Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 21 septembre 2019

L'affaire Cameron Ortis est un « cas classique d'espionnage »


L’arrestation de Cameron Ortis, haut responsable de la GRC accusé de vols de documents sensibles, inquiète les alliés du Canada, mais constitue un cas classique, explique Éric Denécé, directeur du Centre français de Recherche sur le renseignement.

Vous qui observez cette situation avec un regard extérieur, quelle est votre réaction à toute cette affaire jusqu’à maintenant?

C’est une affaire d’espionnage classique puisque les services du monde entier essaient de recruter des informateurs au plus haut niveau de l’administration des pays cibles.

Malheureusement, le Canada est touché aujourd’hui, mais on a bien vu que la Russie a été touchée il y a quelques jours lorsque les Américains ont dévoilé avoir eu une source au sein du Kremlin.

Les autorités ne disent pas tout sur cette affaire et on comprend qu’elles ne savent pas encore tout. Peut-on seulement spéculer en ce moment?

Les enquêteurs devront déterminer depuis quand Cameron Ortis était dans le renseignement. On sait qu’il était à la GRC depuis 2007, mais quels postes a-t-il occupés, à quels types d’information a-t-il eu accès au cours de ces années-là, avec qui était-il en contact et depuis combien de temps?

Des éléments du dossier qui ont été communiqués au public, ce que je retiens, c’est que l’homme était endetté, ce qui est tout un levier de manipulation pour un service de renseignement adverse.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a l’air de dire qu’il a été arrêté avant qu’il ne partage les informations. C’est tout le mal que l’on souhaite au Canada parce qu’effectivement, si les informations ont été données à un service étranger, ça peut porter préjudice à la fois à l’activité des services de renseignement canadiens, mais aussi à leur relation avec les alliés, notamment au sein du club des Five Eyes [qui regroupe les services de renseignements de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, des États-Unis et du Royaume-Uni, NDLR].

Maintenant, il ne faut pas non plus être catastrophiste. D'abord, il faut que l’évaluation soit faite pour bien mesurer ce à quoi il avait accès et à qui il l’aurait donné. […] Ensuite, Il faut se dire que, probablement, le contre-espionnage canadien était au courant depuis quelque temps et devait surveiller les agissements de M. Ortis, puisqu’on a appris que sa maison a été fouillée il y a un mois.

Donc peut-être que les dégâts seront un peu plus contrôlés, beaucoup plus limités qu’on ne l’imagine à l’heure actuelle.

Les membres du Five Eyes sont-ils plus vulnérables de par leurs liens communs?

Bien sûr, il est de notoriété publique que, dans ce club, les liens sont très étroits, même si je dirais que la réciprocité dont font preuve les États-Unis est parfois fort limitée.

Effectivement, il y a un niveau de coopération et de connivence qui sont compréhensibles en fonction à la fois de la culture et de la langue et les choses échangées sont beaucoup plus poussées qu’elles ne le sont avec d’autres pays comme Israël ou la France.

S’il y a eu, au cours de l’interrogatoire, des éléments qui permettent de penser qu’il a donné des informations concernant la Nouvelle-Zélande, ou l’Australie, ou les États-Unis, ou la Grande-Bretagne, à ce moment-là, les services de contre-espionnage de ces pays-là vont, à leur tour, essayer à la fois de mesurer et de limiter les dégâts que peut avoir commis cet espion.

La commissaire de la GRC [Brenda Lucki] indiquait que des mesures de mitigation ont été mises en place, pour assurer auprès de ses alliés que le Canada faisait son travail. C’est bien le message qui était lancé?

Oui, car il ne faut pas perdre de vue que Cameron Ortis a bien été identifié par la GRC elle-même.

Ce qui est terrible, c’est lorsque l’information arrive via un service allié […] ou bien lorsqu’on l’apprend quand la taupe n’est plus sur notre territoire et s’est réfugiée en Russie, au Venezuela ou ailleurs et qu’elle fait état du fait qu’elle a donné de l’information.

Là, ça montre bien de toute façon que cet élément douteux, voire espion, a été identifié par les services de sécurité canadiens et c’est aussi un gage de sérieux vis-à-vis des services alliés.