mardi 10 septembre 2019
La CIA exfiltre une «taupe» qu'elle avait au Kremlin
Les services secrets américains ont exfiltré de Russie en 2017 une taupe qu'ils avaient au Kremlin, qui leur a confirmé que Vladimir Poutine avait personnellement orchestré l'ingérence de Moscou dans la présidentielle américaine de 2016, affirment des médias américains.
D'après la chaîne de télévision CNN, cette taupe recrutée par les Américains plusieurs décennies auparavant avait directement accès à Vladimir Poutine et leur avait fourni des images de documents photographiés en cachette sur le bureau du président.
Après des années de bons et loyaux services, l'agent de Washington au sein de l'administration présidentielle russe a fini par être exfiltré en 2017, précisent CNN et le quotidien New York Times.
Craintes qu'il soit un agent double
Selon le New York Times, la CIA avait proposé à son espion de le faire sortir dès 2016, alors que des rumeurs se propageaient sur l'existence de cette taupe. Quand celui-ci avait refusé, invoquant des raisons familiales, les services secrets américains avaient commencé à craindre d'avoir affaire à un agent double, craintes qui se sont révélées infondées plusieurs mois plus tard.
D'après CNN, il a fini par être exfiltré en 2017 de crainte que le président américain Donald Trump ou son administration ne le trahissent dans l'une de leurs révélations intempestives d'informations classifiées. La CIA a nié ce dernier point.
«Les allégations malencontreuses selon lesquelles la gestion des renseignements les plus sensibles de notre nation par le président - auxquels il a accès absolument chaque jour - aurait provoqué une supposée exfiltration sont inexactes», a déclaré à CNN la directrice des affaires publiques de la CIA, Brittany Bramell.
De son côté, la porte-parole de la Maison Blanche Stephanie Grisham a déclaré à la chaîne de télévision que l'article de CNN «n'est pas seulement incorrect, il risque aussi de mettre des vies en danger».
Une source capitale
Cet informateur, dont le nom n'a pas été dévoilé, s'est révélé être une source d'information capitale pour les services américains, qui ont grâce à lui tiré la conclusion que Vladimir Poutine avait directement orchestré l'ingérence russe en faveur de Donald Trump lors de l'élection présidentielle de 2016, poursuit le Times.
Selon le quotidien new-yorkais, l'informateur a également directement impliqué Vladimir Poutine dans le piratage du serveur email du Comité national démocrate, qui avait permis de révéler une énorme quantité de messages embarrassants pour le camp Clinton.
L'agent exfiltré était, d'après le Times, la source la plus précieuse de la CIA en Russie, et sa fuite du pays a empêché le renseignement américain de connaître les activités du Kremlin pendant les élections de mi-mandat aux Etats-Unis en 2018, et pendant les préparatifs de la présidentielle de 2020.
Mardi, les médias russes ont cité le nom de la taupe en question, assurant qu'il s'agissait d'un homme qui avait travaillé à l'ambassade russe à Washington avant de revenir dans son pays, où il avait gravi les échelons de l'administration présidentielle.
Que sait-on ?
En Russie, les affirmations des médias américains ont poussé la presse à s'interroger sur l'identité du supposé agent exfiltré. Un nom a été évoqué par le journal Kommersant: Oleg Smolenkov, qui a travaillé à l'ambassade de Russie à Washington avant 2010, puis a œuvré au sein de l'administration du président russe. En vacances au Monténégro en juillet 2017 avec sa famille, Oleg Smolenkov et celle-ci ont disparu sans laisser de traces. La police a enquêté sur cette disparition en la considérant comme un possible meurtre. Le journal russe rapporte néanmoins des informations du Washington Post selon lesquelles Oleg Smolenkov vivrait aujourd'hui en Virginie, dans une maison coûtant environ 925 000 dollars.
Quid des activités d'Oleg Smolenkov ? Les sources contactées par Kommersant livrent des récits contradictoires à ce sujet. Certains interlocuteurs du journal affirment qu'il aurait bénéficié de la confiance d'un haut responsable ayant un accès direct à Vladimir Poutine, tandis que d'autres assurent qu'il n'avait qu'un travail technique (achat, organisation de voyages...)
En tout état de cause, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a confirmé qu'Oleg Smolenkov avait bien travaillé dans l'administration du président russe et avait été licencié en 2016 ou 2017 – sans en préciser le motif. Quant à la question de savoir si Oleg Smolenkov avait eu accès à des réunions avec Vladimir Poutine, le porte-parole du Kremlin a fait savoir que son poste ne le lui permettait pas. Les récits faisant d'Oleg Smolenkov un espion américain en mesure de révéler des secrets de la présidence russe ne sont que des scénarii de «roman à sensation», a ajouté Dmitri Peskov.
Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a également déclaré, lors d'une conférence de presse ce 10 septembre : «Je ne l'ai jamais vu, je ne l'ai jamais rencontré, je n'ai pas suivi sa carrière ni ses mouvements. Je ne veux pas commenter des rumeurs.»
Il convient en outre de replacer les révélations supposées des deux médias américains dans leur contexte : elles font suite à une longue saga médiatique, enclenchée après l'élection de Donald Trump, sur une potentielle collusion de ce dernier avec les autorités russes durant la campagne présidentielle. Or, après deux ans d'une enquête fleuve, le procureur spécial américain Robert Mueller n'est pas parvenu à démontrer un lien entre Donald Trump et la Russie. Cette conclusion a mis en valeur le caractère politique de la thèse défendue bec et ongles durant deux ans par une grande partie des médias américains. Les nouvelles allégations de CNN et du New York Times ne s'inscriraient-elles pas, à nouveau, dans cette entreprise médiatique politisée ?
Importance minimisée
Tout en confirmant qu'un homme de ce nom avait bien été employé par l'administration présidentielle, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a minimisé son importance mardi et assuré qu'il avait été «limogé il y a quelques années», en «2016 ou 2017».
«Son poste ne faisait pas partie de ceux du plus haut niveau (...) et ne prévoyait aucun contact avec le président», a ajouté Dmitri Peskov, qualifiant les informations diffusées par les médias américains de «roman à sensation».
Parallèlement, la chaîne américaine NBC affirme avoir trouvé une personne habitant près de Washington qui, selon deux sources au FBI, correspondrait à l'homme dont parlait CNN.
Lorsque le journaliste de NBC s'est approché de son appartement, deux hommes, qui se sont identifiés comme des «amis du Russe», sont soudainement apparus et lui ont demandé pourquoi il voulait parler à l'intéressé.