Plus d’un siècle après la mort de la légendaire espionne Mata Hari, les services de renseignement suisses ont enfin leur premier cadre féminin de haut niveau. Ou du moins le premier dont le nom ne soit pas top secret.
Aujourd’hui procureure fédérale, Juliette Noto occupera le poste de cheffe de l’analyse au Service de renseignement de la Confédération (SRC) à partir du 1er mai. Elle remplace le vétéran Jürg Bühler, promu suppléant du chef du SRC, Jean-Philippe Gaudin.
Mais alors que la promotion de Bühler a été annoncée dans un communiqué de presse, le transfert de Juliette Noto n’a fait l’objet d’aucune publicité. Pourtant, cette francophone de 50 ans, originaire de Suisse orientale, sera la première femme à siéger à la direction d’un service de renseignement suisse.
En jupe noire face aux islamistes
Juliette Noto laissera un vide au sein du Ministère public de la Confédération (MPC). Elle y était responsable de la lutte contre le terrorisme. La grande majorité de ses accusés étaient des hommes – et dans certains cas, des islamistes ouvertement misogynes.
Juliette Noto a dû encaisser des remarques désagréables pendant ses interrogatoires. Par exemple quand elle a interrogé le principal suspect de la cellule de l’État islamique de Schaffhouse au sujet d’une clé USB qui aurait contenu des plans terroristes: «Voulait-elle parler d’un préservatif?» a demandé Osamah M.
Juliette Noto a fait comparaître cet Irakien et trois de ses compatriotes devant le Tribunal pénal fédéral. Face à la Cour, qui exige que les parties se présentent «en tenue sombre et discrète», la procureure a prononcé son réquisitoire en talons hauts et jupe noire fendue s’arrêtant aux genoux. Comme pour montrer qu’elle ne se laisse pas impressionner.
L’Irakien a été condamné, comme la majorité des djihadistes que Juliette Noto a mis en accusation. Mais la peine s’est avérée plutôt légère: 44 mois de prison. Un fait davantage dû à la faiblesse des lois suisses qu’à la personnalité de la procureure.
Juliette Noto avait rejoint le MPC il y a dix-neuf ans, après un passage au service juridique de l’état-major de l’armée. La Thurgovienne a étudié le droit à Saint-Gall, puis les sciences politiques et le droit à Paris. Grâce à sa mère francophone – son nom complet est Juliette Noto Lherminé – et au temps passé en France, elle a pu mener des procédures dans les deux langues. Récemment, elle a même été considérée comme une candidate possible au poste de procureur général de la Confédération.
Mais, selon Juliette Noto, le poste ne la tentait pas particulièrement: «Je me suis consacrée corps et âme à mon travail au MPC pendant dix-neuf ans, dit-elle. Maintenant, je cherche un nouveau défi dans un domaine similaire mais plus large. Mon nouveau poste impliquera toujours le terrorisme, mais aussi l’extrémisme violent, l’espionnage, la cybercriminalité et la prolifération.»
Une spécialiste pour 70 affaires
Juliette Noto est longtemps restée la seule procureure spécialisée travaillant sur les quelque 70 affaires djihadistes traitées par le MPC. Elle a pu conclure des enquêtes importantes – contre l’«émir de Winterthour» ou la direction du Conseil central islamique de Suisse – avec des condamnations en première instance.
Rare bémol dans cette carrière impeccable: durant la procédure sur les djihadistes de Schaffhouse, un témoin avait affirmé avoir rencontré un membre de la cellule dans une mosquée de Winterthour. Juliette Noto n’avait pas demandé de quelle mosquée il s’agissait. Ce lieu de prière, la mosquée An’Nur, s’est plus tard révélé être l’un des principaux foyers de radicalisation des candidats au djihad en Syrie.
Thomas Knellwolf
Kurt Pelda