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samedi 30 janvier 2021

Tragédie du col Dyatlov: deux chercheurs suisses accréditent la thèse du procureur général russe

 

Sur les dix randonneurs expérimentés, seul Yuri Yudin, tombé malade au début de l'expédition et qui a dû faire demi-tour, a survécu. © Avec l'aimable autorisation de la Fondation du Mémorial de Dyatlov



Durant plus de 60 ans, l’on a tenté de déterminer la cause de la mort de ce groupe d’alpinistes lors de l'ascension d’un sommet de l'Oural du Nord, en 1959. Le nombre de théories quant à cet événement aussi tragique qu’énigmatique approchait la centaine, mais le bureau du procureur général a récemment communiqué les résultats de son enquête.

Le décès de ce désormais tristement célèbre groupe de touristes en 1959 aurait été provoqué par une avalanche, qui se serait abattue sur le col en raison d’une subite détérioration des conditions météorologiques. Cela a été annoncé le 11 juillet 2020 par Andreï Kouriakov, chef adjoint du bureau du procureur général du district fédéral de l'Oural.

Après l'avalanche, les membres de l’expédition auraient décidé de quitter leur tente de toute urgence, mais auraient ensuite succombé à des gelures et blessures.

« Après avoir quitté la tente, le groupe est parti ensemble, sans panique, sur 50 mètres. Ils sont allés jusqu’à une arête rocheuse. C'est un limiteur naturel pour une avalanche. Ils ont tout fait parfaitement bien. Mais voici la deuxième raison pour laquelle le groupe a été, disons, condamné à mort : il n'est pas revenu. Quand ils ont fait demi-tour, ils n'ont pas vu la tente », a-t-il déclaré, ajoutant que cette nuit-là, la visibilité était de 6 à 16 mètres.

Kouriakov a déclaré que les touristes avaient alors atteint une zone boisée et allumé un feu, qui a subsisté une heure et demie. Deux membres du groupe sont par la suite morts de gelures. Le reste a décidé de se séparer, a révélé l'enquête. Un groupe était dirigé par Igor Dyatlov, l'autre par Semion Zolotarev, un instructeur en tourisme.

« Le sous-groupe qui comprenait Dyatlov a commencé à ramper vers la tente sur ses traces. Les touristes ont gelé immédiatement lorsqu'ils ont quitté la zone forestière, la température y était de moins 40-45 degrés, avec un vent pénétrant », a expliqué le chef adjoint du bureau du procureur.

Le second sous-groupe s'est également dirigé vers la tente, après avoir fabriqué un revêtement de sol afin de mieux y adhérer, mais ils ont eux-mêmes provoqué un mouvement de neige et ont été projetés hors de ce revêtement et recouverts d'une couche de neige de trois mètres. Les alpinistes ont ainsi subi de lourdes fractures sous des tonnes de neige. Or, ce sont ces blessures mécaniques qui ont donné lieu à bon nombre de théories toutes plus diverses les unes que les autres pour expliquer les faits.

« Cela a été une lutte héroïque. Il n’y a pas eu de panique. Mais ils n'avaient aucune chance de s’en sortir dans ces circonstances », a souligné le bureau du procureur général.

Détails de l'expédition et affaire classée secrète

Selon le plan approuvé par la Commission urbaine d’itinéraire de la région de Sverdlovsk, la randonnée de janvier-février 1959 sous la direction d'Igor Dyatlov, étudiant en cinquième année du département d'ingénierie radio de l'Université technique d'État de l'Oural, devait durer de 16 à 18 jours. Les participants avaient prévu de parcourir 300km à skis et de gravir deux sommets – ceux d’Otorten et d’Oïka-Tchakour. Tous les participants avaient une expérience de la randonnée et l'équipement nécessaire. Le groupe était composé d'étudiants et de diplômés de l'université, et accompagné de l'instructeur Semion Zolotarev.

Pendant l'expédition, un des membres du groupe, Iouri Ioudine, a eu un problème à la jambe, et est donc retourné à Sverdlovsk (ancien nom d’Ekaterinbourg). Il a été le seul survivant (il est mort en 2013 des suites d’une longue maladie).

Avant le 14 février 1959, le groupe devait envoyer un télégramme depuis un point de l'itinéraire, le village de Vijaï, mais aucun touriste ne s'y est présenté. Le 20 février, la recherche du groupe a par conséquent commencé. Le 26 février, sur un col situé à 300 mètres du sommet de la montagne Kholatchakhl, plus tard appelé col Dyatlov, l'équipe de recherche a trouvé une tente avec les effets personnels et les documents du groupe. Le lendemain, à une grande distance de là, ils ont découvert le corps de quatre membres du groupe, dont Dyatlov. La dépouille des autres a été retrouvée en mars et en mai de la même année.

Dès que les défunts ont été découverts, une enquête a été ouverte. À l'époque, l'examen médico-légal a conclu que six des participants étaient morts de froid, et que trois autres avaient des fractures, qui auraient pu être causées par une « force irrésistible », dont l'enquête n'a pas pu identifier la source.

Le 28 mai 1959, le bureau du procureur de la région de Sverdlovsk a abandonné l’enquête, citant comme cause du décès la formulation vague « une force spontanée que ces personnes n'ont pas été en mesure de surmonter ».

L'affaire elle-même a été classée secrète en raison, selon le bureau du procureur, d'un document qui décrivait des méthodes secrètes d’éclaircissement d’informations pendant l'enquête. Tous les autres matériaux ont été classés en raison de ce document.

L'histoire de la mort du groupe n'a ainsi été connue en Russie et dans le monde entier que dans les années 90. De nombreux livres, ainsi que des documentaires et des longs métrages, ont depuis vu le jour au sujet de cette mystérieuse histoire.

Au total, le bureau du procureur a étudié 75 versions de l'incident, et certaines comprenaient l’implication d’OVNI, de tests de missiles, d’une explosion nucléaire, d’un ouragan, d’un tremblement de terre, d’une avalanche, ou encore d’espions étrangers. La plupart de ces théories a néanmoins été écartée au cours de l’enquête.

Lors de la conférence de presse, le bureau du procureur général a finalement déclaré que la pente où se trouvait le groupe était propice aux avalanches, et a suggéré au département du ministère des Situations d’urgence et au gouverneur de la région de Sverdlovsk de la sécuriser.

L'Université fédérale de l'Oural a de son côté recommandé aux touristes de renoncer aux expéditions vers le col Dyatlov.

« Formellement, c'est la finale. Le sujet est clos », a conclu Kouriakov.

« Les proches ne seront pas d'accord avec cette conclusion »

Evgueni Tchernoussov, avocat du fonds public à la mémoire du groupe Diatlov, est toutefois en désaccord avec la version du bureau du procureur général.

« Les parents ne seront pas d'accord avec cette conclusion, […] seule la version anthropique [est possible]. En fait, cette enquête n'a rien donné », a-t-il déclaré.

En réalité, l’enquête du parquet s’avère par ailleurs avoir été menée illégalement, étant donné que l’affaire avait été classée et que réaliser une enquête n’est possible que lorsqu’une affaire demeure ouverte, a précisé Tchernoussov.

Il a été soutenu par Iouri Kountsevitch, responsable du Fonds à la mémoire du groupe Dyatlov, qui a également souligné que ce dernier insistera sur la reprise des actions d'investigation sur la mort de ces jeunes gens.

Deux chercheurs suisses apportent des réponses 

La réalité peut de temps en temps dépasser la fiction, elle se limite souvent aux explications les plus simples. Ainsi, une étude menée par deux chercheurs suisses corrobore aujourd'hui la thèse de l'avalanche, a annoncé jeudi l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Leurs conclusions appuient la thèse avancée l'été dernier par la justice russe, qui avait rouvert l'enquête début 2019, sans pour autant convaincre l'opinion publique.

Les contre-arguments sont a priori nombreux: aucun signe évident d'avalanche ou de débris signalé par l'équipe de secours, un angle moyen de la pente pas suffisamment raide pour une avalanche (inférieur à 30°) ou encore des blessures atypiques sur certaines victimes.

Configuration de la tente du groupe Dyatlov installée sur une surface plane après qu'ils aient fait une coupe dans la pente sous un petit épaulement. Le dépôt de neige au-dessus de la tente est dû au transport de la neige par le vent. 
© Gaume/Puzrin


Ainsi, dans leur enquête publiée le 28 Janvier dans "Communications Earth & Environment", un journal du groupe Nature, les chercheurs se sont efforcés de démonter ces contre-arguments. On peut en trouver un résumé sur le site de l'EPFL.

Les deux chercheurs restent malgré tout prudents sur les résultats, et précisent qu'une bonne partie du mystère demeure. Ils disent toutefois fournir des "preuves solides que l'hypothèse de l’avalanche est plausible".

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