Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 8 juillet 2020

Daech à l'origine de la drogue du Djihad destinée à la Suisse ?



Daech aurait produit 84 millions de comprimés d'amphétamines qui ont été saisis
Mais tous ne croient pas à cette version officielle



La police italienne a annoncé mercredi dernier la saisie record de 14 tonnes d'amphétamines, sous la forme de 84 millions de comprimés de captagon «produits en Syrie par Daech». Reste que l’origine réelle de cette immense cargaison fait débat. Pour la police italienne, la drogue porte la signature de l’État islamique. Mais le «Spiegel» ne croit pas à cette thèse officielle.

Le colonel Domenico Napolitano, commandant de la police financière de Naples, a expliqué qu’il s’agit «de la saisie d'amphétamines la plus importante jamais réalisée par des forces de police au niveau mondial.» Cette prise réalisée dans le port de Salerne (au sud de Naples) a une valeur d'un milliard d'euros sur le marché, selon le communiqué de la police italienne.

Marqués par le symbole du captagon

Les comprimés sont marqués par deux demi cercles, le symbole du captagon, un médicament classé comme produit stupéfiant et utilisé pour «financer le terrorisme», d'après le communiqué.

«On sait que l'Etat islamique finance ses propres activités terroristes surtout par le trafic de drogue synthétique produite en Syrie, qui pour cette raison est devenue ces dernières années le premier producteur mondial d'amphétamines», est-il souligné.

Selon l'enquête chapeautée par le parquet de Naples, la drogue se trouvait dans trois conteneurs suspects, contenant des cylindres de papier à usage industriel et des roues métalliques.

Une société basée à Lugano

Le quotidien «La Repubblica» a révélé pour sa part que la cargaison devait être expédiée à une société suisse basée à Lugano, propriété de ressortissants italiens.

Quel rôle joue la société suisse impliquée? On n’en sait rien pour l’instant. La drogue serait-elle réellement venue en Suisse? Difficile à dire. Mais si c'est le cas Lugano n’était certainement qu’une étape de transit avant que les amphétamines ne soient acheminée ailleurs. «Des enquêtes sont actuellement en cours pour déterminer qui était le véritable destinataire de la drogue», écrit «La Repubblica».

L'enquête avait démarré il y a trois semaines, précisait l’AFP, lorsque la même unité d'enquête de Naples spécialisée dans le crime organisé avait intercepté un conteneur de vêtements de contrefaçon, dissimulant 2.800 kg de haschich et 190 kg d'amphétamines sous la forme de plus d'un million de pilules de captagon.

Cette première cargaison, envoyée par une société syrienne, avait attiré l'attention des douaniers, car elle était destinée à la Libye à travers une société suisse, selon des informations de «La Repubblica». Les trois nouveaux conteneurs interceptés la semaine dernière étaient expédiés par la même société syrienne à la même entreprise suisse, ajoute le journal.

La «drogue du djihad»

Les enquêteurs estiment qu'un «consortium» de groupes criminels est à la manoeuvre, car les 85 millions de comprimés peuvent satisfaire un marché de taille européenne. Selon une hypothèse, il pourrait s'agir d'un «cartel» de clans de la Camorra (mafia napolitaine).

La police italienne souligne que le captagon, vendu dans tout le Moyen-Orient, «est très répandu chez les combattants pour inhiber la peur et la douleur». Il a aussi par exemple été pris par des terroristes lors de l’attaque du Bataclan en 2015, écrivait la police. Ce qui lui a valu le surnom de «drogue du djihad» ou «drogue de Daech» - «Isis drug», en anglais.

Daech trop faible

Le «Spiegel» est ensuite revenu sur cette annonce et explique ne pas croire la version servie par la police italienne. Pour le média allemand, Daech n’a pas ou en tout cas plus la capacité de produire et distribuer une telle quantité de drogue. Ses derniers combattants, dispersés dans le désert syro-irakien, sont «loin des villes et surtout de tout port maritime».

Il est ensuite rappelé que d’autres saisies d’importantes cargaisons de captagon ont eu lieu précédemment. Et que toutes provenaient du port syrien de Lattaquié, qui serait contrôlé par la famille du président syrien Bachar el-Assad.

Un «vaste réseau de proches du clan Assad»

Le «Spiegel» pointe ensuite un oncle de l'homme fort du pays, qui dirigerait «une des usines produisant du Captagon appartenant à la famille Assad», non loin de Lattaquié. Puis affirme que selon ses recherches un «vaste réseau de proches du clan Assad» est bien le producteur et expéditeur de la drogue saisie en Italie. Et de conclure que la vérité a probablement été dissimulée pour ne pas ternir les relations entre Rome et Damas.

Sans pointer du doigt le clan Assad, d’autres ont douté que Daech soit à l’origine de la drogue. Chercheur à l’Université de Pavie et spécialiste en terrorisme international, Francesco Marone a estimé dans «Le Temps» que c’était «impossible». L’Etat islamique «ne contrôle plus aucun territoire en Syrie depuis un an. Il ne se trouve plus dans aucune ville ou village, sa présence dans le pays est aujourd’hui clandestine», a-t-il détaillé.

Renaud Michiels
AFP