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dimanche 29 août 2021

Les différentes significations des drapeaux islamiques


Arabie Saoudite

Le vert de ce drapeau est une couleur traditionnelle dans les drapeaux islamiques. Celui-ci porte  le Shahada ou profession de foi musulmane en grands caractères arabes blancs (traduction : "il n'y a de dieu que Dieu;  Mohammed est le messager de Dieu"), au-dessus d'un sabre horizontal blanc; le bout se dirige au côté de la hampe. 

Le dessin de ce drapeau remonte au début du XXe siècle et est étroitement associé avec la famille Al-Saoud, qui a fondé le royaume en 1932. 

Le sens de l'écriture et l'orientation du sabre font que les deux faces du drapeau sont différentes.



Al-Qaïda

Il s'agit du même drapeau que celui de l'Arabie Saoudite sur fond noir et sans le sabre. La Shahada, profession de foi musulmane, écrite en arabe. Ce drapeau est celui le plus fréquemment utilisé par Al-Qaïda.

Al-Qaïda (arabe : القاعدة al-qāʿida, littéralement « la base ») est une organisation terroriste islamiste fondée en 1987 par le cheikh Abdullah Yusuf Azzam et son élève Oussama ben Laden. D'inspiration salafiste djihadiste, Al-Qaïda a ses racines chez des penseurs musulmans radicaux tels qu'Abou Qatada, Abou Moussab al-Souri ou Abou Mohammed al-Maqdissi. Il considère que les gouvernements « croisés » (occidentaux), avec à leur tête celui des États-Unis, interfèrent dans les affaires intérieures des nations islamiques et ce dans l'intérêt unique des sociétés occidentales. Il a recours au terrorisme pour faire entendre ses revendications.

Al-Qaïda émerge de l'organisation Maktab al-Khadamāt, constituée pendant la première guerre d'Afghanistan par Azzam pour alimenter la résistance afghane contre les forces armées d'URSS. Maktab al-Khadamāt servait à relayer de multiples dons en provenance de pays islamiques.

Le but d'Al-Qaïda est l'établissement d'un califat dans le monde musulman, instauration de la charia, et destruction ou affaiblissement du monde occidental


Taliban

Le drapeau Taliban est un drapeau apparu en Afghanistan en 1994. A l'origine le drapeau était une simple bannière blanche.

Depuis 1997, quand a été créé l'Emirat Islamique d'Afghanistan, une inscription en noir, (la Shahada) a été ajoutée au centre. 

Ceci pour souligner la dévotion certes ambiguë des Talibans en ce qui concerne l'Islam. Al-Qaida, a le même drapeau, mais avec les couleurs inversées. 



Daech


Daech (couleur inversées)


Le choix de la couleur renvoie à l’étendard de l’aigle, « rayat al-`uqab », qui selon la légende aurait été choisi par Mohammed pour combattre, simplement à partir d’une pièce de tissus noir qui avait servi de châle à son épouse Aïcha. D’après des Hadiths, il serait carré et orné d’aucune inscription.

Ce drapeau noir (ou blanc) du groupe djihadiste, flanqué du sceau du prophète, serait apparu début 2007 en Irak, avec sa diffusion sur internet par al-Fajr (organe de propagande d'Al-Qaïda), au nom de l'"Etat islamique d'Irak". Le communiqué de l’époque affirmait que son objectif était de "rassembler les croyants sous une unique bannière pour les unifier". Contrairement à la bannière d'al-Qaïda, moins lisible, celle de l'EI apparaît plus reconnaissable, au point de s’être rapidement imposée comme un logo.

Egalement appelé "drapeau de l'aigle", cet étendard intègre sur sa partie supérieure le début de la Shahada ("Il n'y a de dieu que Dieu"), premier pilier de l'Islam et profession de foi des musulmans, et décline ensuite le sceau du prophète, - ou prétendu tel - en forme de cercle, avec ces trois mots : Allah (Dieu), Rasoul (prophète), Mohammed. Si l'origine précise de ses symboles reste à définir, elle puise dans l'histoire de l'islam médiéval des références au combat et au djihad.

Les "Drapeaux blancs" de Daech sont le fruit d'une alliance entre des anciens djihadistes de l'Etat islamique et des membres de la mafia kurde.  "Les Drapeaux blancs sont des membres de l'Etat islamique et de milices kurdes locales indépendantes." "Ce ne sont ni des peshmergas ni des membres de forces de sécurité officielles kurdes".

Pour d'autres, les "Drapeaux blancs" pourraient également être une émanation du groupe Ansar al-Islam, formé par des Kurdes et des Arabes. En 2014, le groupe avait prêté allégeance à Daech et poursuivi les combats au nom de l'organisation djihadiste.

Il existe de nombreux drapeaux qui comportent la Chahada (à commencer par celui de l’Arabie Saoudite), mais dans le drapeau de l’EI, la citation est incomplète.

D’abord, il manque le terme « j’atteste » (Achadou), ce qui transforme la formule en une affirmation « objective » sur l’unicité de Dieu, n’impliquant aucune adhésion du lecteur, à laquelle elle s’impose comme la première loi divine.

De plus, seule la première partie est citée, puisque la suite de la profession de foi « wa-achadou anna Mouḥammadan rassoûlou-llâh » c’est à dire «…et que Muḥammad est l’envoyé de Dieu », n’est pas reprise.

A la place, les chefs de l’EI ont opté pour la figuration du premier sceau connu de Mohammed, qui comporte les trois mots importants (de haut en bas) : Dieu – Envoyé (ou messager) – Mohammed.


Sources de ce premier sceau (une lettre de Mohammed)



Relevons que contrairement aux usages, la calligraphie utilisée n’est pas le Thuluth (calligraphie classique considérée comme la plus esthétique), mais le coufique ancien.

Rien dans ces éléments descriptifs n’est innocent.

L’origine exacte de ce drapeau n’est pas connue.

La première trace historique de l’emploi d’une bannière noire date d’Abu Muslim, général perse des califes abassides de Bagdad, lors des guerres qui ont mis fin à la suprématie Omeyyade. Cet étendard concerne alors les troupes perses des abbassides qui vont vaincre les armées syriennes Omeyyades[3].

A l’époque, le drapeau devait être noir sans motifs, chaque camp s’attribuant une couleur pour l’étendard (la « raya ») et une couleur distinctive pour reconnaître les combattants, qui n’ont pas d’uniformes (un turban, un morceau de tissus noué sur la tête ou le bras, appelé parfois « liwā » ou « alam »).

L’apparition de drapeaux noirs avec la Chahada daterait des combats en zone Pachtoune (Afghanistan) au XVIIIème siècle. L’idée s’étend et les Talibans puis Al Qaïda reprennent la composition étendard noir + Chahada selon des calligraphies et des motifs différents.

Le drapeau du mouvement jihadiste à l’origine lointaine de l’EI, le Jama’at al-Tawhid wal-Jihad (Unicité et Jihad) d’Abu Moussab al-Zarqaoui reprenait déjà la structure, mais avec la calligraphie classique Thulut, et en associant le nom de l’organisation en doré.



La proximité avec le drapeau de l’EI est remarquable même si l’étude des différences est riche d’enseignements sur les évolutions de l’organisation.

Le groupe fondé en 1999 en Afghanistan par al-Zarqaoui va s’étendre en Jordanie et surtout en Irak avec l’invasion américaine de 2003.

En 2004, le groupe fusionne avec d’autres pour faire allégeance à Al-Qaida, et devenir Tanzim Qaidat al-Jihad fi Bilad al-Rafidayn (qu’on peut traduire par Organization de la base – Al Qaida – du Jihad en Mésopotamie / Irak).

Le drapeau évolue pour se rapprocher de celui d’Al Qaida, signe de cette allégeance. Parmi les nombreuses variantes qui ont existé, celle-ci représente une évolution graphique notable avec laquelle les concepteurs du drapeau de l’EI ont voulu trancher.


Le sceau est toujours vide, et le caractères (Chahada et nom de l’organisation) sont dorés, mais la calligraphie évolue.

Un exemple dans une vidéo de l’organisation à Bagdad (Rue d’Haïfa – contrôlée par Zarqaoui en septembre 2004) :


Cette organisation va rallier en janvier 2006 le Conseil consultatif des Moudjahidines en Iraq. Après la mort de Zarqaoui, ce Conseil se dissout pour proclamer l’Etat islamique en Iraq en octobre 2006.

Le drapeau actuel de l’EI apparaît en janvier 2007 notamment dans des vidéos de al-Fajr (agence Al Qaida), et il va rapidement s’étendre sur plusieurs continents.

En réalité ce drapeau est employé dès la fin 2006 dans les communiqués du mouvement, imprimés, photocopiés, et distribués à la sortie des Mosquées (au point que le gouvernement iraquien va interdire les imprimantes dans certaines zones).




Il y a plusieurs variantes à ce drapeau de mouvements proches de l’EI.

La référence historique à la bannière noire de Mohammed (rayat al-Uqab ou rayat al-Sawad) est classique et lisible. Pourtant ce choix n’a rien d’évident, y compris du strict point de vue des références jihadistes. La bannière la plus connue de Mohammed est en effet la bannière blanche (certains historiens doutant même de l’existence de la bannière noire puisque seuls certains Hadiths, certes jugés les plus sûrs, y font référence), sachant qu’il avait aussi une bannière rouge.

En réalité, dans l’histoire musulmane, les bannières noires ont d’abord été le signe de la révolte, et c’est pour cela que les chiites en ont aussi fait usage, comme les troupes perses d’Abu Muslim, général Abbasside en révolte contre les Omeyyades. Le choix de cette couleur n’est donc pas anodin pour des sunnites, historiquement plutôt portés à la soumission aux autorités. C’est le signe que l’EI veut porter un projet de nature révolutionnaire.

C’est aussi un premier marqueur « d’irakocentrisme » de l’EI, le drapeau noir d’Abu Muslim étant celui des troupes du Calife Abbasside de Bagdad en guerre contre les armées syriennes.

De plus, il existe une version du récit de l’arrivée du Mahdi sur terre, le sauveur, qui viendra délivrer la terre du Dajjal (version jihadiste de l’Antéchrist) accompagné de légions arborant des drapeaux noirs. La couleur noire est donc aussi une référence à la dimension millénariste et apocalyptique de l’idéologie de l’EI.

Enfin, les étendards noirs ont toujours plus frappé l’imagination des populations, bien au-delà du monde musulman (pensons aux pavillons « Jolly Rogers » des Pirates anglais). Le noir est en Occident la couleur du deuil et des enfers, il possède donc un impact psychologique classique et largement utilisé dans l’histoire militaire (des Hussards de la mort français de la Révolution aux Waffen SS).

Les inscriptions du drapeau revêtent ensuite plusieurs dimensions symboliques qui dévoilent à la fois l’intention de ses concepteurs, et la nature de leur projet.

La reprise de la première partie de la Chahada, qui renvoie à l’unicité absolue du culte à dieu, a un lien direct avec l’idéologie jihadiste, qui prône un monothéisme extrémiste, rejetant tout culte associé (aux saints, aux savants, aux prophètes…), et allant jusqu’à détruire toutes les images de créatures de dieu.

Cette tendance est basée sur une conception extensive et ultra-rigoriste du Tawhid, dont cette phrase est le rappel permanent. C’est aussi plus prosaïquement une reconnaissance de la filiation de l’EI avec le groupe fondé par Zarqaoui, et qui se réclamait du Tawhid au point de le mettre dans son nom.

Le drapeau de l’EI est parfois surnommé « rayat al-Tawhid », c’est à dire la bannière de l’unicité ou du monothéisme.

Afin de se démarquer à la fois d’Al Qaida et des nations arabes qui ont la Chahada inscrite sur leur drapeau, les concepteurs de l’étendard de l’EI ont fait deux choix très symboliques:

  • seule la 1ère partie de la Chahada est reprise
  • elle est écrite en alphabet Coufique ancien.

Rappelons que l’emploi du coufique ancien, qui n’est pas l’écriture originelle du Coran (c’est le Hijazi).

En n’employant pas le Thuluth pour se différencier de ses ennemis et concurrents (à commencer par Al Qaida), l’EI choisit aussi une calligraphie qui renvoie aux premiers âges de l’Islam (sans être l’écriture d’origine), comme pour se replacer dans les pas et les écrits des compagnons de Mohammed (les fameux salafs).

Mais le choix du Coufique ancien n’est pas innocent, puisqu’il ne s’agit pas de l’écriture originelle du Coran. Cet alphabet est d’abord le premier alphabet arabe émanant d’Irak, de la ville de Koufa dont il tire son nom. Nous avons donc là une nouvelle preuve de « l’irakocentrisme » de l’EI, dont l’idéologie, le projet politique, la structure comme la hiérarchie sont indissociablement liés à l’Irak post-2003[10].

Enfin, cette calligraphie est aussi celle qui fut imposée par les premiers Califes pour unifier l’écriture arabe, signe donc de l’instauration d’un Etat.

La calligraphie employée n’a donc rien d’un choix esthétique ou anodin, mais relève d’une volonté de marquer politiquement un projet idéologique conçu autour de la construction d’un état (l’état islamique) et qui n’est pas dénué de nationalisme sous-jacent par son « irakocentrisme ».

La reprise du sceau de Mohammed est d’abord destinée à compléter de manière originale la Chahada, qui serait sinon tronquée et donc hérétique.

La particularité est qu’alors que le drapeau se lit de haut en bas, le cachet doit se lire de bas vers le haut : Mohammed – Rassoul – Allah.

Enfin, la référence du cachet employé par Mohammed, non dans ses actes de prophète – de messager de dieu – mais en qualité de chef d’état, de diplomate et d’homme politique, est aussi un signal fort adressé à toute la communauté sunnite : le projet de l’EI est d’abord politique. Et la construction d’un Etat suivant « à la lettre » l’exemple de Mohammed en est le cœur, l’ADN même.

On constate donc que la charge symbolique de cet étendard est puissante pour les sunnites, surtout ceux qui sont influencés par le Wahhabisme, forme d’Islam qui prépare à l’idéologie jihadiste de l’EI, sur la base d’un langage et d’une conception religieuse commune.

Au-delà de l’analyse de ce drapeau, source d’informations sur la nature du projet de l’EI, il convient de constater que la richesse de la réflexion sur les symboles qu’il manipule a débouché sur un réel succès marketing.

TF121