Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 11 septembre 2019

Affaire Khashoggi: «Pourra-t-on mettre le tronc dans un sac?»


C'est un document glaçant que publie le quotidien turc «Daily Sabah». Le média a pu se procurer le contenu des enregistrements effectués par les services secrets turcs dans l'enceinte du consulat saoudien à Istanbul, le jour où Jamal Khashoggi a été assassiné.

2 octobre 2018. Deux membres du commando chargé de supprimer le journaliste saoudien discutent de la marche à suivre. Leur conversation est digne d'un film noir: «Est-ce qu'on pourra mettre le tronc dans un sac?» s'interroge Maher Moutreb, agent des services de renseignement saoudiens. Salah Al-Toubaigy, médecin légiste travaillant pour le ministère saoudien de l'Intérieur, lui répond: «Non, trop lourd. Et trop grand aussi.»

«Vous mettrez les morceaux dans des sacs en plastique»

Le légiste poursuit: «En fait, j'ai toujours travaillé sur des cadavres. Je sais comment les démembrer rapidement. Bien que je ne n'aie jamais travaillé sur un corps encore chaud, je pense que je devrais pouvoir le faire facilement. (...) Après le démembrement, vous mettrez les morceaux dans des sacs en plastique et vous les sortirez (ndlr: de l'immeuble).» Plus tard, Al-Toubaigy se plaint de devoir travailler sans filet: «Mon supérieur ne sait pas ce que je fais. Il n'y a personne pour me couvrir.»

13h14. Un autre membre du commando, qui n'a toujours pas été identifié, informe ses acolytes de l'arrivée de Jamal Khashoggi. Dans un bureau du deuxième étage, le journaliste est tenu en joue. Il informe ses ravisseurs qu'il a deux téléphones sur lui. Mutreb lui donne alors l'ordre d'écrire un message à son fils: «Vous allez écrire quelque chose du genre: «Je suis à Istanbul. Ne t'inquiète pas si tu ne peux pas me joindre.» Khashoggi refuse d'obtempérer.

«Vous allez me droguer?»

«Ecrivez Monsieur Jamal. Dépêchez-vous. Aidez-nous et nous pourrons vous aider, parce que nous allons vous ramener en Arabie saoudite. Et si vous ne nous aidez pas, vous savez ce qui va se passer», lui répond Mutreb. Le journaliste remarque alors la présence d'une serviette. «Vous allez me droguer?» demande-t-il. «Nous allons vous endormir», répond son interlocuteur.

Khashoggi ne s'attend pas à être assassiné. Juste avant de perdre connaissance, il demande une faveur à ses bourreaux: «Ne fermez pas ma bouche. Je fais de l'asthme. Ne le faites pas, vous m'étoufferiez.» Le journaliste s'endort et ses bourreaux lui placent un sac plastique sur la tête jusqu'à ce qu'il ne respire plus.

À 13h39, le commando commence à démembrer la victime, dont les restes seront transportés à l'extérieur du consulat dans des valises. À ce jour, ils n'ont toujours pas été retrouvés.

Onze personnes jugées

Trois mois après le meurtre, un procès s'est ouvert devant une cour pénale de Ryad. Onze suspects comparaissent, et la peine de mort a été requise pour cinq d'entre eux. Riyad, qui avait d'abord nié toute implication, évoque désormais une opération menée par des éléments «hors de contrôle» qui aurait mal tourné.