Comment un agent administratif de la préfecture de police de Paris a-t-il pu poignarder quatre policiers, avant de tomber sous les balles? Ce jeudi 3 octobre, le quartier général de la sécurité de la capitale française est sous le choc. Et de nombreuses questions attendent des réponses, notamment sur les motivations du tueur.
Il s’agit, en théorie, de l’un des endroits les plus sécurisés de Paris. A l’unisson du palais présidentiel de l’Elysée et de l’Hôtel Matignon qui abrite le premier ministre, la préfecture de police est, vue de l’extérieur, en face de la cathédrale Notre-Dame, un «bunker» très protégé.
Comment un homme, identifié comme un agent administratif du service de renseignement de la police parisienne, a-t-il pu jeudi, vers 13h, attaquer au couteau quatre policiers, dont une femme, et les poignarder à mort avant de tomber, dans la cour de ce bâtiment symbole de l’autorité de l’Etat, sous les balles d’un autre gardien de la paix? Comment, surtout, expliquer un tel geste, qui ne serait – selon les informations officielles disponibles à l’heure d’écrire ces lignes – pas un acte terroriste, mais une revanche sanglante dans le cadre d’une querelle «hiérarchique» avec sa cheffe de service de la part de cet informaticien de la direction du renseignement, dont plusieurs médias français ont révélé qu'il s'était converti à l'islam en 2017 ?
Alors que les policiers français manifestaient mercredi à Paris pour dire leur colère face aux violences de plus en plus fréquentes à leur encontre, cette tragédie relance de douloureuses questions dans une capitale qui commémorera l’an prochain le cinquième anniversaire des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo (12 morts, onze blessés) et du 13 novembre 2015 au Bataclan et contre plusieurs terrasses de café parisiennes (131 morts, 413 blessés). Premiers éléments de réponses.
Attentat ou règlement de compte? La préfecture de police en état d’urgence absolue
Les premières explications avancées par des témoins du quadruple meurtre et par les représentants des syndicats de policiers vont toutes dans le même sens: l’homme qui a, vers 13h, attaqué avec un couteau à lame en céramique quatre policiers, dont une femme, les blessant mortellement, aurait voulu se venger de sa hiérarchie. La formulation employée, vers 17h, pour désigner les faits laisse toutefois la place à un changement de version ultérieur. Selon les autorités, la piste d’un conflit personnel «serait privilégiée», mais le parquet de Paris «évalue néanmoins la situation». Le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, a indiqué vers 17h que les quatre victimes étaient des fonctionnaires appartenant à deux directions: celle des renseignements et celle de la sécurité de proximité.
L’identité du tueur, âgé de 45 ans et né en Martinique en 1974, alimente le trouble. Il ne présentait pas de «problèmes comportementaux», mais se serait converti à l'islam en 2017, et entretenait, selon plusieurs médias français, des rapports de plus en plus houleux avec ses collègues féminines. L’assassin a été tué d’une rafale de fusil-mitrailleur après trois sommations, ce qui a semé la panique dans cet édifice situé en plein centre de Paris, au bord de la Seine. La ligne de métro 4 et la station souterraine Cité ont aussitôt été fermées.
Placé directement sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, le préfet de police de Paris est responsable du maintien de l’ordre dans la capitale, mais il coordonne aussi l’ensemble des services de sécurité qui y officient. La préfecture de police a été créée en 1800 par Napoléon, qui confia ensuite ce redoutable instrument de pouvoir à son ministre Joseph Fouché. Plus de 40 000 policiers et agents sont placés sous sa responsabilité. Epicentre du pouvoir, la préfecture de police traverse depuis 2017 une série de crises, dont certaines liées à son déménagement progressif de l’île de la Cité, face à Notre-Dame, vers le quartier périphérique des Batignolles, proche du nouveau Palais de justice de Paris.
Une autre affaire a récemment défrayé la chronique judiciaire en ces lieux: le viol présumé, par quatre fonctionnaires de police de la prestigieuse brigade anti-gangs basée au fameux 36 quai des Orfèvres, d’une ressortissante canadienne de 34 ans. Deux de ces policiers ont été condamnés en janvier 2019 à 7 ans de prison, une peine dont ils ont fait appel. Un nouveau préfet de police, Didier Lallement, réputé pour sa fermeté, avait été nommé en mars, après le saccage des Champs-Elysées en marge de manifestations des «gilets jaunes».
Derrière le meurtre de ces policiers, une affaire d’ampleur nationale
Les actes de violence commis contre les policiers, en fonction ou hors de leur service, ont explosé ces dernières années en France. Le mercredi 2 octobre, environ 30 000 d’entre eux ont d’ailleurs manifesté, à Paris et en province, pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail et les insuffisantes mesures de sécurité prises pour les protéger hors de leur lieu de travail.
Il est bien sûr impossible de faire le parallèle entre la tuerie de jeudi, pour l’heure attribuée à un règlement de compte, et les violences dont les forces de l’ordre sont la cible. Il n’empêche que ces chiffres sont en croissance exponentielle. Selon le Ministère de l’intérieur français, régulièrement accusé de couvrir des «bavures» pour venir à bout des manifestations, la police déplore, en une année de maintien de l’ordre, 97 blessés graves, dont 4 ont eu la main arrachée et au moins 14 ont perdu un œil. Au total, plus de 1000 policiers auraient été blessés.
Le fait qu’Emmanuel Macron s’est aussitôt déplacé à la préfecture de police pour «témoigner son soutien et sa solidarité à l’ensemble des personnels» montre la volonté de couper court à ce malaise et aux rumeurs au plus haut niveau de l’Etat. Rappelons qu’en France, les accusations de violences commises par les policiers ont engendré depuis plusieurs mois un climat délétère, d’abord lors de la crise des «gilets jaunes», puis après la disparition d’un jeune à Nantes en juin, en marge de la Fête de la musique, semble-t-il à la suite d’interventions policières mal gérées. Rappelons aussi, preuve de ce malaise, que 51 policiers en fonction se sont donné la mort depuis le début cette année. Lors de leur marche de la colère mercredi, les manifestants ont d’ailleurs brandi 51 cercueils en hommage à leurs collègues suicidés.
Attaque au couteau, un mode opératoire qui alimente toutes les spéculations
Le mode opératoire de ce quadruple meurtre, qui s’est déroulé en plusieurs phases, d’abord dans les bureaux puis dans la cour de la préfecture de police, rappelle évidemment d’autres événements antérieurs, à motivation terroriste. La dernière attaque au couteau en date, en France, a eu lieu à Villeurbanne, près de Lyon, le 30 août 2019. L’assaillant était un jeune Afghan demandeur d’asile et il y avait eu un mort parmi ses victimes.
Sur les réseaux sociaux, les rumeurs ont donc très vite flambé, contestant la version officielle et évoquant une possible radicalisation de l’assaillant, ce que rien ne permet de confirmer à ce stade. L’utilisation d’un couteau à lame de céramique est pour l’heure expliquée par la volonté de l’agresseur de dissimuler cette arme lors du passage des portiques de sécurité. Le 1er novembre 2017, l’état d’urgence en vigueur en France depuis la nuit fatale du 13 novembre 2015 a été levé, à la suite du vote de la nouvelle loi antiterroriste.
Richard Werly