Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 16 juin 2019

Qui se cache derrière les attaques des tankers pétroliers?


Trafic maritime dans le Détroit d’Hormuz, le 13 juin 2019


L'un des deux pétroliers endommagés par des attaques dans la région du Golfe a été arrimé à un point d'ancrage aux Emirats arabes unis, l'Arabie saoudite incriminant à son tour l'Iran et affirmant qu'elle réagira à toute menace.

Après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, le royaume saoudien, premier exportateur de pétrole au monde, a accusé le "régime iranien" de ces attaques non revendiquées qui ont endommagé jeudi deux tankers en mer d'Oman.

Grand rival régional de l'Arabie saoudite sunnite et ennemi des Etats-Unis, l'Iran chiite a nié toute implication dans ces faits survenus près du détroit d'Ormuz, par lequel transite le tiers du pétrole transporté par voie maritime dans le monde et qui ont fait bondir le prix de l'or noir.

"Le régime iranien n'a pas respecté la présence du Premier ministre japonais à Téhéran et a répondu à ses efforts en attaquant deux pétroliers, dont l'un était japonais", a déclaré le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, dans une interview au quotidien Asharq al-Awsat publiée dimanche.

"Nous ne voulons pas une guerre dans la région (...) Mais nous n'hésiterons pas à réagir à toute menace contre notre peuple, notre souveraineté, notre intégrité territoriale et nos intérêts vitaux", a-t-il averti.

La veille, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont appelé à la sécurisation des approvisionnements en énergie venant du Golfe après les attaques survenues environ un mois après le sabotage de quatre navires, dont trois pétroliers, au large des Emirats, attribué également par Washington à l'Iran, qui a démenti.

A Téhéran, le président du Parlement Ali Larijani a insinué que les Etats-Unis étaient derrière les attaques "suspectes" de jeudi.

Arrimé en toute sécurité

Au milieu des craintes pour la navigation, le méthanier japonais endommagé jeudi a été arrimé en toute sécurité à un point d'ancrage aux Emirats. "Le Kokuka Courageous est arrivé en toute sécurité au mouillage désigné à Charjah", a indiqué dimanche BSM Ship Management, armateur du méthanier.

"L'évaluation des avaries et la préparation du transfert de la cargaison à un autre navire commenceront dès que les autorités portuaires auront achevé leurs contrôles et formalités de sûreté habituels", a-t-il ajouté. "Notre équipage reste à bord du Kokuka Courageous et ses membres sont sains et saufs".

L'équipage secouru par l'US Navy a dit avoir vu lors de l'attaque un "objet volant" se diriger vers le tanker puis une explosion. Sa cargaison de méthanol est intacte.

L'autre navire attaqué, le Front Altair, qui transportait du naphta, un produit pétrolier, a été remorqué hors des eaux iraniennes et subira une évaluation des dégâts, a déclaré son opérateur. Les 23 membres d'équipage du Front Altair sont arrivés samedi à Dubaï.

Les attaques contre des navires dans la région du Golfe en mai et en juin sont intervenues en pleine guerre de mots entre Téhéran et Washington.

Les relations entre ces deux pays se sont détériorées après l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, qui s'est retiré en 2018 de l'accord international sur le nucléaire iranien et a rétabli les sanctions économiques contre l'Iran. Début mai, les Etats-Unis ont envoyé des renforts militaires au Moyen-Orient, accusant l'Iran de préparer des attaques "imminentes" contre des intérêts américains.

La tension dans le Golfe est également alimentée par les attaques des rebelles Houthis au Yémen contre l'Arabie saoudite voisine. Les Houthis ont intensifié les attaques de drones contre le royaume saoudien qui intervient militairement depuis 2015 au Yémen à la tête d'une coalition antirebelles.

Dans son interview, le prince héritier saoudien a répété que son pays n'accepterait pas "la présence de milices iraniennes à ses frontières". Ryad accuse l'Iran d'armer les Houthis, mais Téhéran tout en disant soutenir ces rebelles dément leur fournir des armes.

Samedi, le royaume saoudien a annoncé l'interception d'un nouveau drone lancé par les Houthis contre la ville d'Abha (sud), au lendemain de l'interception de cinq drones en direction de l'aéroport d'Abha et d'une ville voisine. Mercredi, 26 civils ont été blessés dans une attaque au missile contre ce même aéroport.

Au Yémen, un porte-parole de la rébellion a promis des "jours douloureux" au royaume. En représailles aux attaques des Houthis, la coalition menée par Ryad a intensifié ses raids aériens contre des positions rebelles au Yémen.

Dans ce conflit comme en Syrie, en Irak et au Liban, les poids lourds saoudien et iranien soutiennent des camps opposés et se livrent à des guerres par procuration.

A qui profite le crime?

Ces actes de sabotages semblent minutieusement calculés pour offrir des images chocs à l’attention des médias et du public, mais pas assez virulent pour faire des victimes. Ces actions sentent à plein nez une campagne de communication rondement menée.

Alors que les sanctions américaines infligent de douloureuses répercussions économiques à l’Iran, il reste à déterminer qui crée cette atmosphère d’insécurité et quels acteurs bougent les pions dans cette partie d’échec.

Il serait étonnant que les services de renseignements des grandes puissances n’aient pas des indices pour identifier les auteurs de ces opérations. En tout cas, c’est à une véritable partie de bras de fer à laquelle nous assistons, avec l’espoir qu’elle ne se termine pas par des actes malheureux.

Le grand public est relégué à des suppositions et tente de deviner à qui profite le crime.

Certainement de manière naïve, une courte liste de 4 suspects peut être élaborée. Par ordre alphabétique, elle débute avec les «3 B»:

– Mohammed bin Salman (MBS), prince d’Arabie Saoudite et Benyamin Netanyahou, premier ministre d’Israël. Les deux pays verraient d’un bon œil la diminution de l’influence iranienne au Moyen-Orient.


– John Bolton, le conseiller stratégique va-t-en-guerre de Donald Trump, est assez fou et machiavélique pour orchestrer pareille manœuvre. Comme dans un remake de la guerre d’Irak, son compère Mike Pompeo s’est empressé de pointer du doigt l’Iran et de justifier une possible intervention américaine.

– Gardien du passage du Détroit d’Hormuz, l’Iran pourrait, avec ces avertissements sans frais, indiquer détenir un Joker. Depuis le début des sanctions, Téhéran a vu ses entrées en pétrodollars diminuer de 10 milliards et pourraient signifier que la limite est atteinte.

Pour corser l’énigme, l’incident a eu lieu alors que le premier ministre japonais, Shinzo Abe, était en visite à Téhéran pour rencontrer l’Ayatollah Ali Khamenei afin d’adoucir les contours avec les USA. L’attaque d’un bateau japonais par l’Iran alors que le premier ministre japonais vient parler de paix laisse perplexe.

La genèse de cette situation chaotique est le fruit de la volonté du Président Trump de renégocier l’accord sur le nucléaire iranien. Au début, s’il s’agissait certainement d’une tactique de négociation, elle tourne aujourd’hui dans un scénario ou les muscles et l’intelligence tactique haussent le ton.

Bien malin qui pourra prévoir le prochain coup.

Laurent Horvath