On dirait une bande-annonce pour un film d'espionnage. Tout y est : l'intrigue au siège de la CIA, le suspense, la mission clandestine et bien sûr une flopée de jolies espionnes qui se débrouillent pour obtenir une clé USB d'un ministre étranger… Sans oublier le patriotisme de rigueur. « La plupart des gens ne verront jamais votre travail », déclare un instructeur de l'agence à une classe de nouvelles recrues. « Votre plus grande récompense, c'est de savoir que vos efforts aideront à assurer la sécurité de tous les Américains… La nation compte sur vous pour découvrir la vérité. »
Il s'agit en fait d'une pub de recrutement lancée par la très discrète CIA et qui est destinée à être diffusée sur Internet. Une grande première. Le film, très léché, est intitulé : Découvrez la CIA : votre pays compte sur vous.
L'agence n'a jamais eu de difficultés pour recruter de nouveaux espions. Elle reçoit chaque année une multitude de candidatures. Mais elle est confrontée à plusieurs types de problème. D'abord, alors que les ennemis se concentrent de plus en plus sur les cyberattaques, elle se retrouve à chasser sur les mêmes terres que le secteur high-tech pour embaucher des ingénieurs et des spécialistes de sécurité informatique.
Ensuite, la CIA, qui traditionnellement recrute dans les facs prestigieuses comme Yale, pâtit d'un manque de diversité au sein de ses employés. Selon un rapport en 2015, « le haut management de l'Agence était devenu sur les vingt dernières années moins divers ». En clair : trop blanc. C'est pour cela sans doute que le spot télé met en scène toutes sortes d'acteurs issus de minorités, des Asiatiques, des Indiens, des Noirs, dont un qui ressemble étonnamment au président Obama, y compris la voix, ce qui n'est sans doute pas une coïncidence.
L'utilisation constante des réseaux sociaux par les jeunes générations complique aussi le recrutement. Comment protéger la couverture d'un espion qui a partagé sur Facebook des détails intimes depuis la maternelle ? Comment l'envoyer clandestinement dans un autre pays quand il a posté des photos de lui sous toutes les coutures sur son compte Instagram ? « Du point de vue d'un agent qui essaie de créer et de garder sa couverture – peut-être l'élément le plus fondamental de l'espionnage –, ça peut poser un vrai défi », déclarait il y a quelques années David Cohen, directeur adjoint de l'agence. Cette dernière a dû rejeter plusieurs candidats au CV prometteur car ils s'étaient vantés sur des réseaux sociaux d'avoir été recrutés comme espions !
Une réputation à redorer
Et puis la réputation de l'agence a pris quelques coups récemment. Donald Trump ne cesse d'attaquer les services de renseignements. À son arrivée au pouvoir, il a accusé le FBI de l'avoir mis illégalement sur écoute pendant la campagne. À plusieurs reprises, il a passé outre les recommandations de ses propres services. L'an dernier, lors d'une audition au Congrès, Gina Haspel, la patronne de la CIA notamment, a donné une vision de la situation en Iran et en Corée du Nord à l'opposé de celle de Donald Trump. Furieux, il a déclaré que les analystes du renseignement étaient « naïfs » et devraient peut-être « retourner à l'école ».
Surtout, la CIA a été secouée par un scandale retentissant. En 2017, WikiLeaks publie des dizaines de documents secrets détaillant ses techniques et tout son arsenal de piratage, parmi lesquels ses logiciels malveillants, la manière de pirater des téléphones portables, de transformer des postes de télévision en micros… Selon un rapport interne qui vient d'être révélé, c'est la plus grosse fuite de l'histoire de l'agence et elle a provoqué des dommages « catastrophiques ». Le plus stupéfiant, c'est que la CIA ne s'était rendu compte de rien alors pourtant que les documents avaient été volés un an auparavant !
Le rapport rejette la faute sur la culture du service de piratage qui « s'est donné comme priorité de concevoir des cyberarmes aux dépens de la sécurité de leurs propres systèmes ». Les procédures de sécurité étaient « terriblement laxistes ».
Tout cela n'empêche pas l'agence de faire sa promotion. Elle a déjà lancé des pubs de recrutement à la radio et sur sa chaîne YouTube. Dans l'une, elle se sert de Jennifer Garner, qui a incarné un agent de la CIA dans la série Alias, pour vanter ses mérites.
La CIA a aussi créé un compte Twitter qui a débuté avec un message plein d'humour : « Nous ne pouvons ni confirmer ni nier qu'il s'agit de notre premier tweet. » Au printemps 2019, elle a ouvert un compte Instagram, dans le but d'attirer une jeune génération d'agents. Elle espère ainsi atteindre un public plus vaste.
« Nous allons à la rencontre des Américains là où ils se trouvent, sur les plateformes de streaming, pour leur donner un aperçu des excitantes carrières de la CIA », indique Sheronda Dorsey, l'une des responsables. Sur son site, on peut lire : « On trouve à la CIA pratiquement tous les emplois imaginables, plus quelques-uns qui vont au-delà de votre imagination. »