Le 8 octobre, le ministre de la Justice, Me Éric Dupont-Moretti mit de nouveau sur la table l’idée d’un encadrement militaire des jeunes délinquants en disant souhaiter établir un partenariat avec le ministère des Armées à cette fin. Et de suggérer, après avoir précisé qu’il s’en était entretenu avec Florence Parly, la ministre des Armées, qu’un dispositif inspiré du Service militaire volontaire [SMV] soit mis en place.
« Les choses ne sont pas encore faites car, techniquement, c’est compliqué. Les idées parfois jaillissent mais la mise en oeuvre est peu plus compliquée », avait par ailleurs admis le Garde des Sceaux. Et il ne croyait pas si bien dire…
Car, en effet, le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA], n’a pas caché ses réticences devant un tel projet, lors de son audition par la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense, le 14 octobre.
« Je suis toujours très prudent en ce qui concerne ces idées, d’abord parce que mon premier souci est de préserver les capacités des armées, leurs ressources humaines et les investissements que la Nation consent pour construire un outil de défense efficace pour ce pour quoi elles sont faites », a ainsi affirmé le général Lecointre.
« Ces armées sont faites pour faire la guerre, elles ne sont pas faites prioritairement pour participer à l’éducation ou à la ‘correction’ […] de la jeunesse délinquante », a fait valoir le CEMA.
D’ailleurs, a-t-il rappelé, des expérimentations de la même nature que celle envisagée par le ministre de la Justice ont déjà été conduites au cours des quarante dernières années. Or, elles « n’ont été que partiellement satisfaisante », a-t-il estimé. « La réalité, a continué le général Lecointre, est que quand on observe l’effort qu’elles ont représenté pour les armées et ce qu’elles ont réellement produit comme résultats en matière de ‘correction’ ou de réinsertion de ces jeunes délinquants, le rapport coût/efficacité est extrêmement décevant. »
Cependant, le CEMA n’est pas totalement fermé à une coopération avec les services du ministère de la Justice. Comme d’ailleurs pour le Service national universel, les armées peuvent éventuellement transmettre leurs savoir-faire.
Il est « vrai que les armées ont une pratique de la discipline, du commandement, de la capacité à créer de la cohésion ainsi qu’une pratique éducationnelle singulière » qui « donnent des résultats généralement satisfaisants », a souligné le général Lecointre. Mais pour autant, a-t-il poursuivi, « tout cela est orienté vers la mise en oeuvre de la force militaire et vers l’engagement au combat. Aussi, a-t-il estimé, « imaginer faire cela pour des jeunes délinquants est toujours extrêmement risqué. »
Pourquoi? Parce que, a développé le CEMA, « former des jeunes délinquants au combat pour ensuite leur permettre de retourner dans la société civile avec cette formation et la capacité à la mettre en oeuvre », n’est pas pas forcément une bonne idée. Mais telle n’est pas celle de Me Dupont-Moretti, qui, a priori, souhaite un accompagnement social et éducatif dans un cadre militaire.
Quoi qu’il en soit, le général Lecointre s’est dit « circonspect » sur ce sujet. Et la ministre, a-t-il affirmé, le serait tout autant. Et s’il est prêt à « des échanges avec le ministère de la Justice pour identifier et éventuellement transmettre les savoir-faire militaire » qui pourraient être utiles à l’éducation des jeunes délinquants, il n’a pas l’intention d’aller plus loin. « Les armées, aujourd’hui, sont calibrées pour être engagées en opérations […], avec une effort important de la Nation pour être réparées, reconstruites, mais certainement pas pour disperser leurs moyens dans d’autres choses », a-t-il répété.
Mais le CEMA est plus que « circonspect »… puisqu’il a même fait part de sa « méfiance » parce qu’il « ne faut pas pervertir les principes militaires et divertir les moyens et les ressources qui sont consacrés à un outil dont la vocation est d’aller faire la guerre. »