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mercredi 26 août 2020

Quel est le poison qui a failli tuer Navalny ?


Le Novitchok est un puissant neurologique très délicat à manipuler
© Woody Alec, Adobe Stock 


L'opposant russe Alexei Navalny est toujours en soins intensifs dans un hôpital de Berlin, plongé dans un coma artificiel depuis le 23 août dernier. Son état de santé est jugé « grave » mais « sa vie n'est pas en danger », estiment les médecins. La piste de l'empoisonnement semble se confirmer : l'hôpital a annoncé le 24 août que les résultats cliniques indiquent « une intoxication par une substance du groupe des inhibiteurs de la cholinestérase ».

Cette classe de molécules organophosphorées comprend des neurotoxiques puissants, tels que le sarin, l'agent XV, le soman ou le Novitchok. Ce dernier avait servi pour la tentative de meurtre de l'ex-agent russe, Sergueï Skripal, et de sa fille, Ioulia, à Salisbury (Royaume-Uni) en 2017. L'agent XV avait été utilisé lors de l'assassinat d'un demi-frère du dictateur nord-coréen Kim Jong-un, Kim Jong-nam, à l'aéroport de Kuala Lumpur en 2017. Les inhibiteurs de la cholinestérase sont toutefois aussi couramment employés comme pesticides ou pour la désinfection de locaux agricoles.

Le Novitchok, mis au point dans les années 1970 en Union soviétique, est très apprécié pour les empoisonnements, car il est composé d'ingrédients autorisés de façon individuelle et ne révèle sa toxicité qu'une fois les composants mélangés. On peut donc facilement le transporter ni vu ni connu.

Ces agents neurotoxiques sont cependant aussi très délicats à utiliser, car ils sont aussi toxiques pour l'empoisonneur que pour sa cible. « Une goutte de XV sur la peau suffit à tuer un homme de 100 kg», atteste Julien Legros, spécialiste des antidotes au CNRS à Rouen, dans Le Monde.

Un thé empoisonné ?

Alexei Navalny a été photographié en train de boire un thé à l'aéroport de Tomks, en attendant son embarquement pour Moscou. Ce serait la seule substance qu'il aurait absorbée ce matin-là. Peu après le décollage, on peut l'entendre hurler littéralement de douleur sur une glaçante vidéo diffusée par une chaîne de télévision russe.




L'opposant russe est actuellement traité par atropine, un anticonvulsant. La pralidoxime, qui réactive les cholinestérases, y est habituellement associée. Ces médicaments doivent être administrés le plus rapidement possible après la contamination, sans quoi les dégâts sont irréversibles. Il est d'ailleurs extrêmement probable que Navalny souffre de séquelles à long terme (troubles neurologiques, gain de poids, perturbations hématologiques, augmentation du poids du foie, des reins, de la thyroïde, diminution de la survie et risque de cancer).

Les médecins russes ont tout fait pour retarder le diagnostic

Il sera sans doute difficile de remonter la piste exacte de l'agent neurologique qui a empoisonné Navalny : plus le temps passe, plus les métabolites présents dans son organisme sont dégradés. Or, les médecins russes ayant pris en charge le leader russe à Omsk, après son malaise dans l'avion, ont indiqué avoir cherché « un large éventail de stupéfiants, substances synthétiques, psychodésiques et médicinales, y compris les inhibiteurs de la cholinestérase » et n'avoir rien trouvé de tel.

Ils ont pour leur part évoqué un « déséquilibre alimentaire », à savoir une « chute brutale du taux de sucre dans le sang » (hypoglycémie). Une affirmation évidemment complètement contradictoire avec le diagnostic des médecins allemands et qui ne peut que refléter une volonté de cacher la substance absorbée par Navalny.

Les inhibiteurs de la cholinestérase agissent en bloquant une enzyme réalisant en temps normal l’hydrolyse de l’acétylcholine, un médiateur chimique de la transmission de l’influx nerveux et du système parasympathique. Les symptômes incluent vomissements, incontinence, difficultés respiratoires, faiblesse musculaire, paralysie, confusion, apnée, convulsions, puis coma jusqu’à la mort par asphyxie. Ces poisons peuvent se présenter sous différentes formes, en version liquide (un fluide incolore qui peut être mélangé dans de la nourriture ou jeté sur la peau) ou en version solide (poudre ultrafine inhalée par le nez).

Céline Deluzarche