En abritant l'ONU et d'autres organisations phare, Genève constitue un site primordial pour le renseignement américain, comme l'a révélé Edward Snowden. Le 3e épisode de la web-série "La Suisse sous couverture" livre les détails de cette infiltration, en faisant une halte toute particulière à la mission diplomatique des Etats-Unis.
Avec les documents classés top-secret qu'il a révélés en 2013 et son récit autobiographique fraîchement publié, l'ex-employé de la CIA et de la NSA Edward Snowden a levé un peu le voile sur la surveillance américaine au coeur de la Genève internationale (voir encadré).
Une station d'écoute, un corps d'élite, des outils d'analyse numérique... la palette du renseignement américain est assez large pour réussir à toujours garder un oeil sur les ennemis et les amis de la Nation.
Quel regard porte la Confédération sur ces pratiques d'espionnage? Les demandes d'explications des conseillers nationaux Carlo Sommaruga (PS/GE) et Balthasar Glättli (Vert/ZH) sont pour l'heure restées lettre morte.
RTSinfo diffuse cette semaine la web-série "La Suisse sous couverture", consacrée aux liens entre la Confédération et le renseignement international. Découvrez les secrets bien gardés de la mission américaine à Genève en regardant le 3e épisode "Genève, nid d'espions" (ci-dessus) avec son complément d'informations (ci-dessous).
La mission américaine à Genève
Située à 600 mètres de l'ONU et du CICR, sur la commune de Pregny-Chambésy (voir carte tout en bas), la Mission américaine auprès de l'ONU et d'autres organisations internationales est un véritable village fortifié. Ceinturé d'une triple barrière de sécurité, le site comprend un bâtiment principal et une quinzaine d'annexes. Plus de 200 employés y travaillent. Ses domaines d'action officiels sont la crise des réfugiés, les droits humains, la santé, l'environnement, les lois internationales, le développement, la finance et le contrôle des armes.
Aux derniers étages de l'édifice principal, la NSA et la CIA dirigent de concert un corps d'élite : le Special Collection Service, dit F6. Cette unité, dont Edward Snowden était un sous-traitant, y gère l'une des 80 stations d'écoute américaines. Elle a à sa disposition du matériel d'interception des réseaux sans fil et GSM, des antennes, des récepteurs à spectre large, des outils d'analyse numérique, ... Certains appareils se trouvent sur le toit, mais ils sont invisibles à l'oeil nu car cachés sous du faux béton, non loin des panneaux solaires. En totalité, il y aurait des dizaines de types d'appareils pour espionner les personnes de haut rang en transit à Genève, la délégation russe située à 1 km, voire... tout ce qui pourrait être potentiellement intéressant pour les Etats-Unis.
Nom de code: Site C
Une fois interceptées, les communications partent vers l'Angleterre, ainsi que vers l'Allemagne, au "centre de recherches de la NSA" de Wiesbaden, selon les documents fournis par Edward Snowden. Là-bas, les données sont standardisées avant de poursuivre leur voyage pour les Etats-Unis, où elles sont d'abord triées sur le "Site C", dans le Maryland, puis analysées à Fort Meade, au siège de la NSA.
L'immeuble au 16, quai du Seujet
Depuis plusieurs années, une partie du personnel de la mission américaine réside dans les hauteurs de l'immeuble situé au 16, quai du Seujet, dans le quartier de la Jonction, non loin du lac, à Genève. Le bâtiment abrite aussi des entreprises et des instituts bancaires. Les loyers des appartements se situent entre 4500 et 7000 francs.
Le quai du Seujet 16 à Genève n'est pas une adresse comme les autres
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Le titre donné aux locataires américains est souvent une couverture: attaché à la promotion économique, délégué à la coopération, etc. Lorsqu'Edward Snowden habite dans son quatre pièces avec vue sur Rhône, entre 2007 et 2009, il est officiellement un membre de la mission diplomatique, et non un employé de la CIA. Il aurait été placé sous "couverture profonde" (deep cover, l'Etat hôte n'est pas informé).
Le whistblower apparaît sous deux adresses, l'une sur les bords du Rhône, l'autre, à Chambésy, est celle de la mission permanente de Etats-Unis à Genève.
Les salons de l'ONU
L'Organisation des Nations unies regroupe 193 pays et autant d'intérêts divergeants. De quoi faire germer les plus audacieuses stratégies de surveillance. Ainsi, des "salons de discussions piégés" ont été découverts au siège subsidiaire de Genève en 2004, 2006 et 2007. Ces systèmes d'écoute sophistiqués sont difficiles à localiser.
Voici le procédé découvert en 2006 (source: L'Hebdo, 2009): des câbles longent une paroi pour s'enfoncer dans un caisson décoratif de 20 centimètres de profondeur où se trouve un système caché dans du bois et connecté à un système similaire placé dans une salle adjacente, caché lui par une banquette. L'appareil, qui transmet les données en temps réel par saccades (burst system), peut atteindre un rayon de 150m. La batterie produit très rarement de l'activité électrique. "Qui a posé ça, comment? Ce n’est certainement pas les Nations unies", fait remarquer l'ex-agent du renseignement Jacques Baud.
La mise sur écoute existe "depuis le premier jour de l'ONU", selon le Danois Michael Moller, ex-directeur général de l'Office des Nations unies.
Et les autres pays?
Même si l'arsenal de surveillance américain ne semble pas pouvoir être concurrencé, d'autres pays pratiquent une surveillance particulièrement active à Genève: la mission britannique, la mission chinoise et la mission russe.
Dans un récent rapport, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) qualifie d’"agressives" les activités d’espionnage de la Russie en Suisse. Un diplomate russe sur quatre à Genève serait un espion, selon une évaluation confidentielle de Berne, divulguée par la presse il y a un an. Une information récemment confirmée par Sergueï Jirnov, un ex-officier traitant du KGB, selon qui plusieurs dizaines d’espions russes sont actuellement infiltrés en Suisse. Scotland Yard a d'ailleurs révélé que les deux principaux suspects de l'affaire Skripal se seraient livrés à des activités d'espionnage à Genève, un mois avant la tentative d'intoxication sur l'ex-agent double britanico-russe.
A noter que les quatre grandes puissances ont leurs ambassades à Berne. Mais ça, c'est une autre histoire...
Caroline Briner