Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 9 janvier 2021

« Archange Foudroyant », la première bavure de l’armée française au Mali

 

Deux jeunes Français, un bar, un commando djihadiste

Le vol d’Air France, ce jour-là, avait trois heures de retard. Vincent en est descendu joyeux et excité, à la nuit bien tombée : c’était son premier voyage en Afrique. Il était 19h30 quand Antoine l’a récupéré et ramené en ville à bord de sa 2 CV. Antoine s’apprêtait à épouser, la semaine suivante, son amoureuse nigérienne, Rakia Hassane Kouka, rencontrée lors d’un précédent séjour, en juillet 2009. Après avoir mangé sur le pouce, les deux amis se sont rendus au Toulousain pour tuer le temps en attendant l’arrivée par un vol de nuit d’un autre invité de la noce. Ils étaient six autour de la table, la deuxième à partir de l’entrée, avec quatre amis nigériens d’Antoine.

Ils n’étaient pas là depuis longtemps lorsqu’une berline 4X4 Toyota blanche, vitres fumées, portant une fausse plaque d’immatriculation du Bénin, s’est arrêtée devant la porte du maquis, moteur allumé, à 22h40. A son bord, un commando au complet de la katibat Al Moulathamoune d’Al Qaida au Maghreb islamique : 8 hommes armés, parfaitement entraînés pour la mission.

Quatre hommes ont pénétré aussitôt dans le bar. Deux d’entre eux sont restés à la porte, l’un pour surveiller la rue, l’autre les clients à l’intérieur. Les deux autres, venus tout droit à la table des victimes, ont empoigné chacun par le bras Antoine et Vincent, leur intimant l’ordre de se lever. Comme ça n’allait pas assez vite, ils ont sorti leurs armes, des kalachnikov cachées sous leurs vêtements, les ont pointées sur les deux Français, les ont forcé à se lever et poussés vers la sortie. Ceux qui étaient autour de la table n’ont pas entendu grand-chose, à cause du bruit ambiant.

Une vaine tentative de résistance

Sur le trottoir d’en face, un garde national en permission poussant sa moto en panne voit toute la scène. Antoine sort le premier, traînant les pieds, attrapé par le cou puis poussé d’une main par un ravisseur et braqué de l’autre. Il reçoit un coup de crosse à la tête et est presque jeté dans la voiture. Un membre du groupe, resté à l’intérieur, le tire vers lui. Juste après, c’est le tour de Vincent. Il est poussé par deux hommes, résiste, se laisse tomber par terre. L’un des ravisseurs lui lance un coup de pied à la tête. L’autre le relève par le col de la chemise et le jette dans la voiture à son tour, par les deux portes arrière restées grandes ouvertes. Aussitôt, le chauffeur démarre. On appelle « Mohamed », et le dernier arrive, à la hâte, sortant du Toulousain. Il monte en courant dans la voiture. Son turban noir glisse et découvre une longue chevelure. Le véhicule tourne à gauche, sur la piste de latérite, portes arrière encore ouvertes sur quelques mètres, puis claquées. Antoine et Vincent sont assis par terre et crient sous les coups.

Dans la panique et la surprise, les rares poursuivants perdent très vite la piste du véhicule, sur la route menant vers Ouallam, au nord-ouest de Niamey. L’alerte est donnée immédiatement. Et tout le monde, Français comme Nigériens, comprend que les ravisseurs vont tenter de regagner leur base au Mali.

Une crevaison les force à s’arrêter plus tôt que prévu, pour changer la roue arrière droite, à la sortie de la ville. Dispositif militaire : deux hommes armés font le guet de chaque côté de la voiture tandis que trois autres s’occupent de changer la roue. Un villageois témoin par accident est tenu en respect par une arme. Il ne bouge pas. Il entend du bruit à l’intérieur du véhicule, comme des moutons se débattant.

Des embuscades aux poursuivants

Vers 23h00, le capitaine de la Garde nationale Ibrahim Alhadi, basé à Tillabéri, est prévenu. Le véhicule est signalé partant en direction du nord, vers Ouallam. Le capitaine connaît très bien la région. Avec son collègue gendarme, le capitaine Aboubacar Amankaye, également basé à Tillabéri, ils font faire le plein de deux pick-ups militaires, transportant respectivement 12 gardes et 11 gendarmes. Et ils s’élancent sur les pistes.

A 52 km de Tillabéri, un véhicule arrivant tous feux éteints sur leur droite fait demi-tour à leur approche. Ce sont eux.  La poursuite s’engage. Les consignes sont de tirer dans les pneus pour ne pas blesser les otages. Le capitaine Alhadi est légèrement blessé à la jambe mais il donne l’ordre de continuer. Les gendarmes sont un peu plus loin derrière. Mais la berline des djihadistes est plus puissante. Elle les distance. Les gardes se font tirer dessus par des combattants déposés au sol périodiquement pour les prendre sous leur feu dans l’obscurité et les ralentir. Puis le chauffeur de la Toyota blanche revient les chercher et repart. Ces embuscades se succèdent. A la dernière, après cinq heures du matin, dans un champ de mil, le capitaine Alhadi est blessé sérieusement à la cuisse. Il faut l’évacuer. C’est la fin de la route pour les gardes.

Mais les gendarmes n’abandonnent pas. Le capitaine Amankaye, pas découragé par la puissance de feu et la détermination de l’ennemi, décide de continuer la traque. L’un des gardes monte avec eux pour les guider. La piste est si mauvaise que les gendarmes doivent décharger leurs armes, à cause d’incidents de tirs. Les heures passent. Pour soulager le chauffeur, le capitaine se met au volant.

Une dune, un chamelier, des fusillades

Un peu avant 9h00, un pick-up beige, renfort logistique sans doute positionné à la frontière, a rejoint la Toyota blanche. A son bord, trois hommes armés, trois fûts de 200 litres de carburant, une caissette de munitions et, sans doute, de la nourriture.

Un chamelier a repéré les traces de deux véhicules qui se suivent. Il le dit aux gendarmes. Un peu plus loin, à Akaba, côté malien de la frontière, un enfant confie avoir vu deux 4X4 sortir du village à l’instant.

A 10h, les gendarmes tombent sur un bivouac des djihadistes sous un acacia, en haut d’une dune. Ils ont tendu une bâche devant les deux véhicules et sont en train de manger. A la vue des gendarmes, ils ouvrent le feu immédiatement, en criant « Allahou Akbar ». La moitié des gendarmes réussit à s’enfuir. Le chauffeur est tué. Le capitaine et trois autres gendarmes, blessés, sont faits prisonniers et jetés dans la caisse arrière de leur pick-up bleu. L’un des djihadistes prend le volant. Un autre prend place à l’arrière et adossé à la cabine, les surveille, les pieds sur leurs visages. Le tout n’a duré que quelques minutes. Le convoi reprend sa route, toujours vers le nord, dans la direction de Menaka. Il est 10h07.

« Archange Foudroyant », le fiasco

Alors qu’ils roulent en file indienne vers Menaka, en ce 8 janvier à 10h00, les onze djihadistes et leurs otages ignorent que la foudre va s’abattre sur eux. Un dispositif aérien de surveillance a été mis en place au début de la nuit et les véhicules sont repérés et suivis, du ciel, depuis trois heures du matin et, d’encore plus près, à partir de 7h00. Les militaires ont pu observer à distance les différentes fusillades, les arrêts des voitures, toujours à couvert, une courte pause mécanique. S’ils n’ont pas vu les otages français, ils ont pu estimer le nombre des combattants et leur armement.

« Archange Foudroyant » est monté en quelques heures. L’opération semble à la portée des moyens militaires du général Frédéric Beth, qui commande les forces spéciales, et du colonel Bruno Baratz, chef du groupement des forces spéciales Sabre. Les deux officiers supérieurs décident de mettre en œuvre une opération hardie, adaptée selon eux à la force de l’ennemi et aux moyens disponibles  et dont les contours tactiques sont déjà pensés.

Une étroite fenêtre de tir

Il s’agit d’intercepter le convoi des ravisseurs avant qu’il ne puisse atteindre les zones de repli traditionnelles du groupe terroriste de Mokhtar  Belmokhtar, dans l’extrême nord du Mali ou qu’il ne reçoive des renforts, d’ailleurs repérés par l’avion de surveillance à plusieurs dizaines de kilomètres de là : une dizaine de pick-ups lourdement armés, soit au moins 50 hommes.  

La fenêtre de tir est étroite, d’autant plus que les hélicoptères, qui doivent parcourir une longue distance par une météo défavorable, sont en bout de portée en termes de carburant. Les commandos se sont embarqués sans gilets pare-balle pour alléger au maximum la charge des appareils.

Au petit matin du 8 janvier, le dispositif se prépare : trois hélicoptères de combat Cougar, dont l’un muni d’une mitrailleuse 12,7 et deux groupes de 10 commandos chacun, soutenus par des troupes aéroportées en cas de nécessité.

L’enquête menée sur la mort des deux jeunes Français a permis d’établir à la seconde près la chronologie de l’intervention, qui n’a malheureusement pas réussi à sauver Antoine et  Vincent.

Les djihadistes ouvrent le feu

C’est à 9h36 qu’est confirmé le «vert action », donnant le top départ de l’action des forces spéciales.

A 10h20, moins de quinze minutes après la fusillade contre les gendarmes nigériens, le convoi des ravisseurs est rejoint par les trois hélicoptères, volant à très basse altitude. Mais l’effet de surprise est raté. Garés à l’abri de la végétation, les djihadistes sont déjà en position de combat, débarqués des véhicules et prêts à tirer. Deux d’entre eux, jaillis du 4X4 blanc, se mettent à couvert sous les arbres. Trois autres se postent devant le véhicule des otages. Le premier hélicoptère est pris à partie. Il reçoit une vingtaine d’impacts d’AK47. Ses deux tireurs d’élite, l’un couché à plat ventre, l’autre adossé à la carlingue, un pied sur le patin, devant les portes ouvertes, ripostent et placent un tir de neutralisation dans le moteur du 4X4 blanc, pour l’immobiliser. L’ordre n’est pas de détruire ce véhicule mais bien de le stopper.

Pendant ce temps-là, à 10h23, le deuxième Cougar dépose le premier groupe de commandos à 50 mètres du 4X4 blanc. Il s’agit d’attirer le feu des ravisseurs et de progresser au plus vite vers les otages pour les mettre en sécurité. Mais ce groupe est pris à partie immédiatement et doit reculer. L’un des commandos est blessé par un tireur couché sur le sable. Le groupe se replie donc en arrière pour mettre le blessé à l’abri.

Le deuxième groupe de commandos est déposé également en retrait, à 300 mètres du 4X4 blanc, car le troisième Cougar, qui les transporte, essuie des tirs et doit s’éloigner à distance de sécurité. Le pilote est blessé à son tour. Les hommes progressent à pied vers le 4X4 blanc, mais lentement, en raison des coups de feu qui retentissent, semblant venir du véhicule des otages.

Un pilote d’hélicoptère blessé

Entre 10h27 et 10h30, les fusillades se poursuivent. Un appui du premier Cougar est demandé par les commandos au sol. Le serveur de la mitrailleuse embarquée tire sur le pick-up beige, chargé de trois fûts de 200 litres d’essence, qui s’embrase immédiatement, à 10h30. Il enchaîne avec un tir aux alentours du pick-up bleu, d’où partent certains tirs et vise un combattant djihadiste, sans savoir s’il l’a touché.

A 10h33, le 4X4 blanc s’embrase aussi, après d’intenses échanges de tirs d’armes légères entre djihadistes et commandos français. Une colonne de fumée noire s’élève. Survolant le véhicule après ses manœuvres de tir, le serveur de la mitrailleuse remarque à deux reprises la portière arrière droite ouverte et un corps inerte face contre terre, jambes noircies à l’intérieur.

A 10h35, la surveillance aérienne repère cinq hommes s’éloignant en courant de la scène de guerre, vers l’est, prenant soin de se dissimuler au ras du sol en contrôlant leurs arrières.

Ratissage de la zone

Dès lors, si la scène continue de crépiter du bruit des nombreuses munitions qui éclatent sous l’effet de la chaleur, la situation se calme. Le soldat blessé est évacué en hélicoptère. Et juste après, à 10h52, un troisième groupe de commandos parachutistes est largué sur place, pour renforcer le dispositif, toujours sans nouvelle de la colonne de Belmokhtar repérée dans la région, tandis que les trois hélicoptères, à court de carburant, ont dû partir d’urgence se ravitailler à Menaka.

A 11h00, les militaires ratissent la zone. A pied, il n’est pas question de se lancer à la poursuite des djihadistes, qui se sont enfuis dans la brousse en profitant de la confusion et de la poussière soulevée par les Cougars.

C’est alors que les soldats français découvrent les corps.

Vincent, le bas du corps calciné, avec plusieurs plaies par arme à feu, à l’arrière du 4X4 blanc détruit et Antoine, 300 mètres à l’arrière des véhicules, avec une plaie par balle à l’arrière de la tête. Leurs mains sont entravées.  Deux gendarmes sont retrouvés mort dans la caisse du pick-up bleu. Abdou Alfari Siddo a eu la tête arrachée par une munition de gros calibre et le capitaine Aboubacar Amankaye est décédé entre les mains du médecin du détachement, d’une plaie par balle à la tête.  Les deux derniers, à en croire la revendication d’Al Moulathamoune, sont  Mohamed Ben Hamd Al Azawadi, Malien, et Moustapha Al Ansari, Nigérien, tous deux tués armes à la main. 

Dix ans d’enquête au Niger et en France

Passant par des phases très intenses et d’autres plus lentes, notamment avec la cadence des dossiers ouverts en France à partir de 2015, l’enquête a toutefois permis de répondre à plusieurs questions. Si elle n’est toujours pas achevée et si l’on ignore encore quelle sera son issue judiciaire, elle a beaucoup éclairé l’organisation de l’enlèvement à Niamey.

Des auditions de membres de prisonniers ayant appartenu à Al Qaida au Maghreb Islamique et l’exploitation de la téléphonie à partir des appareils et puces semés par le commando terroriste au long de sa folle cavale, ont, tout particulièrement, permis de mieux comprendre le déroulement des faits, à défaut d’identifier et d’interpeller les auteurs.

Plusieurs ravisseurs tués par l’armée française depuis Serval

Enfin, depuis le lancement de Serval, en janvier 2013, plusieurs protagonistes du dossier ont été arrêtés ou tués dans des frappes militaires. A commencer par le chef du groupe, Mokhtar Belmokhtar, tué en Libye par l’armée française mais dont la mort n’a jamais été officiellement confirmée. Joulebib, le chef du pick-up beige du Mali venu prêter main forte au commando le matin du 8 janvier, a également été tué par Serval, en 2013, en même temps que Fayçal l’Algérien, soupçonné d’être l’auteur de l’assassinat d’Antoine de Léocour.

Un membre de la katibat de Mokhtar Belmokhtar, appelons-le Mohamed, a été entendu en Mauritanie en décembre 2011. C’est le témoignage le plus proche sur la prise d’otage et son dénouement, émanant d’un membre du groupe qui n’y a pas participé mais s’est trouvé à proximité immédiate des auteurs.

Engagé à Al Qaida à la suite d’études religieuses, de rencontres de hasard et d’une profonde conviction salafiste, Mohamed part combattre au Mali dès 2007. Il se rend à Tombouctou où il est reçu par Talhat Al Libi, qui règne aujourd’hui sur la même région pour AQMI. .

Le récit des circonstances de la mort des otages

Le Mauritanien reçoit un entraînement militaire puis évolue dans le groupe où il devient, avec le temps, chef de véhicule, c’est-à-dire chef d’un commando de huit personnes, au sein du groupe des Moulathamine dont Mokhtar Belmokhtar est le chef. A l’époque, ce dernier commande une quarantaine de combattants, en majorité algériens. Le Mauritanien Al Hassan Ould A’Khalili, alias Joulebib, y est responsable de l’informatique. La brigade est administrée par un conseil (choura) composé de plusieurs des membres du commado du Toulousain, qui décident de la vie de la katiba et des actions à mener. Chacun des 9 véhicules du groupe est muni d’un lance-roquette, d’une mitrailleuse kalachnikov, d’un téléphone satellite Thuraya, d’un talkie-walkie et d’une radio.

Lors de l’enlèvement des deux otages, Mohamed est à Gao pour une autre mission. Mais le lendemain matin, de retour à la katiba, il apprend la nouvelle. On lui explique qu’un homme originaire du Nigeria et membre de Boko Haram s’est chargé du repérage du restaurant où se trouvaient les Français. Un véhicule de la katiba caché à Niamey a été utilisé pour transporter le commando composé, selon Mohamed, de 5 Maliens, dont l’émir du groupe, de l’Algérien Fayçal Al Jazaïri et de deux Nigériens. 

Selon son récit, le véhicule aurait été rejoint, sur la route du retour, par un autre véhicule du groupe situé sur la frontière avec le Mali et transportant trois personnes : Joulebib, le chef, un autre Mauritanien et un Malien.

Fayçal l’Algérien entraîna Antoine derrière lui avant de le tuer

C’est à ce témAboin qu’on doit la précision sur les circonstances de la mort des deux otages. Au moment de l’assaut, dit-il, les deux otages étaient à bord du pick-up blanc, mains attachées, encore sains et saufs. Dès le début des tirs de l’armée française, les djihadistes sont sortis des véhicules pour échapper aux coups de feu. Fayçal l’Algérien tira derrière lui l’un des otages mais ce dernier n’avait  plus la force de le suivre et l’Algérien le tua avec sa Kalachnikov. C’est ainsi qu’Antoine perdit la vie. Quant à Vincent, laissé seul à bord de la voiture, il périt dans les flammes, suite aux coups de feu et en raison de la présence d’essence à bord du véhicule, toujours d’après Mohamed.

Les autres membres du commando réussirent à s’échapper en se faufilant dans une forêt. Puis ils se réfugièrent dans un quartier touareg, près de Menaka. Apprenant l’intervention des forces françaises mais sans en connaître l’issue, Mokhtar Belmokhtar décida d’aller prêter main forte à ses hommes. Mohamed faisait partie du convoi. Mais 100 km plus loin, ils reçurent un appel d’un membre de la katiba au Burkina Faso, sur le téléphone satellite, leur annonçant la mort de tous les ravisseurs. Ils décidèrent donc de rentrer à la base, dans le djebel Tkarkar. C’est ce convoi qui fut aperçu, peu avant l’assaut, par l’avion de surveillance français. Le lendemain matin, le chauffeur de Joulebib donna signe de vie par téléphone et demanda qu’on leur envoie des véhicules les ramener à la base.

Des contacts téléphoniques dans tout le Sahara

Dans trois voitures calcinées, de nombreux indices ont été recueillis par les militaires français : beaucoup de munitions et d’armes à feu, quelques objets et, surtout, des téléphones, des carnets de numéros, des puces, des pièces d’identité, ainsi que des billets de bus calcinés semblant correspondre au trajet effectué le 5 janvier par au moins deux des ravisseurs, sous de fausses identités, de Gao à Niamey, à bord de la compagnie Sonef. Une puce retrouvée par les enquêteurs a d’ailleurs été activée par l’un de ces passagers au niveau d’Ayorou, sur le trajet conduisant à Niamey, le même jour.

Le téléphone Thuraya  du pick-up blanc des ravisseurs a gardé la trace de nombreux messages et appels en absence toute la matinée du 8 janvier. Les points GPS de ses interlocuteurs dessinent la carte d’Al Qaida : Alger, le sud de l’Algérie, le nord du Mali, à la frontière algérienne et au nord de Gao. Les cartes SIM d’Orange Mali retrouvées sur les ravisseurs ont aussi conservé des numéros mauritaniens, des poèmes salafistes, des extraits du Coran, des cours de spiritualité soufie, des chants de guerre, des vidéos montrant des séances d’entraînement, des fichiers sur le tir embusqué ou le corps à corps.

Plusieurs puces téléphoniques d’Orange Niger, dont les numéros se suivent, semblent avoir été achetées pour les membres du commando qui ne les ont utilisées que le jour de l’enlèvement, pour communiquer entre eux et avec leur cellule d’appui logistique, à Niamey. L’une de ces puces a borné le 7 dans la soirée dans le quartier de la Francophonie, pour une unique utilisation. Un numéro malien entré en relation avec l’une de ces puces a été localisé à la frontière nigéro-malienne les 6 et 7 janvier, à Menaka peu après l’assaut, le 8 janvier, puis le 10 à Tessalit et à partir du 12 à Aghelhoc, base du groupe de Mokhtar Belmokhtar. Il est possible que celui qui utilisait ce téléphone ait été un élément de recueil du groupe supposé l’attendre à la frontière reparti ensuite vers le nord. Mais certains des interlocuteurs du commando à Niamey n’ont jamais quitté le Niger, ni même Niamey.

Un Nigérien revenu du Nigeria chargé du repérage

Ces investigations conduiront par la suite à l’interpellation d’un Nigérien, né en 1982 à Maradi, au Niger, puis grandi au Nigeria, où il a passé vingt-cinq ans avant de revenir à Niamey, pour se rapprocher de sa mère selon ses dires. Le numéro de téléphone d’Amadou fait partie des derniers numéros appelés par les utilisateurs d’une carte SIM et d’un téléphone Alcatel retrouvés lors de l’assaut final. Le téléphone d’Amadou semble aussi en relation avec celui d’autres personnes impliquées dans les préparatifs ou le soutien au commando ainsi que plusieurs numéros nigérians et maliens. Au moment de l’enlèvement, Boko Haram et AQMI entretenaient des relations cordiales, AQMI ayant accepté d’entraîner certains membres du groupe nigérian et de les approvisionner en armes.

Commerçant et marabout, issu d’un premier mariage de sa mère avec un militaire nigérian, Amadou va donner du fil à retordre aux enquêteurs. Soupçonné d’être le principal complice en charge du repérage, il  a reconnu être le titulaire du numéro de téléphone en relation avec les ravisseurs mais a dit ne pas s’expliquer ces appels, dont certains ont borné autour du Toulousain au moment de l’enlèvement. Il a été trouvé en possession de 7 puces, où l’on trouve la trace de nombreux appels au Nigeria, dont certains sur un numéro pouvant avoir été celui d’un Nigérian servant d’intermédiaire entre Boko Haram et Aqmi, Khaled Al Barnawi.

Boko Haram en appui logistique

Amadou est soupçonné d’avoir appartenu à Boko Haram, à Bauchi d’abord, puis à Kano et d’avoir fait venir deux autres membres de la secte, beaucoup plus jeunes, à Niamey. Des documents relatifs à des cibles potentielles de Boko Haram au Nigeria et dans les pays voisins, des noms de membres de la secte recherchés, un tableau de matériaux entrant dans la composition d’explosifs et même, une table de chiffrage, ont été retrouvés chez lui. Dans son téléphone, des films sur le maniement des armes, des terroristes au combat et l’hymne de Boko Haram.

Rien de tout cela n’émeut Amadou qui dit ne pas en avoir connaissance et se permet même quelques traits d’humour sarcastiques.

Enfin, les enquêteurs ont beaucoup travaillé sur les causes de la mort de Vincent, sa famille soupçonnant qu’il ait péri suite à un tir d’hélicoptère français sur le véhicule des ravisseurs. Cette hypothèse est désormais quasiment exclue. Ni les constatations sur le véhicule, ni les blessures du jeune homme, ni les très nombreux documents déclassifiés pour les besoins de l’enquête- observations, photos, chronologie de l’assaut – ni les auditions des acteurs d’Archange Foudroyant ne font état d’un quelconque tir de mitrailleuse embarquée sur le véhicule blanc. Au contraire : tous ces éléments concordent sur le déroulement de l’assaut et l’ordre de sauver les otages. Même si, comme raconté en deuxième partie de cette série, l’opération militaire française a malheureusement échoué, malgré ou à cause de son audace.

En revanche, plusieurs plaies par arme à feu, à la tête, au dos, au thorax, à l’abdomen et à la fesse attestent, comme les fragments de métal, de verre et de chemises de projectiles retrouvés sur son corps, de l’intensité des coups de feu échangés autour de lui, tandis que les traces d’essence sur sa peau orientent vers une cause possible de l’incendie du véhicule blanc.

Seul dans un véhicule abandonné portes grand ouvertes au milieu du chaos, mains attachées, Vincent a peut-être perdu connaissance sous l’effet d’une plaie produite par les tirs qui ont fait rage autour de lui alors qu’il s’apprêtait à descendre de la voiture. Son corps s’est affaissé et a été rattrapé par les flammes d’un bidon d’essence répandu dans un habitacle plein de munitions. Et c’est ainsi que Vincent perdit la vie, lui-aussi. A quelques instants et quelques mètres de son ami Antoine.

Nathalie Prevost

mondafrique.com