Salah Ramadan Al Fitouri Salem (au centre)
«Vous voyez ce criminel ici?», a demandé en avril dernier le colonel de l'armée nationale libyenne (ANL), Ahmed El-Mismari, lors d'une conférence de presse diffusée par Sky News Arabia. Il faisait alors allusion à Salah Ramadan Al Fitouri Salem. En Suisse, cet imam biennois est plus connu sous le nom d'Abu Ramadan. Il avait défrayé la chronique en 2017 pour avoir tenu des propos haineux lors d'un prêche.
Selon l'ANL, une force paramilitaire dirigée par son chef autoproclamé, le maréchal Khalifa Haftar (lire l’encadré), l'imam biennois est un «dangereux terroriste». «Nos forces armées le recherchent activement», a expliqué à la presse Ahmed El-Mismari. Concrètement, l'ANL lui reproche d'être membre d'al-Qaïda et d'avoir participé à des opérations en Syrie.
Abu Ramadan s'est exprimé sur ces accusations par le biais du Conseil central islamique suisse: «Les affirmations selon lesquelles je suis un mufti officiel d'al-Qaïda et un terroriste sont fausses. Je n'ai pas non plus participé à des opérations en Syrie. C'est un mensonge.» Il pense plutôt qu'il «dérange» l'ANL pour s'être engagé «activement, mais sans violence» contre le régime de Kadhafi, à l'époque où il se trouvait en Libye. Aujourd'hui, précise Abu Ramadan, il ne pourrait plus se rendre en Libye sans craindre pour sa vie. Pour finir, l'imam biennois précise avoir signalé l'enregistrement de la conférence de presse à la police municipale de Bienne en mai dernier pour mettre les choses au clair.
Peter Regli, ancien chef du service de renseignement de la Confédération, estime que ces accusations sont à prendre avec des pincettes. «Le gouvernement d'union nationale, soutenu par l'ONU, siège à Tripoli. Mais dans le reste du pays, c'est le maréchal Haftar qui règne. C'est aussi lui qui possède la plupart des sources de pétrole. Il est évident que ses affirmations sont motivées politiquement.»
Pas d'extradition au cours des trente dernières années
Contacté, l'Office fédéral de la justice (OFJ) n'a pas voulu dire dans quelle mesure les informations communiquées par l'ANL allaient donner lieu à des investigations en Suisse. L'office explique qu'il n'existe aucun accord d'extradition et d'entraide judiciaire entre la Suisse et la Libye. L'OFJ précise cependant qu'une collaboration avec un État tiers reste tout à fait possible, même sans accords, dans la mesure où les droits de l’homme sont respectés et que la personne extradée ne risque pas la peine de mort. Pour finir, l'Office fédéral de la justice précise n'avoir extradé personne vers la Libye au cours des trente dernières années.
Beat Stauffer, directeur biennois de la sécurité, n'a quant à lui pas pu s'exprimer sur l'affaire en question parce qu'il ne dispose pas des informations nécessaires. Il tient cependant à préciser que les autorités municipales ne cessent de surveiller tous les développements concernant l'extrémisme et la violence en ville de Bienne. Il se dit par ailleurs convaincu que les autorités fédérales observent d'ores et déjà ce dossier de près.
Enquête pénale contre Abu Ramadan
Le Libyen Abu Ramadan (Ben Salem Salah) est arrivé en Suisse en 1998. Entre 2004 et 2017, il a touché 600'000 francs d'aide sociale à Nidau (BE). En 2017, le Tribunal administratif fédéral lui a retiré son droit d'asile parce qu'il est retourné au moins douze fois dans son pays d'origine en l'espace de quatre ans. Cette décision ne concernait en revanche pas son autorisation d'établissement. Abu Ramadan possède donc toujours le permis C.
L'imam biennois a fait les gros titres en Suisse en été 2017 après avoir tenu des propos haineux dans une mosquée de Bienne. Fin mars 2018, le Ministère public régional du Jura bernois-Seeland a ouvert une enquête pénale contre lui pour soupçons de discrimination raciale. Cette enquête est toujours en cours. Abu Ramadan a entre-temps atteint l'âge de la retraite et perçoit des prestations complémentaires.
La Libye après la chute de Kadhafi
Après la chute de Mouammar Kadhafi, deux forces ennemies se sont créées en Libye. D'un côté se trouve le gouvernement d'union nationale (GNA), reconnu au niveau international. De l'autre se trouve l'armée nationale libyenne (ANL), autoproclamée et dirigée par le maréchal Haftar, un ancien compagnon de Kadhafi. Selon le journal «Die Welt», Haftar a occupé au cours des dernières années les champs de pétrole et les ports les plus importants du pays. Il dit vouloir combattre les islamistes et est soutenu par l'Égypte et les Émirats arabes unis.
D. Pomper
D. Krähenbühl
R. Lieberherr