Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 9 février 2023

Pourquoi la chauve-souris est-elle l'emblème des renseignements militaires russes et la chouette celui de l'Ukraine ?

 

Montage photo de l'emblème des renseignements militaires russe (gauche) et ukrainien (droite). © GEO


Avant d'être des proies, les chauves-souris sont d'abord des prédateurs. Pour autant, ces mammifères volants sont vulnérables aux rapaces nocturnes, comme la chouette et le hibou. Ces oiseaux les capturent en plein vol, à peine les chauves-souris envolées de leur perchoir. Une scène de chasse que le général Kyrylo Boudanov, chef du renseignement militaire ukrainien pressenti pour devenir le prochain ministre de la Défense, arbore fièrement sur un tableau accroché au mur gris de son bureau de Kiev. Les deux animaux survolent des colonnes de fumées, vraisemblablement causées par des bombardements.

Simple passion pour le naturalisme ou faute de goût manifeste ? Ce serait oublier que, dans la communication ukrainienne, aucun symbole n'est laissé au hasard. Car, dans la nature ou sur le front de la guerre en Ukraine, la chauve-souris russe et la chouette ukrainienne se livrent un combat acharné.

Mystérieuse et nocturne, la chauve-souris symbole des forces spéciales du GRU russe

La chauve-souris, sur fond d'un globe bleu, est l'emblème semi-officiel des forces spéciales – aussi appelées spetsnaz – de la direction générale de l'état-major du renseignement militaire russe (GRU), un organisme très secret créé il y a un peu plus de cent ans sous l'impulsion des bolcheviks. Ces unités d'élites se sont notamment illustrées en Afghanistan et en Tchétchénie, et les spetsnaz sont encore aujourd'hui envoyés à l'étranger sur le théâtre des "opérations spéciales".

À l'origine, les spetsnaz du GRU agissaient dans l'ombre, rechignant à afficher leur insigne. Puis ses agents, "friands de symbolisme", ont progressivement adopté la chauve-souris comme emblème officieux, "synonyme de secret, de mystère et de travail sous le couvert de la nuit", note l'hebdomadaire russe Argumenty nedeli. L'animal devint si populaire qu'il fut, un temps, adopté par le GRU tout entier, malgré le fait que les spetsnaz ne soient qu'une unité parmi toutes les autres que comptent les services secrets, rappelle la journaliste franco-ukrainienne Marianna Perebenesiuk dans un billet pour Desk Russie.

Ainsi, même lorsque l'œillet à cinq pétales a officiellement remplacé l'animal comme emblème de l'organisation, la chauve-souris continue d'être arborée par ses unités d'élite. Elle apparaît même sur le sol du hall d'entrée du siège de l'organisme, à Moscou.

Face à la chauve-souris russe, une chouette ukrainienne prête à l'attaque

À la chute de l'URSS, l'Ukraine hérite des unités de spetsnaz du GRU soviétique et… de leur chauve-souris. Le mammifère volant restera l'emblème du service de renseignements militaires ukrainien, le GUR-MOU, et ce jusqu'en 2016. C'est à cette date que le nouveau chef du GUR-MOU, qui vient d'entrer en fonction, présente le nouveau blason de l'organisme. La chauve-souris s'est envolée pour laisser place à un autre animal nocturne, son prédateur : la chouette, qui est aussi un symbole de sagesse, de connaissance et de protection. Le rapace tient entre ses serres un glaive, qui pointe une Russie noircie pour la détacher du reste du monde.

Une attaque à peine voilée contre Moscou, deux ans après l'annexion de la Crimée et le début de la guerre du Donbass. La devise qui accompagne le logo en rajoute une couche : la locution latine "sapiens dominabitur astris" ("le sage dominera les astres") répond directement à la devise des spetsnaz du GRU, "seules les étoiles sont au-dessus de nous".

L'interprétation est confirmée par le ministère de la Défense ukrainienne, dans un billet publié en septembre 2021 : "Sapiens dominabitur astris est la réponse de milliers d'officiers de renseignement ukrainiens, dont nous ne connaîtrons peut-être jamais les noms, mais grâce auxquels l'Ukraine défend l'Europe contre l'ours russe depuis huit ans."

À l'époque du changement de logo, il n'avait pas fallu longtemps pour que la nouvelle traverse la frontière et atteigne la Russie, souligne le site spécialisé Zone militaire. Le vice-Premier ministre a volontiers qualifié ce logo "d'idiot", arguant que la mention "l'Ukraine avant tout", accolée à la devise latine, lui rappelle le refrain d’un chant nazi : "L’Allemagne, l’Allemagne au-dessus de tout, au-dessus de tout au monde". La porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova s'est contentée de pointer "un nouveau problème qui s'ajoute à tous les autres en Ukraine", celui-ci d'ordre "ornithologique".

geo.fr