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mercredi 8 février 2023

Le tireur d'élite suisse engagé sur le front en Ukraine dans le viseur de la justice

 

Qui est vraiment Avi Motola, le tireur d’élite suisse engagé sur le front ukrainien? À la mi-janvier, ce Schaffhousois a fait l’objet d’un portrait dans différents médias. Il y a étalé son histoire extraordinaire: celle d’un juif de Suisse qui combat l’armée de Vladimir Poutine en Ukraine en tant que tireur d’élite.

«Je ne suis pas là pour tuer, mais pour sauver des vies», avait-il vaillamment affirmé face aux caméras de la télévision suisse. Il s’est aussi livré sans détour dans les colonnes de l'«Aargauer Zeitung», faisant fi des risques encourus. Il risque en effet en Suisse une peine de prison conséquente pour avoir combattu dans une armée étrangère.

Un certain nombre de casseroles

Cependant, ce ne serait pas le seul motif pour lequel il pourrait être mis derrière les barreaux dans notre pays. Avi Motola traînerait d’autres casseroles liées à son passé (dont il s’est bien gardé de parler aux médias). Et ce, pour une bonne raison. Ce célèbre sniper aurait voyagé sous différents noms, passé plus d’une décennie derrière les barreaux. Et même failli être interné.

Une enquête de Blick montrent un dossier pénal qui ne cesse de s’épaissir depuis 2004. À l’époque, un tribunal de district du canton de Zurich, celui de Hinwil, l’avait entre autre condamné à quatorze mois de prison pour vol, dommages à la propriété, falsification de documents et violation du Code de la route. À quoi s’ajoute encore un délit qui s’applique par exemple aux fraudes à la carte de crédit: l’utilisation frauduleuse d’un système de traitement de données.

Le Schaffhousois souffrait à l’époque de graves problèmes psychiques. Sa peine a été suspendue pour une thérapie psychiatrique stationnaire, une sorte de «petit internement».

Attrapé avec une arme après des mois de fuite

L’exécution de cette peine avait alors été confiée au canton de Schaffhouse. Le tireur d’élite suisse avait également commis des délits dans ce canton, où il a été condamné une nouvelle fois en 2005. Mais cette fois-ci, des délits violents s’y sont ajoutés.

L’homme a écopé de 25 mois de prison pour vol, tentative de vol, lésions corporelles, menaces et délits liés aux drogues. L’infraction la plus grave pour laquelle il a été jugé: mise en danger de la vie d’autrui, en raison d’une dispute avec sa petite amie de l’époque.

En 2009, il a été autorisé à rejoindre un foyer externe pour une mission de travail. Mais il s’est enfui le premier jour et n’a été repris que quatre mois plus tard dans le canton de Glaris et en possession d’une arme.

En 2010, alors que le Suisse était entre-temps incarcéré dans un pénitencier zurichois, son «petit internement» a été prolongé de cinq ans. Motif: les psychiatres n’étaient pas satisfaits des progrès réalisés par l’actuel tireur d’élite. Ce n’est qu’en 2017 que la thérapie psychiatrique stationnaire a été interrompue. Avi Motola devait être interné en bonne et due forme, ont estimé les spécialistes. Sa libération était jugée bien trop risquée pour la collectivité.

Le retour en Suisse semble impossible

Son avocat de l’époque était Maître Hugo Werren, un célèbre défenseur zurichois. Celui-ci s’est opposé avec succès à cette décision. Il refuse néanmoins aujourd’hui de s’exprimer, invoquant le secret professionnel.

On sait toutefois qu’au lieu d’être interné, Avi Motola a été remis en liberté en août 2017. Avec quelques jours d’avance seulement. Un processus qui a surpris jusqu’aux initiés de la justice. Après une si longue période derrière les barreaux, on se serait attendu à ce que les détenus soient préparés à la liberté «avec le soin nécessaire», affirme l’un d’eux, qui connaît bien l’affaire.

Aujourd’hui, Avi Motola serait à nouveau dans le viseur des autorités suisses. Le Suisse a récidivé, écrit le quotidien «Schaffhauser Nachrichten». L’Office fédéral de la justice (OFJ) a confirmé au journal qu’une demande d’entraide judiciaire avait été adressée en Israël, où le tireur d’élite vivait avant son engagement en Ukraine. En cause: un éventuel délit contre le patrimoine ferait l’objet d’une enquête. Selon les recherches de Blick, il pourrait s’agir du détournement d’un fonds de pension.

Arrêté en cas de retour en Suisse

Le mercenaire a confirmé qu’il risquait d’être arrêté en cas de retour en Suisse ou dans l’Union européenne. Ne serait-ce qu’en raison de son engagement au front, a-t-il avancé. «Mais il y a beaucoup de choses considérées comme illégales qui sont tout à fait justes», a-t-il nuancé dans une interview accordée à la SRF.

Illégales, mais justes? Une grande partie des faits évoqués pourraient ne pas entrer dans cette catégorie s’ils étaient avérés.

Le tireur d’élite bénéficie de la présomption d’innocence et n’a pas souhaité répondre aux sollicitations de Blick.

Sa mère a accepté de s'exprimer

«Je ne suis pas là pour tuer, mais pour sauver des vies.» C’est ce qu’affirmait récemment le Schaffhousois Avi Motola au micro de la télévision suisse. Le sniper suisse se bat actuellement contre l’armée russe aux côtés des Ukrainiens.

Sauf que le sauveur de vies autoproclamé n’est pas le parfait héros qu’il prétend être. D’après notre enquête, le tireur d’élite a un casier judiciaire bien rempli dans son pays d’origine. Il a déjà passé plusieurs années en prison, notamment pour coups, blessures et vol.

Sa mère, Anita G.* a accepté de témoigner pour Blick.

Un QI relativement élevé

«Tant de choses sont arrivées», se rappelle Anita, 71 ans. Avi, qui est né sous un autre prénom, a été «emprisonné pendant environ quinze ans». Son fils aurait commencé à lui poser très tôt des problèmes: «Il se faisait remarquer. Dès la première classe, j’ai été convoquée quatre fois à l’école en une semaine.»

Son fils a très vite subi de nombreux examens: «Il a un QI relativement élevé – mais à quoi cela lui sert-il?» Même des écoles spécialisées et des pédagogues expérimentés n’auraient pas fait avancer les choses.

Avi a commis des délits très tôt, poursuit Anita. Peu avant la fin de l’école de recrues, il l’a également menacée: «Il m’a mis un couteau sur le ventre dans la cuisine. Juste parce que je m’étais renseignée sur lui à l’école.»

«On reste mère»

Le futur militaire aurait déménagé très tôt. «J’avais encore des contacts avec lui, il passait aussi régulièrement, se souvient Anita. Mon erreur a été de l’accueillir à chaque fois chez moi. Comme lors de son dernier licenciement.» Le deuxième fils d’Anita, plus jeune de deux ans par rapport à Avi, aurait également mis sa mère en garde. «Je l’ai quand même fait: on reste une mère», déclare-t-elle.

Le militaire a par ailleurs lésé financièrement sa génitrice. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est actuellement recherché. «Il a trafiqué mon compte de caisse de pension avant de partir en Israël», se désole Anita. Elle a porté plainte contre son fils.

Ce dernier est d’ailleurs aussi visé par une plainte en Israël. Avi s’est marié là-bas et a un fils de 4 ans, qu’Anita n’a jamais vu. En Suisse aussi, Avi a une ex-femme et un fils, âgé de 15 ans. Il n’a aucun contact avec eux non plus.

«Avi a toujours eu une grande gueule»

Concernant les activités militaires de son fils, Anita cite son deuxième enfant: «Mon autre fils l’a dit avec justesse: 'Maman, il est dans son élément maintenant'.» Mais elle ne semble pas convaincue: «Avi a toujours eu une grande gueule.»

La dernière fois qu’elle a eu un contact avec lui, c’était après le reportage de la SRF, raconte Anita G. «Il m’a écrit qu’en Israël, il n’avait désormais plus le droit de voir son fils.» Et qu’il ne se souciait pas de savoir s’il serait abattu pendant la guerre.

Que se passerait-il si Avi Motola décidait soudainement de refaire surface? «Je devrais appeler la police et je lui parlerais, sans doute, imagine Anita. Mais je ne lui ouvrirais pas la porte.»

Pour Anita, il ne reste plus qu’une seule possibilité: «Je dois me distancier. Car j’ai honte.» Bien qu’elle ait beaucoup souffert, elle n’en veut plus à son fils désormais: «Qu’il reste en Ukraine, ou qu’il fasse ce qui le rend heureux – mais qu’il nous laisse tranquilles.»

La SRF mal prise

Reste la question de savoir si la télévision suisse était au courant des antécédents d’Avi Motola. Mario Poletti, directeur de la rédaction de «Rundschau», déclare: «Ces points spécifiques n’étaient pas connus de 'Rundschau'.»

Avant la diffusion du reportage, ils auraient exigé de lui un extrait de casier judiciaire. «Celui-ci ne comportait aucune mention. Bien entendu, nous aurions abordé son passé criminel si nous en avions eu connaissance. Nous regrettons d’avoir donné une image incomplète du mercenaire», se défend le journaliste.

Avi Motola bénéficie de la présomption d’innocence pour tous les faits qui lui sont reprochés.

*Nom connu de la rédaction

Viktor Dammann 

Nicolas Lurati

Ralph Donghi

blick.ch