Trois hommes sont jugés à partir de ce lundi soupçonnés d'avoir voulu perpétrer des attentats dans la capitale en décembre 2016. Ils avaient été confondus grâce à l'infiltration d'un policier français dans leurs échanges sur Telegram.
Entre mythologie et roman d'espionnage. Ce lundi s'ouvre le procès de trois hommes, jugés pour "association de malfaiteurs terroriste", et soupçonnés d'avoir cherché à perpétrer deux attentats à Paris en décembre 2016. Ils ont été confondus par "Ulysse", qui n'est autre qu'un policier qui s'est infiltré sur les réseaux cryptés utilisés par les émirs de Daesh en Syrie avec leurs recrues en Europe.
En mars 2016, la DGSI, la direction générale de la sécurité intérieure, apprend que Daesh cherche, après les attentats de novembre 2015 à Paris puis ceux de Bruxelles, à se procurer des armes pour mener une action violente. L'information vient d'une recrue du groupe terroriste, affolée par l'ampleur de l'action qu'on lui demande de mener, qui contacte les services de renseignement. "Ulysse", un "cyber-patrouilleur", va alors prendre sa place dans les communications avec son recruteur en Syrie.
"On veut quatre kalachs"
Le cheval de Troie, qui a permis aux Grecs, selon la mythologie, de remporter une guerre interminable en employant la ruse pour triompher, va rejoindre un scénario digne de la série Le Bureau des Légendes. "Ulysse" va infiltrer les communications avec le bureau des opérations extérieures de Daesh, celui qui dirige les attentats en Europe. En se faisant passer pour une recrue, il va recevoir des ordres de celui qui est surnommé "Sayyaf", et dont l'enquête a permis d'établir qu'il s'agissait de Salah Eddine Gourmat, un Français parti faire le jihad en Syrie en mars 2014 et tué par les forces américaines à Raqqa en 2016.
"On veut quatre kalachs, quatre chargeurs et des munitions", ordonne l'émir à celui qu'il croit être son aspirant terroriste, qui se fait passer pour un petit trafiquant capable de dénicher des armes en France. Pour cela, il lui faut de l'argent.
Au bout de quelques mois, "Sayyaf" parvient à faire parvenir de Syrie 13.300 euros pour que la recrue achète les armes. L'argent est déposé en juin 2016 dans un paquet dissimulé dans la fente d'une tombe du cimetière de Montparnasse. Malgré l'opération de surveillance mise en place par la DGSI, les policiers ne parviennent pas à identifier la personne qui a déposé le paquet. En revanche, ils récupèrent l'argent, et vont tenter d'attirer les suspects avec les armes réclamées par l'émir.
Cache d'armes dans la forêt de Montmorency
Le service interministériel d'assistance technique, SIAT, seul habilité à mener les dangereuses opérations d'infiltration physique, va cacher quatre kalachnikovs - démilitarisées - ainsi que des munitions dans la forêt de Montmorency, dans le Val-d'Oise. "Ulysse" founit alors les coordonnées GPS à "Sayyaf". Puis une opération de surveillance est lancée, dans l'attente que quelqu'un vienne récupérer les armes. L'attente est longue et va durer jusqu'en novembre 2016.
Le 14 novembre 2016, les policiers de la DGSI tombent sur un message envoyé sur Telegram à deux hommes, des Strasbourgeois, message qui appelle à réitérer des attaques sur le sol français. Sont jointes à ce message les coordonnées GPS des armes dans la forêt de Montmorency. Ces données transmises par Ulysse ont été récupérées également sur une clé USB cryptée retrouvée chez Yassine Bousseria, l'un des deux Strasbourgois jugés par la cour d'assises spéciale de Paris.
Travail d'infiltration
Dans le même temps, les services de renseignement apprennent qu'un certain "Abou Ali" - identifié comme Lakdhar Sebouai, un Français parti en Syrie en décembre 2013 -, contacte des personnes susceptibles de commettre des attentats en France, et qui peuvent acquérir deux kalachnikovs. "Ulysse", qui témoignera visage caché lors du procès des trois hommes, fait à nouveau son travail d'infiltration. "Abou Ali" lui demande de trouver un hébergement pour ce candidat terroriste qui doit se rendre à Marseille.
Même si la communication est mauvaise et les numéros de téléphone mal notés, Hicham El Hanafi, un Marocain de 30 ans déjà connu des services de renseignement de plusieurs pays, et qui a passé plusieurs mois au Portugal, rencontre le logeur indiqué par "Ulysse", qui n'est autre qu'un policier. Hicham El Hanafi est interpellé à Marseille le 20 novembre 2016. Dans son téléphone portable, les enquêteurs vont d'ailleurs découvrir que quelques jours auparavant, l'homme s'est rendu à Montmorency, à proximité de la cache d'armes. Lui a toujours nié avoir connaissance de cette cache.
Plusieurs cibles évoquées
Les policiers vont également se rendre compte que son contact sur Telegram n'est autre que Boubaker El Hakim, considéré comme le Français ayant atteint le plus haut niveau dans la hiérarchie de Daesh. Le jihadiste, issu de la filière des Buttes-Chaumont, a été tué par un drone américain en décembre 2016. Hicham El Hanafi nie là encore avoir eu un lien avec cet émir de Daesh.
Dans la nuit du 19 au 20 novembre 2016, les deux Strasbourgeois, Yassine Bousseria et Hicham Makran, sont également interpellés. Lors de leurs auditions, les deux hommes âgés de 41 ans, reconnaissent avoir fait des recherches mais nient avoir envisagé tout passage à l'acte. Le second indique comme cibles évoquées par leur commanditaire, Salah Eddine Gourmat, le siège de la DGSI, des militaires, les Champs-Élysées ou encore le 36 Quai des Orfèvres, le siège de la police judiciaire parisienne.
Justine Chevalier