Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 13 septembre 2019

« Le Monde » publie des extraits des mémoires d’Edward Snowden


Edward Snowden se livre. Le lanceur d’alerte revient sur son parcours dans Mémoires vives, à paraître en France au Seuil le 19 septembre, ainsi que dans une vingtaine d’autres pays. Le livre est édité en version originale par l’éditeur Macmillan USA, sous le titre Permanent Record.

Cet ancien sous-traitant  de l’agence américaine du renseignement, la National Security Agency (NSA), a révélé en 2013 l’ampleur du système de surveillance établi par les Etats-Unis dans le monde entier, avec la coopération des services de télécommunication et de gouvernements, européens notamment. Avec la documentariste Laura Poitras et les journalistes Glenn Greenwald et Ewen MacAskill du Guardian et Barton Gellman du Washington Post, Snowden a ainsi diffusé des milliers de documents top-secrets de la NSA, publiés par des journaux du monde entier, dont The Guardian, Le Monde et Der Spiegel.

Ces révélations ont donné lieu aux Etats-Unis et dans le monde entier à de vifs débats sur la surveillance, le respect de la vie privée et des libertés individuelles par les Etats, et sur notre utilisation du numérique. Si son parcours est plutôt connu, grâce aux interviews et conférences qu’il donne depuis la Russie, et au documentaire de Laura PoitrasCitizenfour sorti en 2014, c’est la première fois que le plus célèbre des lanceurs d’alerte revient en détail sur son histoire, dans ce livre dont le quotidien Le Monde publie des extraits.

Trop naïfs

« Nous – moi, vous, nous tous – étions trop naïfs. » Le lanceur d’alerte déplore le temps qu’il lui a fallu pour « concevoir ce qui était pourtant manifeste » après la guerre d’Irak, à savoir la manière dont le gouvernement américain mentait à ses citoyens. « Quand j’ai commencé à travailler dans le renseignement, j’étais certain de ne plus jamais me faire mener en bateau, d’autant plus que j’avais une habilitation top secret à présent, ce qui n’est pas rien. Après tout, pourquoi les autorités dissimuleraient-elles des secrets à leurs propres gardiens du secret ? » Il explique que c’est en commençant à travailler pour la NSA au Japon en 2009, et en intégrant « le service de renseignement le plus performant au monde » qu’il a pris conscience de la taille de la machine. « C’était la première fois de ma vie que je réalisais vraiment ce que signifiait le pouvoir d’être le seul dans une pièce à maîtriser non seulement le fonctionnement interne d’un système mais aussi son interaction avec quantité d’autres systèmes. »

Cartes SD

Edward Snowden explique comment il a stocké et fait sortir de la base les données volées à la NSA. « Laissez tomber les clés USB ; elles sont trop encombrantes au regard de leur faible capacité de stockage. A la place, je me suis servi de cartes SD – l’acronyme signifie Secure Digital ("transmission numérique protégée"). Pour être plus précis, je me suis servi de cartes mini-SD et micro-SD. Vous savez à quoi ressemble une carte SD si vous vous êtes déjà servi d’un appareil photo numérique ou d’une caméra, ou si vous avez déjà eu besoin de plus de mémoire sur votre tablette. Elles ne déclenchent quasiment jamais les détecteurs de métaux, et puis, qui m’en voudrait d’avoir oublié quelque chose d’aussi petit ? »

Il décrit également la paranoïa et l’anxiété qui l’envahissait face aux risques encourus. « Une fois une carte remplie, je devais opérer ma fuite quotidienne, faire sortir du bâtiment cette archive vitale, passer devant les chefs et des types en uniforme, descendre les escaliers, m’engouffrer dans un couloir vide, scanner mon badge, passer devant les gardes armés, passer les sas de sécurité – ces zones à deux portes dans lesquelles, pour que la seconde porte s’ouvre, il faut que la première soit fermée et que votre badge soit approuvé, et s’il ne l’est pas, ou que quelque chose ne se passe pas comme prévu, le garde vous braque avec son arme, les portes se verrouillent, et vous dites : "Eh bien, c’est pas mon jour !" A chaque fois que je partais, j’étais pétrifié. Je devais me forcer à ne pas penser à la carte SD car si j’y pensais, j’avais peur d’agir différemment, de manière suspecte. Il m’est aussi arrivé de dissimuler une carte dans l’une de mes chaussettes et, lors de mon pic de paranoïa, dans ma joue, afin de pouvoir l’avaler si nécessaire. » Pour se cacher de potentielles écoutes du FBI dans sa maison, il effectuait les copies de ces données planqué « sous une couverture (…) parce que le coton reste plus fort que les caméras. »

Coincé à Moscou

Edward Snowden revient également sur son escale à Moscou. Après un contrôle anormalement long, il a été emmené dans un salon de l’aéroport, où l’attendaient des hommes en costume, vraisemblablement membres des services de renseignement russe. « [Un officier] s’est raclé la gorge et, dans un anglais correct, il m’a offert ce que la CIA appelle un "cold pitch", en gros une offre d’engagement par un service de renseignement étranger qui peut se résumer à "venez bosser avec nous". En échange de leur coopération, on fait miroiter aux étrangers des faveurs qui peuvent aller de montagnes de cash à une carte "vous êtes libéré de prison" valant pour quasiment tout, depuis la simple fraude jusqu’au meurtre. »

Snowden le coupe rapidement et explique qu’il n’a aucune intention de coopérer avec des services de renseignement, mais qu’il se rend en Equateur. C’est là qu’il apprend que son passeport n’est plus valide. « Je n’en revenais pas : mon propre gouvernement m’avait coincé en Russie. Les Etats-Unis s’étaient infligé tout seuls une cuisante défaite en offrant ainsi à la Russie une telle victoire de sa propagande. » Snowden est resté 40 jours dans cet aéroport, et a demandé l’asile politique à 27 pays – dont la France. C’est finalement la Russie qui lui a d’abord accordé l’asile pour un an, et l’a renouvelé régulièrement depuis. Ses actions divisent toujours l’opinion aux Etats-Unis, où il est poursuivi pour espionnage et vol de propriété gouvernementale. Il dispose pour l’instant de l’asile en Russie jusqu’en 2020.