samedi 3 août 2019
Daesh « renforce les conditions propices à son éventuelle résurgence »
À en croire Baqir Jabr al-Zubaidi, ancien ministre irakien de l’Intérieur, le chef de l’État islamique [EI ou Daesh], Abou Bakr al-Baghdadi, aurait quitté le Levant pour trouver refuge en Libye. « Les informations que j’ai obtenues affirment qu’il se trouve actuellement en Libye et qu’il va bientôt diffuser un discours appelant à réactiver des cellules dormantes en Irak », a-t-il en effet affirmé au site Baraa News, le 15 juillet.
Seulement, le 24e rapport de l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions concernant l’EI et al-Qaïda, qui vient d’être rendu public, invalide les propos de l’ex-responsable irakien.
Ainsi, s’il a perdu son dernier bastion en mars dernier, en l’occurrence celui de Baghouz, grâce aux Forces démocratiques syrienne [FDS, alliance arabo-kurde, ndlr] et à la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis, l’EI a basculé dans la clandestiné. Et son réseau clandestin en Syrie, explique le document, « s’étend et des cellules sont créées dans les provinces, selon la même stratégie que celle déployées en Irak depuis 2017 ».
Pour ce rapport de l’ONU, l’EI s’adapte, créé et « renforce les conditions propices à son éventuelle résurgence dans ses fiefs irakiens et syriens ». Et d’ajouter : « Ce processus est plus avancé en Irak, où sont désormais basés Abu Bakr al-Baghdadi et la plupart des responsables » de l’organisation jihadiste. Voilà ce qui contredit M. al-Zubaidi…
En outre, avance le document, l’EI a toujours des réserves financières importantes, qui « continueraient d’osciller entre 50 et 30 millions de dollars ». Il « aurait accès à des fonds en espèces dissimulés en Irak, en Syrie et dans les pays voisins, ou remis à des partisans jugés digne de confiance », précise-t-il. Une partie de ce « magot » est investie dans des entreprises irakiennes et syriennes » [et même d’ailleurs]. « Le groupe s’adapte à son statut d’insurgé et est beaucoup moins mis à contribution financièrement. Il recourt à la contrebande, à l’extorsion et à l’enlèvement contre rançon pour continuer de se financer », souligne le rapport.
Ne pouvant plus générer autant de revenus que par le passé, en raison de la fin de son « califat » physique, l’EI encourage ses cellules et ses partisans à l’étranger à être « autonomes sur le plan financier ». Un « État Membre a expliqué que les affiliés de l’EI étaient considérés comme des start-up : le siège central leur allouait un capital de lancement et leur prodiguait des conseils, mais il était clair qu’à terme, elles devaient être indépendantes », est-il relaté dans le rapport.
Revenu à la clandestinité, l’EI ne fait plus grand cas des combattants étrangers qui l’avaient rejoint après la proclamation de son « califat ». Selon l’équipe de l’ONU, ils sont « abandonnés à eux-mêmes » étant donné que, « pour la plupart », ils ne sont « plus jugés indispensables. »
« Pour assurer sa survie, l’EI veille en priorité à ce que ses dirigeants emblématiques et ses combattants syriens et irakiens puissent poursuivre leur mission », avance le rapport.
D’ailleurs, l’organisation n’a visiblement pas de peine à recruter localement. « Bien que vaincu militairement, l’EI conserve un grand nombre de combattants et de sympathisants en Irak et en Syrie. Il est en mesure de mener librement ses activités dans de nombreuses zones et de fomenter régulièrement des attentats afin de montrer sa puissance et de saper la confiance de la population
dans les autorités locales […] Il espère ainsi que la population locale s’impatientera, tiendra les autorités pour responsables de la situation et regrettera l’époque où il contrôlait la région », estime l’équipe de suivi des Nations unies.
La Libye est l’autre pays où l’EI fait preuve de résilience. Et c’est sans doute pour cette raison que M. al-Zubaidi a dit que Abu Bakr al-Baghdadi s’y serait réfugié. Depuis l’offensive lancée le 4 avril par l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Haftar en direction de Tripoli, le groupe a intensifié ses actions dans le sud libyen. Et bien que ses combattants ont été chassés des zones côtières, ils « continuent de représenter une menace importante dans la région subcôtière, du sud des champs », explique le rapport.
Qui plus est, ses finances se portent bien, notamment « grâce aux 50 millions de dinars libyens provenant d’établissements financiers de Syrte lorsque la ville était sous son contrôle », à ses investissements « dans des petites et moyennes entreprises, et dans des sociétés de virement de fonds situées dans des villes côtières, notamment à Tripoli, Misrata et Khom », au trafic d’antiquités, ainsi qu’à « l’extorsion [racket] et l’imposition de taxes sur les réseaux de traite des personnes. »
Cela étant, le groupe jihadiste n’aurait pas, pour l’instant, les moyens de planifier d’attentats majeurs à l’étranger. Et les attaques menées contre la communauté chrétienne au Sri Lanka, le jour de Pâques, furent « inspirées » par l’EI. C’est à dire qu’il n’y a tenu aucun rôle opérationnel. « Le commandement de l’EI n’avait pas été informé à l’avance », souligne le rapport.
« Des États membres estiment que le groupe ne se contentera pas de compter sur son retentissement médiatique et sa propagande pour encourager la commission d’attentats, qui sont souvent déjoués et n’ont généralement qu’un effet limité quand ils aboutissent. Il réinvestira dans sa capacité de diriger et faciliter l’exécution d’attentats complexes à l’échelle internationale, dès qu’il disposera de l’espace et du temps nécessaires », prévient l’équipe de l’ONU.
Aussi, poursuit-elle, la « baisse du nombre d’attentats de ce type actuellement observée pourrait donc ne durer que peu de temps et même se terminer avant la fin de 2019. D’ici là, l’EI inspirera d’autres attaques, peut-être dans des lieux inattendus. »
L’emprise des groupes jihadistes au Sahel et en Afrique de l’Ouest continue de croître
Lors de sa dernière audition à l’Assemblée nationale, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général François Lecointre, a dit que, au Mali, « nous avons été exagérément optimistes en imaginant en 2013 que tout serait résolu et que la victoire éclair remportée contre les jihadistes se traduirait immédiatement en un succès politique » car « force est de constater que tel n’a pas été le cas. » Et d’estimer que, « malheureusement, les conditions d’une extension de la déstabilisation de la zone sont réunies. »
Certes, la force Barkhane, qui est à l’oeuvre depuis le 1er août 2014 dans la bande sahélo-saharienne [BSS] a obtenu des succès opérationnels significatifs, notamment en éliminant plusieurs chefs jihadistes de premier plan. Mais comme l’Hydre de Lerne, les groupes terroristes finissent par se régénérer… Et c’est ce qu’avance le 24e rapport de l’Équipe d’appui de surveillance des sanctions prises par les Nations unies à l’égard d’al-Qaïda et de l’État islamique [EI ou Daesh].
« L’ambition et l’emprise croissantes de groupes terroristes au Sahel et en Afrique de l’Ouest, où les combattants se réclamant d’Al-Qaida et de l’EI collaborent afin de saper l’autorité de juridictions nationales fragiles, comptent parmi les faits les plus marquants survenus à l’échelle internationale au cours de la période considérée. Le nombre d’États de la région susceptibles de voir les mouvements insurrectionnels du Sahel et du Nigéria franchir leurs frontières a augmenté », avance ce document.
Au Sahel et en Afrique de l’Ouest, les différents groupes jihadistes sont su se réorganiser pour faire face à la force Barkhane mais aussi à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali [MINUSMA] et aux forces armées locales.
Au Mali, et depuis mars 2017, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM ou JNIM pour Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimi] fédére, sous l’autorité Iyad Ag Ghali, dont Ansar Dine, al-Mourabitoune, l’Émirat de Tombouctou [ex-katiba sahélienne d’al-Qaïda au Maghreb islamique, ndlr], la Katiba Macina ou encore la katiba el-Kassam.
Le groupe Ansarul Islam est particulièrement actif au Burkina Faso, comme, a priori, l’État islamique dans le grand Sahara [EIGS]. Ce dernier est aussi solidement implanté au Mali et au Niger. En outre, tout laisse à penser qu’il a des liens avec l’organisation « Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique » [ISWAP], issue d’une scission du groupe nigérian Boko Haram.
« Il est possible que l’État islamique du Grand Sahara et le groupe Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique aient coopéré dans l’attaque des forces nigériennes commise à Tongo Tongo en mai 2019 [une embuscade ayant une vingtaine de tués, ndlr] et qu’ils soient en train d’établir une base de soutien logistique dans la ville de Sokoto, au Nigéria », indique le rapport de l’ONU. Ce qui ne va pas faciliter la tâche de la force Barkhane si cette information se vérifie.
Quoi qu’il en soit, l’Équipe de suivi de l’ONU avance que, « en Afrique de l’Ouest, la violence a monté en flèche sous l’influence d’affiliés de l’EI ou d’al-Qaida » et que leurs « activités de recrutement se sont multipliées ». En outre, poursuit-elle, la « porosité des frontières et le manque de moyens des autorités pour faire face à la menace grandissante aggravent la situation. »
Le nord du Mali reste le « centre de gravité » du GSIM. Il exerce une « influence décisive » en s’appuyant sur « plusieurs […] katibas pour poursuivre son objectif de radicalisation de la population », précise le rapport.
« Ansar Dine reste actif au nord de Kidal. L’Émirat de Tombouctou, situé au nord de Tombouctou, a bénéficié de l’attrition des effectifs d’Al Mourabitoune, toujours actif dans le secteur de Gao/Ansongo. La Katiba du Macina a réussi à établir un deuxième bastion pour le GSIM dans la région de Mopti-Hombori-Douentza et à la frontière avec le Burkina Faso, dans la direction de Bobo-Dioulasso », détaille le document de l’ONU.
En outre, poursuit-il, les partisans du GSIM ont « ouvert environ 650 écoles dans la région, sur lesquelles ils exercent un contrôle, afin de transformer la société suivant les préceptes du groupe. » Ce qui n’augure rien de bon pour la suite…
Dans le centre du Mali, le rapport confirme que la « violence interethnique est alimentée par des groupes terroristes qui cherchent à favoriser la radicalisation » et précise que « Bah Ag Moussa facilite la liaison entre l’Émirat de Tombouctou et la Katiba du Macina qui s’est appuyée sur ses succès opérationnels pour créer une nouvelle zone d’opérations pour le GSIM ».
Enfin, la Katiba el-Kassem reste active à l’est de Tombouctou et dans la région de Ndaki, malgré l’élimination de son chef, en octobre 2018, tandis que la katiba Serma, présente au sude de Douentza et de Hombori, assure le lien entre le GSIM et le groupe burkinabè Ansaroul Islam.
Par ailleurs, le rapport de l’ONU confirme indirectement la mort du chef d’al-Mourabitoune, Mokhtar Belmokhtar, dans la mesure où il indique que ce dernier a été remplacé par Hamza al-Jazairi. Éliminé en février par la force Barkhane [et le détachement de forces spéciales Sabre], Djamel Okacha, alias Yahia Abou el Hammam, chef de l’Émirat de Tombouctou et resposable des opérations du GSIM, a été remplacé par Messaoud Benaireche, alias Abou Oussama al-Jazairi.
« La stratégie actuelle d’AQMI est de remplacer les personnalités de premier plan et les combattants de GSIM tués lors d’opérations antiterroristes par des combattants chevronnés en provenance de Libye », relève l’ONU.
Alors que deux touristes français avaient été enlevés, en mai, dans le parc national du Pendjari, au Bénin, le rapport indique que le « Parc national du W, situé à cheval sur le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, est en train de devenir un nouveau bastion pour les groupes terroristes de la région, notamment l’État islamique du Grand Sahara, qui continue de coopérer avec JNIM au Mali et au Niger. » Et d’ajouter que les « groupes terroristes implantés au Sahel empiètent de plus en plus sur les frontières du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Togo. »
Une autre tendance préoccupante, au regard des « connexions » avec l’EIGS, est la montée en puissance continue de l’ISWAP, organisation qui, depuis mars, serait désormais dirigée par Abdullah Ibn Umar al-Barnawi, un fils de Mohammed Yusuf, le fondateur de Boko Haram. « Ce changement pourrait avoir conduit le groupe à durcir sa position en intensifiant son rythme opérationnel et en commettant des actes de violence exemplaires envers des prisonniers des forces de sécurité locales », explique le rapport de l’Équipe de suivi. « Le groupe invite aussi les combattants terroristes étrangers à se rendre dans sa zone d’opérations », note-t-il encore. Enfin, ses effectifs seraient conséquents puisqu’un État membre les estime à 4.000 jihadistes; ce qui en ferait la branche régionale la plus importante de l’EI.