mercredi 2 septembre 2020
C'était le KGB : retour sur la riche histoire des services secrets soviétiques
La Russie, nid d'espions... Dans une enquête fouillée, le spécialiste des pays de l'Est Bernard Lecomte revient sur l'épopée macabre du KGB, dont l'héritage pèse lourd.
"Celui qui ne regrette pas l'URSS n'a pas de coeur. Celui qui la regrette n'a pas de tête !" L'auteur de cette formule ambiguë à souhait est un ex-lieutenant-colonel du FSB, le service qui a succédé au KGB : Vladimir Poutine. Elle exprime bien la fascination qu'exercent toujours sur les esprits l'ancien Empire soviétique... et ses services secrets. Depuis la création de la Tchéka en 1917, le Russe aurait même l'espionnage dans la peau. Oh, pas l'espionnage sophistiqué, plein de gadgets à la James Bond. Non, l'espionnage artisanal, façon La Vie des autres, avec du matériel simple, des règles compliquées et beaucoup d'agents.
C'est un peu ce que l'on ressent à la lecture du livre de Bernard Lecomte, KGB. La véritable histoire des services secrets soviétiques (Perrin). Non seulement cette excellente enquête menée par un journaliste spécialiste des pays de l'Est se lit comme un feuilleton - et d'une certaine manière c'en est un -, mais elle nous montre comment cette structure politico-policière est devenue mythique au point d'avoir suscité un imaginaire prolifique qui s'est déployé dans la littérature et le cinéma. Il faut dire que le KGB, acronyme pour Comité pour la sécurité de l'État, n'a pas ménagé sa peine jusqu'à la chute de l'URSS en 1991, ne lésinant ni sur les assassinats, ni sur les déportations au goulag, ni sur les manipulations diverses, l'agit-prop ou les intrusions dans la politique des États démocratiques.
L'ivresse du pouvoir et celle de la vodka
Pendant sept décennies, l'organe, qui cumule les missions de renseignement et de maintien de l'ordre, sera, avec le Parti communiste et l'Armée rouge, l'un des acteurs majeurs de l'aventure soviétique. C'est lui qui dirigea le piolet de Ramon Mercader vers la tête de Trotski en 1940, enrôla les cinq agents doubles de Cambridge, dont le célèbre Kim Philby, et installa un mouchard chez Roosevelt lors de la conférence de Yalta qui permit à Staline de tirer les marrons du feu. C'est aussi a contrario de ce service que fuitèrent les informations du lieutenant-colonel du KGB Vladimir Vetrov, nom de code Farewell, vers la France sous la présidence de François Mitterrand (Vetrov était devenu un agent double pour la DST).
L'auteur revient longuement sur ceux qui ont dirigé successivement la Tchéka, le GPU, le NKVD ou le KGB, les Iejov, Beria, Serov ou Andropov, qui aimaient autant l'ivresse du pouvoir que celle de la vodka, autant d'ailleurs que le Petit Père des peuples, comme en témoigne la beuverie à la veille de sa mort. Il montre également le rôle des réseaux mis au point par Willi Münzenberg. Dès les années 1920, ce militant communiste allemand organise la propagande à destination des pays démocratiques. Il s'appuie pour cela sur des intellectuels relais qui jouent selon le mot de Lénine le rôle d'"idiots utiles" du totalitarisme soviétique. Bernard Lecomte n'est pas tendre, mais il n'a aucune raison de l'être, avec ces piètres penseurs qui ont participé à la grande mascarade organisée par les services secrets de Staline.
Ingérence dans la campagne américaine
Durant la guerre froide, KGB comme CIA ont propagé une vision manichéenne du monde qui a fait les beaux jours du roman et du cinéma populaires. Mais l'aventure sur grand écran occultait la terreur quotidienne que cette police exerçait encore sur le peuple russe. Egalement biographe de Jean-Paul II, l'auteur souligne le rôle dans la lutte pour la liberté de ce pape, ennemi désigné du KGB, qui le tenait à l'oeil - comme ses prédécesseurs : "Depuis la guerre de 1914-1918, le Vatican attire les espions comme la lumière attire les lucioles," écrit Lecomte.
Après l'effondrement de l'URSS, les méthodes artisanales ont fait place à des techniques plus sophistiquées venues de l'Ouest. En 2016, les services secrets américains ont accusé la Russie d'ingérence dans les élections américaines qui ont conduit à l'élection de Donald Trump. Mais les bonnes vieilles méthodes restent d'usage. Après la tentative de meurtre - attribuée aux services russes - dans un jardin anglais de l'ancien agent de Moscou Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia en 2018, le récent empoisonnement de l'opposant Alexeï Navalny, confirmé par les médecins allemands, tendrait à prouver que l'esprit KGB n'est pas mort...