des premières à sonner l’alarme. Ceci dès la fin décembre 2019. Silence néanmoins dans les milieux dirigeants français sur la fourniture de laboratoire P4 à la Chine par la France, un dossier explosif qui a hanté quatre présidences françaises, de Jacques Chirac à Emmanuel Macron.
L’idée de fournir ce P4 à la Chine était à l’origine celle d’un industriel, le magnat pharmaceutique français Alain Mérieux. Fin 2014, le nouveau président chinois Xi Jinping est en visite officielle en France. Il se rend directement à Lyon pour y rencontrer l’industriel français et rend visite à son homologue de l’époque François Hollande. « Cependant, en avril 2003, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin s’était rendu en Chine en pleine épidémie du premier SARS. À son retour, il avait convaincu le président de la République : l’année suivante, le 9 octobre 2004, Jacques Chirac avait été à Pékin signer en grande pompe un accord de coopération franco-chinois sur les maladies infectieuses émergentes », écrit l’auteur.
Les dés étaient déjà jetés. L’ouverture d’un Institut Pasteur à Shanghai et, moins d’un an plus tard, la construction d’un laboratoire P4 à Wuhan tout comme le lancement de programmes communs de coopération scientifique entre la France et l’Institut de virologie de Wuhan. Les travaux durèrent dix ans car le renseignement français avait freiné des quatre fers : clairement cette coopération pouvait avoir un volet militaire. Le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) suspectait la Chine de vouloir détourner le P4 à des fins militaires ou bien de viser à le dupliquer pour créer un laboratoire militaire. Bien d’autres responsables de l’exécutif français avaient eux aussi manifesté leurs inquiétudes, y compris au sein du ministère de la Défense et de l’Économie où certains étaient chargés de lutter contre l’espionnage. Des diplomates aussi s’étaient déclarés opposés à ce projet.
En dépit de tout, Alain Mérieux parvint à mener le projet jusqu’au bout. Le 23 septembre 2019, sous les dorures et les lustres de l’hôtel de ville de Lyon, le gotha franco-chinois de la recherche et de l’industrie biomédicale fut réuni pour le forum « Confluences franco-chinoises 2019 », organisé par la fondation sinophile de Jean-Pierre Raffarin. Étaient présents le maire de Lyon Gérard Collomb, le nouvel ambassadeur de Chine en France Lu Shaye et, bien entendu, Alain Mérieux. Le résultat fut donc un laboratoire de classe mondiale qui finira bientôt par passer sous le contrôle de l’armée chinoise. Raison invoquée alors pour que la France décide de se retirer. La mal était fait.
Au fur et à mesure que des informations faisant état de la possibilité d’une fuite de laboratoire et d’un virus artificiel se répandent début 2020, ordre de Pékin fut transmis à tous les experts chinois de garder le silence. Shi Zhengli de l’Institut de virologie de Wuhan, avait été la première en Chine à séquencer le virus. Elle aussi fut soumise à une énorme pression pour ne rien publier. Elle passe outre et donne son accord à la publication d’un article dans Nature et New England Journal of Medecine où figurent des extraits de ses recherches. Elle ne dira jamais plus rien. Les chercheurs chinois sont depuis tous censurés.
Mais en Chine, le docteur Zhong Nanshan, une sommité de la pneumologie et une véritable légende dans son pays, revient d’une mission à Wuhan le 18 janvier 2020. Avec ses pairs, il plaide auprès des autorités pour rendre publique l’étendue de l’épidémie, cesser de minimiser la gravité de la situation et prendre des mesures radicales.
L’affaire prend une autre tournure lorsque le 27 janvier 2020, une équipe du laboratoire de biologie de l’université de Nankai à Tianjin (est de la Chine) dépose sur le serveur de prépublication chinois ChinaArchive un article intitulé : « Un site de clivage à la furine a été découvert dans la protéine S du nouveau coronavirus 2019 de Wuhan. » Cette publication, plus tard effacée, ne sera pas reprise ou commenté publiquement ni en Chine ni à l’étranger au moment de sa parution. Mais sa découverte est pourtant au cœur de tous les débats sur le Covid-19. Elle permettra bien plus tard d’alimenter l’idée que la pandémie est le résultat d’un accident de la recherche et la possibilité d’une insertion artificielle dans le virus en question.
En Chine, la répression s’intensifie. L’ancienne avocate Zhang Zhan en est l’un des cas emblématiques. Née en 1983, cette chrétienne de Shanghai était depuis longtemps dans le viseur des autorités pour avoir manifesté seule dans les rues de a ville en soutien aux Hongkongais en septembre 2019. Arrivée le 1er février 2020 à Wuhan, elle est la plus audacieuse des citoyennes journalistes chinoises, documentant les aspects les plus sensibles de l’épidémie, les hôpitaux débordés, le poste de police où a été emmené Li Wenliang, ce lanceur d’alerte qui devait bientôt mourir de la maladie et devenir un véritable héros dans la ville de Wuhan. Elle disparaît en mai 2020. Elle est ramenée à Shanghai et arrêtée formellement le mois suivant. En détention, elle a mené une longue grève de la faim pour protester, mais ses geôliers l’ont nourrie de force et torturée avant qu’elle soit condamnée à quatre ans de prison ferme fin 2020.
Jamais Emmanuel Macron ne s’est exprimé publiquement sur l’origine de la pandémie. Une déclaration seulement le 16 avril 2020 lorsqu’il dit au Financial Times : « Il y a clairement des choses qui se sont passées que nous ne savons pas. C’est à la Chine de les dire, c’est une grande puissance et elle a des moyens d’investigation importants. »
Une mission de l’OMS à Wuhan au printemps est un échec retentissant. Non seulement les autorités chinoises ont imposé la composition de la délégation, mais celle-ci ne peut mener une enquête digne de ce nom sur place. Elle revient bredouille à Genève où elle doit bien dire qu’elle n’a pu recueillir que des informations qui lui ont été remises par les autorités chinoises.
Mais avant cela, Jamie Metzl, un chercheur associé à l’Atlantic Council, un groupe de réflexion américain, diplômé d’histoire de l’Asie, passionné de science, met les pieds dans le plat : « Notre comité s’était rassemblé en février 2020 à Cape Town en Afrique du Sud et j’ai osé évoquer la possibilité d’une origine non naturelle du virus. Je m’attendais à ce qu’on me traite de conspirationniste. Mais au contraire, il s’est avéré que d’autres personnes du comité avaient les mêmes interrogations que moi. »/asl-article-text]
Ces propos font rapidement tâche d’huile et trouvent des oreilles attentives, y compris en France où des chercheurs le contactent. Le 14 mai 2021, dix-huit grands spécialistes des virus et des maladies infectieuses internationaux font paraître dans la revue Science une lettre appelant à « enquêter sur les origines du Covid-19 ».
Finalement, fin août 2021, tombe le verdict de l’évaluation du renseignement américain qui se refuse à trancher et remet aux oubliettes la théorie d’une arme biologique agitée par des personnes « suspectes de répandre de la désinformation ». Mais, comme le souligne Jérémy André, le journalisme d’investigation et le renseignement ne fonctionnent pas du tout selon les mêmes principes que la recherche scientifique. Pour eux, « les informations les plus sensibles peuvent émerger par des voies totalement inattendues, avoir des origines obscures et impures. Une source peut être malhonnête, compromise, manipulatrice, mensongère, mal intentionnée. Et fournir une information ou un document clé. »
Et tous les moyens, ou presque, sont permis pour extirper de tels secrets. Toute la difficulté est ensuite d’évaluer très scrupuleusement la qualité de la pièce obtenue. C’est le problème auquel est confronté aujourd’hui le débat sur l’origine du virus par rapport à un des documents les plus disputés qui aient émergé à ce jour, le projet « Defuse ». Rédigé par le groupe de chercheurs américains Drastic et rendu public le 21 septembre 2021, ce rapport jette un énorme pavé dans la mare. Y figurent en particulier des informations de l’organisation américaine EcoHealth Alliance (EHA) qui proposait très précisément « d’analyser toutes les séquences génétiques de protéine Spike de virus liés au SARS-Cov […] pour y chercher la présence de potentiel sites de clivage à la furine ». Ce rapport met en lumière un gain capital : les chercheurs de ce groupe, Peter Daszak, Ralph Baric et le Chinois Shi Zhengli, cherchaient en fait le SARS-Cov-2 un an et demi avant qu’il n’apparaisse à Wuhan ! Selon ce projet Defuse, ils disent ceci : « Nous introduirons des sites de clivage adéquats spécifiques à l’homme. »
Les chercheurs proposaient donc de ne pas s’en tenir à collecter des virus naturels pour les étudier. Ils voulaient manipuler génétiquement ceux auxquels manqueraient des sites furine pour leur ajouter cette caractéristique, remarque Jérémy André. « Or une partie des tenants d’une origine artificielle du virus argumentent depuis longtemps sur une supposée adaptation du site furine spécifiquement à l’homme. » Voilà qui donne du crédit à une manipulation génétique dans le but de concevoir un virus artificiel.
« Defuse » ne prouve pas que les expériences décrites ont eu lieu à Whuan ni ne constitue la preuve définitive que le SARS-CoV-2 en est issu. « Les plus factuels des tenants de la possibilité d’une origine artificielle se contentent donc de dire que le document confirme l’hypothèse d’un virus manipulé génétiquement. Et que se renforce la nécessité d’une enquête, précise le journaliste du Point. Scientifiquement, l’origine du virus est toujours inconnue. Une origine naturelle reste plausible. […] Cependant, tout porte à croire aujourd’hui qu’il s’agit d’un accident de laboratoire. La coïncidence initiale s’est considérablement renforcée. On ne parle plus juste d’un coronavirus apparu à la porte d’un laboratoire étudiant le coronavirus. On parle du coronavirus précis que ces scientifiques cherchaient. »
Faute de données scientifiques que la Chine a toujours refusé de livrer, la communauté scientifique reste divisée. « Il faut aujourd’hui soutenir avec plus de force que jamais les scientifiques qui veulent faire émerger la vérité » n’ont réussi à le faire. Le seul fait que la Chine a menti et refuse obstinément de faire la lumière sur ce qu’elle sait laisse présager d’une réalité terrifiante.
Pierre-Antoine Donnet