Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 7 février 2021

En Irak, le groupe Etat islamique terrorise toujours la population

 

Plus de trois ans après la fin de la guerre en Irak, le groupe Etat islamique continue de terroriser la population. Ces derniers mois, les attaques contre les forces armées et les civils se sont multipliées dans tout le pays. Un marché de Bagdad a été frappé la semaine dernière par un double attentat-suicide, faisant au moins trente morts. Reportage

Le groupe terroriste reprend des forces, profitant de l'Etat faible en Irak et du chaos sécuritaire. Voyage au cœur de ce territoire dans lequel les djihadistes prospèrent, dans les montagnes de la région de Kirkouk. Une zone isolée dans laquelle les forces armées sont quasiment absentes et là-bas, la guerre contre les djihadistes ne s'est jamais terminée.

Au milieu des plantations de coton se trouve le village de Madjid: des maisons traditionnelles en terre, de hauts palmiers, des poules, quelques moutons. Ce hameau reculé d'une trentaine de famille vit toujours sous la menace constante des djihadistes, trois ans après la fin de la guerre.

Cet été, le jeune Ahmed Bajhat, 16 ans, a été blessé par une mine enterrée dans son champ: "J'allais en moto jusqu'à ma ferme, pour donner de l'eau aux animaux", témoigne-t-il au micro de la RTS. "J'ai roulé sur un engin explosif qui s'est déclenché sur mon passage. (...) Et voilà ce qu'il me reste de main. Les médecins ont dit qu'elle ne fonctionnerait plus jamais comme avant. Des éclats ont sectionné les ligaments."

Les yeux humides, il nous montre ses doigts en charpie, enroulés dans un bandage. Mais le jeune homme le sait, il a échappé au pire: plusieurs de ses voisins sont morts en marchant sur des mines de Daesh.

Des champs interdits par les djihadistes

Perchée sur un monticule de terre, le maire de Madjid, Mohammed Ali, scrute les champs qui bordent son village. Devant lui, baignés dans la lumière du soir, les monts Hamrine se découpent à l'horizon. Dans les vallons de ces collines rocailleuses, des dizaines de fidèles de Daesh se terrent encore.

"Après le champ que vous voyez là, nous ne pouvons plus y aller, même en plein jour", déplore le maire. "Des femmes de notre village y ont été tuées par des tirs. Une autre a été blessée, elle est paralysée. Nous souffrons depuis des mois."

Mohammed Ali raconte l'opposition de son village à l'idéologie du groupe Etat islamique dès son arrivée dans la région en 2014: "Alors nous sommes devenus une cible: onze d'entre nous, hommes, femmes et enfants, sont morts dans nos champs . Nous n'avons même pas pu récupérer les dépouilles, c'est trop dangereux. Leurs corps ont été mangés par les animaux sauvages.

Attaques à la mitrailleuse ou par des snipers, des explosifs dissimulés, le groupe Etat islamique fait tout pour empêcher l'armée irakienne d'accéder au village et de protéger la population. "Deux lieutenants sont morts en martyr ici", explique le maire.

Une tranchée pour protéger le village

Abandonnées par les militaires, trop peu nombreux pour sécuriser la campagne, les villageois ont creusé une tranchée tout autour du village. Chaque soir pour protéger leurs familles, les hommes prennent les armes. Certains ne sont encore que des enfants, mais à Madjid depuis la guerre, personne ou presque ne va plus à l'école. À la tombée de la nuit, Kalachnikov au poing, le jeune Jamal rejoint son poste derrière des sacs de sable.

Il passe sa nuit à guetter la venue des djihadistes: "S'ils viennent, je les tuerai", assure-t-il. "Tout ce que je veux, c'est vivre en sécurité, je ne veux pas quitter mon village." Tentant de se rassurer, il espère qu'avec de la persévérance, "on en viendra à bout. Ce ne sont plus que quelques individus isolés."

Enlèvement et interrogatoire

Isolées peut-être, mais ces individus suffisent à terroriser le jeune homme. Deux djihadistes ont tenté de l'enlever il y a deux mois. Tranquillement assis avec sa jeune épouse à la maison, Jamal a entendu son petit frère crier qu'il y avait des hommes armés à l'extérieur. Il a tenté de s'enfuir, mais a été emmené, menotté et sous la menace d'un pistolet, par les deux individus. "Ils me demandaient de dénoncer les infidèles. Ils ne voulaient pas d'argent, juste tuer."

Les deux djihadistes ont interrogé Jamal: qui collabore avec le gouvernement, qui sont les membres de sa famille, où se réunissent les hommes du village? "Ils voulaient tout savoir. Sincèrement, j'ai cru que c'était la fin", raconte le jeune homme. "Les djihadistes n'ont aucune pitié. Je me suis dit qu'ils allaient m'achever, me mettre une balle dans la tête. Je pleurais de ne plus jamais revoir ma famille." Mais Jamal sera sauvé par son père, qui abat les deux ravisseurs.

Dans les yeux du jeune Irakien, la peur a laissé place au désir de vengeance. Privé d'éducation par le groupe Etat islamique, sans emploi, le jeune homme n'a plus qu'une chose en tête: rejoindre l'armée pour combattre les terroristes, et offrir à ses enfants un avenir meilleur.


Noé Pignède