Pourquoi exécuter un otage que l'on a caché et nourri pendant quatre ans alors que l'on peut en obtenir une forte rançon ? « Au Sahel, les ravisseurs ont toujours prévenu que, si des forces spéciales tentaient de libérer les prisonniers, ces derniers seraient immédiatement tués. Or, la Suisse, qui est très peu présente au Mali, en a toujours référé à la France et n'a jamais rien entrepris dans ce sens », explique un expert du terrorisme proche des services de renseignements helvétiques. En clair, Berne n'avait ni l'intention ni les moyens d'envoyer un commando pour délivrer Béatrice Stockly, membre d'une société évangélique protestante de Bâle, enlevée à Tombouctou en janvier 2016 et abattue un mois avant la libération de Soumaïla Cissé, leader de l'opposition malienne, de la Française Sophie Pétronin, et de deux Italiens, le père Pier Luigi Maccali et Nicola Chiacchio.
La Suissesse n'a pas non plus perdu la vie lors d'une tentative d'évasion. L'ex-otage française Sophie Pétronin raconte, sur le site Mediapart, qu'après « un énième conflit » entre Béatrice Stockly et les djihadistes, « la Suissesse a été emmenée derrière une dune ». Puis il y a eu » un coup de feu ». On n'a plus jamais entendu parler de la malheureuse missionnaire. C'est ce « énième conflit » qui fait penser aux autorités suisses que quatre ans de captivité n'avaient rien fait perdre de ses convictions religieuses à la missionnaire évangélique bâloise. Bien au contraire. Béatrice Stockly, qui vivait déjà depuis plusieurs années au Mali, a déjà été enlevée une première fois en 2012 par les islamistes qui s'étaient emparés de Tombouctou.
Béatrice Stockly, une évangéliste prosélyte en terre musulmane
Elle avait été libérée au bout de neuf jours. Mais le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) lui demande de ne pas retourner au Mali, car les djihadistes menacent de la tuer. Beatrice Stockly ne se contente pas de s'occuper des enfants abandonnés, elle distribue des bibles et entend évangéliser les musulmans. Contrairement aux missionnaires catholiques, qui se gardent bien de faire du prosélytisme en terre d'islam, certains protestants évangéliques cherchent à tout prix à faire partager leur foi. Malgré les mises en garde de la Confédération et les avertissements des Églises chrétiennes de toutes obédiences, elle retourne au Mali en 2013. Trois semaines après son enlèvement le 7 janvier 2016, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) revendique ce rapt. Depuis, la missionnaire suisse est apparue à plusieurs reprises dans des vidéos d'Aqmi, puis du Groupe pour le soutien de l'islam et des musulmans (GSIM). La dernière vidéo, datée de juillet 2017, la montre vêtue de noir et apparemment très affaiblie.
Des inquiétudes et des interrogations
Alors, que s'est-il passé pour que les ravisseurs exécutent ainsi leur otage au bout de quatre ans ? Dans le quotidien Le Temps de Lausanne, l'ancien envoyé spécial de la Suisse au Sahel (Berne n'a pas d'ambassade à Bamako) confirme que la Confédération n'a jamais utilisé la force pour libérer Beatrice Stockly. « À chaque fois que l'on rencontrait les autorités officielles maliennes, les mouvements indépendantistes ou d'autres interlocuteurs internationaux, nous devions signaler notre très vive inquiétude à son sujet », déclare Didier Berberat, reconnaissant que l'absence diplomatique helvétique « sur place n'a sûrement pas arrangé les choses, mais elle ne suffit évidemment pas à expliquer la mort de Béatrice Stockly ».
Victime d'un djihadiste qui aurait « pété les plombs » ?
Ne faudrait-il pas chercher dans le prosélytisme inlassable de cette missionnaire la raison de son exécution ? « La garde des prisonniers est habituellement confiée à de jeunes djihadistes, souvent même très jeunes, qui professent un islam très radical. Or, Béatrice Stockly, de par son tempérament, n'a jamais cessé de s'opposer à eux. Pire : elles voulaient les convertir. Il n'est pas impossible qu'un de ces adolescents ait brusquement “pété les plombs” et lui a mis une balle dans la tête », avance un proche des services de renseignements. Ce serait une dramatique bavure. Dans ces conditions, Berne, qui affirme « tout mettre en œuvre pour connaître les circonstances exactes de cette exécution ainsi que le lieu où se trouve le corps de la victime », afin de rapatrier sa dépouille, recevra-t-il une réponse ? En Suisse, le débat est lancé : faut-il considérer Béatrice Stockly comme une martyre ?
Ian Hamel