jeudi 20 août 2020
Qui est le colonel Assimi Goita, le nouvel « homme fort » du Mali?
Réuni en urgence à la demande de la France et du Niger, le 19 août, le Conseil de sécurité des Nations unies a « fermement condamné » la « mutinerie » ayant conduit, la veille, à l’arrestation, puis à la démission du président malien, Ibrahim Boubacar Keïta. Et ila également « exhorté » les militaires à l’origine de ce coup de force à « libérer en toute sécurité et immédiatement tous les responsables détenus et à regagner leurs casernes sans délai », tout en soulignant la « nécessité urgente de restaurer l’État de droit et de progresser vers le retour à l’ordre constitutionnel. »
Seulement, pendant le Conseil de sécurité se réunissait, l’opposition politique au président Keïta, incarnée par la coalition M5-RFP [Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques], dont la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’influent imam Mahmoud Dicko fait partie, s’est dit prête à élaborer une transition politique avec les putschistes, voyant dans le coup d’État une « victoire du peuple malien ».
Désormais, le Mali est dirigé par un « Comité national pour la salut du peuple » [CNSP], lequel a assuré qu’il engagerait une « transition politique civile », via des élections générales devant se tenir dans « délai raisonnable » et dans le cadre d’une « feuille de route qui conduire vers un Mali nouveau ».
Et même s’il a dénoncé la politique menée par le président Keïta, ce comité, composé de cinq officiers supérieurs des Forces armées maliennes [FAMa], a dit vouloir continuer à travailler avec les forces internationales présentes au Mali [Barkhane, MINUSMA, Takuba, Force conjointe du G5 Sahel] et mettre en oeuvre les accords de paix d’Alger, dont l’application tarde toujours, cinq après avoir été signés par Bamako et les groupes armés rebelles touaregs.
Parmi ces cinq officiers, quatre ont rapidement été identifiés. Ainsi, le colonel-major, Ismaël Wagué, numéro deux de la force aérienne malienne, s’est présenté comme étant leur porte-parole. C’est d’ailleurs lui qui a lu la première déclaration du CNSP.
Le plus gradé des putschistes est le général Cheick Fanta Mady Dembele. Passé par l’École spéciale militaire [ESM] de Saint-Cyr – Coëtquidan [promotion « Général Guillaume » – 1990-1993] et l’université de l’armée fédérale allemande, diplômé de l’école d’état-major général de Koulikoro et titulaire d’une licence en histoire de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne ainsi que d’une maîtrise en génie civil, il était jusqu’à présent le directeur général de l’institution de maintien de la paix Alioune Blondin Beye, après avoir été chargé de la gestion des conflits et de la planification stratégique à la Commission de paix et de sécurité de l’Union africaine. Son rôle dans le coup d’État n’est pas encore clair.
Décrit, pendant un temps, comme étant le « nouvel homme fort » de Bamako, le colonel Sadio Camara, né en 1979, a servi dans le nord du Mali jusqu’en 2012. Puis il a pris le commandement de l’académie militaire de Kati. Un poste qu’il a occupé jusqu’en janvier 2020, avant de partir en Russie pour y suivre une formation militaire. Il était revenu, en permission, au Mali au début du mois d’août. Mais contrairement à ce qui a pu être dit quelques heures après le putsch, ce n’est pas lui qui tirerait les ficelles.
Autre officier ayant suivi un stage en Russie, le colonel Malick Diaw était le chef adjoint du camp Soundiata Keïta, à Kati. Celui d’où est parti la « mutinerie ». Il est désormais le « vice-président » du CNSP.
Le dernier officier à avoir été identifié est le colonel Assimi Goita. Dans une courte déclaration devant la presse faite après avoir rencontré les hauts fonctionnaires maliens au ministère de la Défense, il s’est en effet présenté comme étant le « président du Comité national pour le salut du peuple »,
« Le Mali se trouve dans une situation de crise sociopolitique, sécuritaire. Nous n’avons plus le droit à l’erreur. Nous, en faisant cette intervention hier, nous avons mis le pays au-dessus [de tout], le Mali d’abord », a déclaré le colonel Goita. « Il était de mon devoir de rencontrer les différents secrétaires généraux pour que nous puissions les assurer de notre soutien par rapport à la continuité des services de l’Etat », a-t-il expliqué. « Suite à l’événement d’hier [18/08] qui a abouti au changement de pouvoir, il était de notre devoir de donner notre position à ces secrétaires généraux pour qu’ils puissent travailler », a-t-il insisté.
Les informations sur cet officier sont parcellaires. On sait qu’il était le commandant du Bataillon autonome des forces spéciales et centres d’aguerrissement, créé en mai 2018 [.pdf]. Cette unité travaille régulièrement avec les forces américaines, en particulier dans le cadre des exercices « Flintlock ». C’est d’ailleurs à l’occasion de l’un d’entre-eux que le colonel Goita a fait parler de lui dans un article publié sur le site Internet de l’organisation « Spirit of America », proche du Pentagone et du département d’État.
Sur les réseaux sociaux, il est dit que le colonel Goita a pris part aux combats de Boulikessi [30 septembre 2019] et qu’il a été fait prisonnier en 2012 à Tinzawatene, dans le nord du Mali, par le Mouvement national de libération de l’Azawad [MNLA, rébellion touarègue], avant d’être libéré grâce à l’imam Dicko.
Même s’il assure n’avoir aucune ambition politique, il reste à voir dans quelle mesure ce dernier a influencé le coup d’État contre le président Keïta, auquel il s’opposait vigoureusement après l’avoir soutenu.
Ancien président du Haut Conseil islamique malien ayant lancé, en septembre 2019, la « Coordination des mouvements, associations et sympathisants » non sans arrière pensée politique, et apparemment proche de la fondation turque Maarif, l’imam Dicko a une vision rigoriste de l’islam, à l’opposé du rite malékite, majoritaire en Afrique de l’Ouest. Et son influence est telle qu’il a quand même réussi à obtenir la démission de Soumeylou Boubèye Maïga, qui, alors Premier ministre, avait notamment refusé de discuter avec le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM], lié à al-Qaïda.
Et pour cause : l’imam Dicko assure qu’il faudrait négocier avec les jihadistes, à l’image de ce qu’ont fait les États-Unis avec les taliban en Afghanistan. Et cela d’autant plus qu’il partage « quelques valeurs » avec ces derniers. Mais, comme le souligne Le Point, celui qui se voit volontiers comme un « faiseur de roi « se garde bien de franchir la ligne rouge. Il choisit toujours de prononcer des propos ambigus. Une tactique vue ailleurs chez des islamistes qui cherchaient à prendre le pouvoir. »
D’ailleurs, pour l’hebdomadaire, les négociations que souhaite l’imam Dicko avec les jihadistes risquent de leur « offrir le pays sur un plateau ». Et d’insister : « Ils pourraient obtenir par la palabre ce qu’ils n’ont pas obtenu jusqu’ici par le fusil. Une configuration qui placerait les militaires français de l’opération Barkhane […] dans une position bien inconfortable », estime-t-il.
En attendant, le coup d’État va compliquer grandement la tâche des militaires et des diplomates français au Sahel. « Il faut se concentrer sur le retour d’un pouvoir civil et de l’état de droit, avec une autre priorité: ne pas perdre l’engagement dans la lutte contre le terrorisme », a souligné le président Macron, le 19 août.
Reste que le putsch envoie de mauvais signaux. Au Sahel, certaines forces armées ont subi des réformes, quand elles n’ont pas été sciemment affaiblies, pour éviter de les voir se lancer dans un coup d’État [comme cela s’est produit à plusieurs reprises par le passé, comme encore en 2015, au Burkina Faso, ndlr]. Ce qui explique en partie la progression des groupes terroristes dans la région. Or, justement, l’un des des aspects de la stratégie française est de développer les capacités de ces forces armées locales pour qu’elles puissent assurer seules le combat contre les groupes armés terroristes [GAT]… Qu’en sera-t-il désormais?
Enfin, au-delà des aspects opérationnels, notamment au niveau des relations avec le G5 Sahel et sa force conjointe, le coup d’État malien va sans doute refroidir les partenaires européens de la France [qui n’étaient d’ailleurs pas déjà « très chaud »] à s’impliquer davantage au Sahel, en particulier de la force Takuba.