Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 17 décembre 2022

Les citoyens du Reich : ces nostalgiques de l'empire allemand qui veulent renverser la République

 

Le 8 décembre, la police allemande affirmait avoir démantelé un groupe terroriste d'extrême droite qui s'apprêtait à commettre des attentats, notamment contre le Parlement, et préparait même un coup d'État. Une vingtaine de personnes ont été arrêtées. Elles appartiennent toutes à une nébuleuse complotiste et nostalgique du grand Reich allemand : les Reichsbürger, les citoyens du Reich, ne reconnaissent pas l'actuelle république fédérale allemande « usurpatrice » et veulent la renverser. Sous des apparences parfois folkloriques se cachent en fait des radicaux violents et armés, qui ont le vent en poupe et inquiètent les services de renseignement depuis des années.

7 août 2016. La scène surréaliste, se déroule à Detmold, en Rhénanie-Westphalie. Les « Germanites », petite communauté de « citoyens du Reich » ont leur nouveau roi, Stefan Ratzeburg, un ancien paysagiste persuadé d'être l'héritier de la maison royale des Hohenzolern. Un coup de tampon et une signature au bas du décret qui le nomme roi, une prestation de serment pompeuse et les dizaines de sujets de sa majesté applaudissent leur souverain autoproclamé. Tout est filmé, un sympathisant vidéaste mettra la cérémonie « royale » en ligne, qui sera ensuite effacée, par craintes de problèmes judiciaires. A priori, rien de bien méchant. Pour un peu, on croirait à un spectacle parodique pour amuser les touristes. Mais Stefan 1er est tout à fait sérieux : les traités et décrets ayant mis fin à la monarchie sont illégaux. Lui est réellement le nouveau Kaiser.

Ils sont plusieurs dizaines en Allemagne à avoir, comme Ratzeburg, créé leur petit royaume d’opérette. Le plus connu est Peter Fitzek, un homme d’affaires qui a créé l’empire de la nouvelle Allemagne. Il ne règne que sur sa propriété privée de 9 hectares. Extrémiste dans ses propos virulents contre la République fédérale usurpatrice, il est aussi pragmatique et a bien compris l'intérêt financier qu'il pouvait tirer de son trône. Son site internet, moderne, comporte des pubs de petites entreprises locales. Il organise chaque année des rencontres de la libre d’entreprise pour attirer les investisseurs, développe des produits dérivés (tee-shirts, cartes postales, casquettes) a créé sa banque, son système postal, ses assurances et sa sécurité sociale. Sans aucune autorisation bien entendu, ce qui lui a valu une condamnation à 3 ans de prison avec sursis. Il vient d'annoncer il y a quelques jours sa décision de battre monnaie, ce qui lui coûtera à n'en pas douter de nouveaux soucis judiciaires.

Une mouvance dangereuse, très active pendant le covid

Folklore sympathique ou petites escroqueries de margoulins pas bien dangereux ? « Au départ, ces petits roitelets apparaissaient comme de doux dingues qui finissent par croire à leurs foutaises », explique Andreas Speit, journaliste et auteur d'un livre sur les Reichsbürger. « Mais les Reichsbürger sont bien moins inoffensifs qu'il n'y paraît. Leurs discours contre la RFA qu'il faut détruire sont extrêmement violents et de plus en plus radicaux. Leur jargonnage confus sur l'illégitimité de la République fédérale se mêle à tout un tas de discours complotistes délirants notamment autour des francs-maçons. Certains sont armés pour se défendre contre de prétendues attaques à venir du gouvernement fédéral. Et pendant le Covid, on les a vus très actifs dans les manifs anti masques et antivax, répandant largement leur propagande".

Les Reichsbürger, les citoyens du Reich, ne reconnaissent pas l’actuelle République fédérale d’Allemagne. C'est d'ailleurs leur seul point commun et ils ne sont ni une organisation ni même un regroupement d'organisations mais une nébuleuse aux contours flous, dans laquelle on trouve toutes sortes d'extrémistes, jusqu'aux néo-nazis.

Ils sont soit des nostalgiques de la grande Allemagne belliqueuse d'avant-guerre, soit des néo-nazis. Ils ne reconnaissent ni le Traité de Versailles ni l’Armistice de 1945. Les Reichsbürger se réfèrent soit au Führer, soit au Kaiser, l'ex-empereur d'Allemagne, et revendiquent les anciens territoires de la grande Allemagne (ouest de la Pologne, les Sudètes en Tchéquie, l'enclave de Königsberg en Russie). Ils ne paient pas leurs impôts, refusent d'avoir une pièce d'identité, ne s'acquittent pas de leurs amendes.

Ils seraient 20 000, selon les services de renseignement allemands, dont 900 activistes d’extrême droite violente. « Et ces chiffres sont en augmentation constante », estime Andreas Speit.

La République fédérale a peur de ce mouvement

Uwe Land, l'une des figures des Reichsbürger et l'un des très rares à parler aux journalistes dans cette mouvance paranoïaque où le monde extérieur est perçu comme une menace, s'en félicite : « La République fédérale a peur de ce mouvement profond qui conteste ses fondements mêmes. Pour nous, la RFA, issue finalement du traité de Versailles et de la soumission aux vainqueurs de la première et de la deuxième guerre mondiale, est illégitime. Nous sommes de plus en plus nombreux, poursuit-il. Tout citoyen qui conteste la République fédérale est un Reichsbürger », poursuit cet activiste, qui se réclame du Kaiser et non du 3ème Reich, même si ça ne lui pose pas de problème d'avoir des relations avec les nazis : « Ils ont leurs positions et moi les miennes, mais nous sommes d'accord sur l'essentiel, l'illégitimité des autorités actuelles ». C'est qu'il faut être tolérant…

Land dit avoir des liens souterrains avec l'extrême droite plus officielle : le mouvement islamophobe Pegida ou le parti Alternative für Deutschland (AfD). C’est ce que nous confirme une militante de Pegida sous le sceau de l'anonymat : « Personnellement, je suis d’accord avec eux sur le fond et j'ai des amis dans ce mouvement, même s'ils l'expriment d'une manière plus brutale que nous. Mais officiellement Pegida, comme l'Alternative für Deutschland (AfD, extrême-droite), a peur de la répression et ces partis officiels sentent obligés de s'en distancer ».

Parmi les Reichsbürger, l'ancien avocat de la Fraction Armée Rouge, devenu néonazi

« Les Reichsbürger ont un fort potentiel d'attraction, explique Hans Georg Massen, l'ancien patron des renseignements intérieurs allemands. Ils continuent de recruter ». Longtemps considérés comme de doux dingues, les Reichsbürger inquiètent aujourd'hui les autorités allemandes. Leurs noms folkloriques, « République libre d'Allemagne » ou « Gouvernement allemand en exil », cachent en réalité des mouvements dangereux, parfois armés. En octobre 2016, un Reichsbürger a tué de 11 balles un policier venu contrôler chez lui les armes qu'il détenait. Il a été condamné un an plus tard à la détention à perpétuité. En août de la même année, un autre citoyen du Reich a fait feu sur des policiers venus l'expulser de son logement.

Les autorités allemandes s'inquiètent aussi de la présence de Reichsbürger au sein même des forces de l'ordre : en Bavière, deux policiers ont été licenciés pour leur appartenance avérée aux citoyens du Reich, et 18 autres ont fait l’objet de sanctions disciplinaires. « Les Reichsbürger n’ont pas leur place dans la police », a déclaré, martial, le ministre de l’intérieur de ce Land très conservateur, Joachim Herrmann.

Le Reichsbürger le plus célèbre d'Allemagne est le néonazi Horst Mahler. Un sombre et inquiétant personnage : ancien avocat, fils de nazis militants, l'homme s’est engagé dans l'extrême gauche terroriste en 1970. Co-fondateur de la Fraction armée rouge, il commet plusieurs braquages et participe à l'évasion du chef du groupe, Andreas Baader. Arrêté en octobre 1970, condamné à 14 ans de prison, il est libéré en 1980, défendu par un jeune avocat du nom de Gerhardt Schröder. En quelques années, Mahler a totalement changé d'idée et vire à l'extrême droite. Il adhère au NPD néonazi et se définit depuis comme Reichsbürger, dont il est un des inspirateurs. Aujourd’hui âgé de 87 ans et gravement malade, il n'exerce plus d'influence politique mais reste une figure tutélaire des Reichsbürger. Le profil inquiétant de ce pionnier de la mouvance en dit long sur la dangerosité de l'idéologie des citoyens du Reich.

Thierry Vincent

blast-info.fr