Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 5 octobre 2019

Quand les RG servaient à dompter l’opposition


Dans votre livre "Dans l'œil des RG" écrit avec Nicolas Beau et publié aux éditions Robert Laffont, vous revenez sur les missions des Renseignements généraux (RG), aujourd'hui disparus. Vous vous concentrez notamment le caractère très politique des RG, souvent chargés de surveiller les opposants à l'Etat, définition très variable. Les nombreuses enquêtes menées par les RG témoignent-elles selon vous d'un comportement typique d'une "police politique" plus qu'un d'un simple service de renseignement ?

Olivier Toscer : Personne ne peut nier qu’il y avait dans la mission même des Renseignements Généraux, un aspect de police politique. Le service avait été crée à la fin des années 30 pour permettre au gouvernement d’être informé de l’état de l’opinion et anticiper la subversion.  Dès le départ, il s’est focalisé sur la surveillance du parti communiste, soupçonné de fomenter la révolution et après Mai-68, il s’est concentré sur les mouvements gauchistes avec l’idée qu’ils pourraient basculer dans le terrorisme. Certaines de ces menaces étaient réelles, même s’il y a eu des abus. Nous racontons par exemple dans le livre comment Michel Rocard, qui sera ensuite Premier ministre de la France, était étroitement surveillé au début des années 70. Or tout le monde sait que Michel Rocard n’avait rien d’une personnalité factieuse et qu’il respectait les institutions de la Vème République au point même de se présenter aux suffrages lors de la présidentielles de 1969 ! Pourtant, comme nous le dit dans le livre, un ancien commissaire des RG en poste à l’époque, Rocard, alors patron du Parti Socialiste Unifié (PSU) était suivi parce qu’il portait des idées nouvelles, et cela suffisait à le rendre suspect. On voit la dérive apparaître à ce moment-là : les RG ne surveillent plus seulement les possibles apprentis terroristes mais également les opposants politiques au pouvoir pompidolien en place.

Les années suivantes, le service de renseignement, à la demande des pouvoirs successifs, va se mettre à suivre consciencieusement tous les partis politiques classiques parfaitement intégrés dans la démocratie. L’opposition, quelle qu’elle soit, devient donc une « cible » et d’ailleurs le section la plus prestigieuse de la maison est,à ce moment-là, la section dite des « affaires politiques générales ». Elle le sera jusqu’à sa suppression en 1994. Mais même après cette date, les RG continueront à faire des notes de renseignement sur le personnel politique et réaliser des sondages secrets sur le résultat des élections.

Pour autant, n’exagérons rien non plus : les RG n’étaient pas la Stasi est-allemande. Ils ne venaient pas arrêter les opposants au petit matin pour les jeter au cachot. Non, ils se contentaient d’informer le gouvernement en place sur l’évolution de l’opposition. Ils étaient un atout de plus dans la manche des gouvernants pour garder le pouvoir.

Dans votre livre vous soulignez que les RG ont obéi de manière plutôt indifférenciée au pouvoir en place. Comment expliquer une telle "soumission" au gouvernement en place ? Y a-t-il eu des cas d'opposition à cette surveillance politique ?

Les Renseignements Généraux étaient un service de l’Etat. Mais ils obéissaient aux gouvernements en place. Plus particulièrement, étant policiers, ils étaient le doigt sur la couture du pantalon du Ministre de l’Intérieur dont ils dépendaient pour leur avancement. Difficile dans ces conditions de s’opposer aux ordres, parfois peu respectueux de la démocratie.

Force est de constater que le service a donc souvent été instrumentalisé par les politiques, qui leur demandaient parfois de faire des enquêtes à la légalité douteuse. En réalité, les hommes des RG qui voulaient marquer leur désaccord avec telle ou telle instruction qui leur semblait inadéquate avec leur statut de fonctionnaires de l’Etat, n’avait qu’un seul moyen de s’y opposer : faire fuiter dans la presse les instructions qui leur paraissait illégitimes.

Lorsque de Coluche a été surveillé par le pouvoir giscardien en 1980, certains RG de la préfecture de police de Paris, ont ainsi fait fuiter l’existence de cette mission pour la rendre plus compliquée. Nous racontons aussi comment,plus tard en 2007, des investigations demandées par le cabinet de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, sur un conseiller de sa future adversaire à la présidentielle, Ségolène Royal, se sont retrouvées dans la presse. Certains fonctionnaires de la maison avaient estimé que surveiller l’équipe de l’opposante du futur candidat à la présidentielle ne faisait pas parti des missions d’un service de l’Etat. On les comprend !

La disparition des RG via la création de la DCRI en 2008 a-t-elle éliminé la "police politique" que vous décrivez en France ? 

La DCRI a théoriquement été crée pour répondre à des menaces graves de déstabilisation de l’Etat, de type terroriste. L’époque avait changé, l’alternance était devenue une habitude dans le monde politique et donc surveiller l’opposition légale et démocratique dans le pays était un peu devenue dérisoire. Pour autant, nous racontons dans le livre que certaines des vielles méthodes des RG à la papa ont subsisté, au moins jusqu’en 2012 ; que des personnalités politiques comme Rachida Dati par exemple ont subit des investigations de la DCRI dont l’opportunité, voire la légalité, sont jugettes à caution.

La disparition des RG s'est accompagnée pendant quelques années de la perte de tout un pan du renseignement de terrain. Quel impact a eu cette réorganisation sur les capacités de renseignement, notamment au niveau anti-terroriste ?

Lorsque  Nicolas Sarkozy a dissous les RG, le consensus dans le monde du renseignement était de considérer ces agents de renseignement du quotidien et du banal comme inutiles. A la suite des RG, Il n’a subsisté qu’un petit service, baptisé au départ l’Information Générale, devenu aujourd’hui le Renseignement Territorial, pour faire le travail des RG d’antan. Mais on leur a retiré toute mission et toute légitimité antiterroriste. Avec le recul, tout le monde considère aujourd’hui qu’il s’agissait d’une erreur. Car un service de renseignement de proximité, qui agit le plus souvent à visage découvert comme l’était les Renseignements Généraux, sont importants pour détecter les signaux faibles de radicalisation. Par exemple, surveiller les mosquées- et surtout les abords des mosquée, terrain habituel de recrutement des islamistes radicaux – ou les salles de sport de banlieue – autre lieu sensible de radicalisation - permet de détecter d’éventuelles dérives et de les signaler aux services antiterroristes compétents. C’est la même chose avec d’autres secteurs potentiellement violents comme l’extrême-droite radicale par exemple qui recrute dans la population, au coin de la rue ou sur internet. Il faut donc du personnel pour s’occuper de cette tâche.

A partir de 2012, les autorités ont commencé à prendre conscience de tout cela. D’ailleurs les effectifs du Renseignement territorial ont triplé depuis ! Finalement, il semble que les RG n’étaient pas si néfastes, après tout !

Dans un système où les dérives fréquentes dans ce type de service, en un mot, les barbouzeries, seraient mieux contrôlées et les missions mieux orientées vers la menace radicale,  le renseignement de proximité a surement encore de beaux jours devant lui. Simplement, le sigle RG, lui, qui symbolise aujourd’hui une espèce de légende noire du pouvoir a peu de chances d’être remis au gout du jour. Il faudra trouver d’autres noms…