L’incertitude grandit sur le sort de milliers de djihadistes jusqu’ici détenus par les Kurdes syriens. Le risque d’un retour de certains Européens dans leur pays d’origine inquiète.
Un groupe terroriste défait, ses combattants morts ou emprisonnés, puis une offensive militaire turque qui rebat les cartes. Dimanche dernier, la crainte de nombreux experts s’est matérialisée dans le camp d’Aïn Issa, d’où sont partis 800 proches de membres du groupe Etat islamique (EI). Les prisonniers auraient attaqué leurs gardiens, selon les autorités kurdes syriennes. Mais Ankara accuse ces dernières d’avoir orchestré cette évasion afin d’effrayer les Occidentaux au moment où le retrait américain bouleverse la région.
Parmi les dizaines de milliers de survivants du califat détenus dans différents sites au nord-est de la Syrie, on compte 12 000 combattants, dont 3000 étrangers. Or leur maintien en détention n’est pas garanti. «Les Kurdes ont été très clairs: ce n’est plus leur priorité», explique Jean-Paul Rouiller, responsable du groupe d’analyse conjoint sur le terrorisme au Geneva Center for Security Policy (GCSP). «On voit aussi les canaux de communication de l’EI inciter les prisonniers à rallier des zones où le groupe a plus de marge de manœuvre.»
«Scénario du pire»
Faut-il dès lors craindre que des terroristes originaires d’Europe reviennent dans leur pays d’origine pour y commettre des attentats? «Ce serait le scénario du pire et on est obligé de l’envisager. Soyons clairs: la situation est inédite et nécessite un accroissement du degré d’alerte en Europe», précise l’ancien membre des services secrets suisses.
«Attention à ne pas exagérer la menace pour l’Europe», observe Mohamed Mahmoud Ould Mohamedou, professeur d’histoire internationale à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID). «Certes, la situation dans ces camps est assez peu lisible et certains combattants de l’EI risquent de prendre le large. Mais la logique actuelle sur le terrain n’est plus celle de 2015. Aujourd’hui, l’Europe n’est pas forcément la destination prioritaire de ces hommes.» A ses yeux, si le groupe terroriste parvenait à se reformer, sa violence serait avant tout projetée dans son environnement immédiat.
Difficile collecte d’informations
Le chaos provoqué par l’avancée des armées turque et syrienne compliquera en tous les cas la collecte d’informations sur le terrain. A Berne, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) qualifie la situation dans le nord-est de la Syrie de «confuse» mais se refuse à livrer plus de détails quant au sort des ressortissants suisses détenus sur place. Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) affirme de son côté «suivre en permanence l’évolution de la situation avec ses partenaires étrangers». «Le SRC dispose de contacts avec les forces de la coalition comme la France et les Etats-Unis, précise Jean-Paul Rouiller. Mais comme ceux-ci se retirent, les derniers à pouvoir renseigner la Suisse sont les Kurdes, avec qui elle n’entretient officiellement pas de relations. On risque donc une perte de visibilité.»
Les Etats-Unis eux-mêmes rencontrent déjà des difficultés majeures. Alors qu’un transfert vers l’Irak de dizaines de hauts cadres de l’EI était encore envisagé la semaine dernière, seul celui de deux d’entre eux a été confirmé pour l’heure. A brève échéance, il ne restera ainsi aux Occidentaux que deux canaux par lesquels obtenir des informations, mais sans garantie de fiabilité totale: la Turquie, ou la Syrie via son allié russe.
Marc Allgöwer