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samedi 12 septembre 2020

Un nouveau commanditaire présumé des attentats de janvier 2015 identifié

 

Un nouveau nom pourrait être désormais associé aux attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, à Paris, et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes (20e arrondissement). Alors que le procès des auteurs présumés des attentats s’est ouvert, mercredi 2 septembre, devant la cour d’assises spéciale de Paris, l’identité d’un nouveau possible commanditaire vient d’être versée aux débats, comme l’a révélé Libération, vendredi. Des éléments que Le Monde a pu recouper et compléter.

Le nom de ce commanditaire présumé n’est pas très connu du grand public : il s’agit d’Abdelnasser Benyoucef, alias Abou Mouthana. Un Algérien né en 1973, passé par la France, qui a été un haut cadre de l’organisation Etat islamique (EI) où il était sans doute chargé des opérations extérieures. Présumé mort dans la zone irako-syrienne en 2016, l’apparition de son nom est liée à l’interrogatoire d’une de ses ex-épouses rentrée de Syrie fin 2019, se disant repentie de la cause djihadiste. Aujourd’hui incarcérée, elle l’a désigné lors d’une audition devant un juge d’instruction dans une procédure connexe, en février 2020.

Jeudi, le président de la cour d’assises spéciale avait annoncé le versement aux débats, par le parquet national antiterroriste (PNAT), de documents comportant des révélations importantes sur les attentats de janvier 2015. Mais il n’en avait pas dévoilé le contenu. Leur examen devait se faire durant les prochaines semaines d’audience. L’audition de l’ex-épouse d’Abdelnasser Benyoucef, une certaine Sonia M., âgée de 31 ans et désormais mère de trois enfants nés en Syrie, est d’ailleurs prévue au procès, par visioconférence, le 26 octobre.

« Il m’a dit qu’il avait aidé à ce que cela se fasse »

Dans sa déposition, Sonia M. s’avère assez affirmative sur le rôle qu’aurait pu jouer son ancien mari dans la préméditation de l’attentat contre l’Hyper Cacher : « Il m’a parlé de l’Hyper Cacher. (…)  Il m’a dit qu’il avait aidé à ce que cela se fasse. » Lors de cette confidence, son époux lui aurait aussi indiqué avoir eu un rôle dans l’attentat raté contre l’église de Villejuif (Val-de-Marne), en avril 2015, dans lequel avait péri une jeune professeure de fitness, Aurélie Châtelain. « Il m’a dit qu’il avait aidé à ce que cela se fasse pour les deux attentats », a ajouté Sonia M.

La jeune mère de famille, qui a eu deux enfants avec Abdelnasser Benyoucef avant son décès et a ensuite épousé un autre djihadiste, n’a toutefois pas donné beaucoup de détails sur la façon dont l’attaque a été organisée. « Il ne m’en a pas dit plus », a-t-elle précisé à la justice lors de son interrogatoire. Selon elle, en tant que femme, elle était maintenue à l’écart du « travail » de son mari. Abdelnasser Benyoucef étant présumé mort – même si les circonstances sont floues –, rien ne dit que ce témoignage permette d’aller plus loin que des suppositions. Il est néanmoins jugé très crédible par les spécialistes.

C’est en effet Sonia M. qui a aussi confié à la justice qu’Hayat Boumedienne était toujours vivante, remariée à un Tunisien polygame, et qu’elle l’avait croisée plusieurs fois au cours de ses années en Syrie, notamment en 2019, dans le camp d’Al-Hol, géré par les Kurdes, où elle a passé huit mois. Un camp dont elle s’est ensuite enfuie, comme l’ex-épouse religieuse d’Amedy Coulibaly, l’auteur de l’attaque contre l’Hyper Cacher. Ce témoignage a permis l’ouverture d’une nouvelle enquête judiciaire à l’encontre de la djihadiste, les investigations dans le cadre du dossier des attentats de janvier 2015 étant déjà closes lors de sa déposition.

Sonia M. avait quinze ans d’écart avec Abdelnasser Benyoucef. Elle l’a rencontré, en 2014, dans une madafa (maison de femmes), en Syrie. Cette native de Grenoble aux origines tunisiennes par son père, a en grande partie grandi dans un village de la Drôme de 1 000 habitants, au pied du Vercors. Titulaire d’un bac professionnel comptabilité, elle a un temps travaillé comme agent d’escale à l’aéroport de Roissy puis dans la restauration rapide. Elle a commencé à s’intéresser à l’islam à partir de 2013, et c’est essentiellement par le biais de la propagande de l’EI sur Internet qu’elle s’est radicalisée.

Le nom d’Abdelnasser Benyoucef vient aujourd’hui s’accoler à celui de Peter Cherif, soupçonné, lui, par la justice, d’être l’un des commanditaires de l’attaque contre Charlie Hebdo. Ce Français de 37 ans interpellé à Djibouti fin 2018 après sept années de cavale au Yémen, incarcéré en France, est pour sa part considéré comme le possible donneur d’ordre des frères Kouachi. La particularité des attentats de janvier 2015 est en effet d’avoir été revendiqué par deux organisations terroristes en même temps : Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) pour l’hebdomadaire satirique, et l’EI pour l’Hyper Cacher.

Selon nos informations, le 19 juin, le PNAT a toutefois rendu aussi un réquisitoire supplétif à l’encontre d’Abdelnasser Benyoucef afin d’étudier son éventuel rôle dans l’attaque contre Charlie Hebdo. Malgré l’ouverture du procès, une procédure judiciaire est toujours en cours pour enquêter sur l’entourage des frères Kouachi, sur lesquels les éléments demeurent maigres. Or, selon une note déclassifiée datant de 2013, Abdelnasser Benyoucef pourrait avoir été en contact avec Chérif Kouachi. Celui-ci a en effet fréquenté un garage où son entourage était actif.

lemonde.fr