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dimanche 20 janvier 2019

La « Guerre du Cochon » est probablement l’un des conflits armés les plus étranges de l’histoire


En bleu : la ligne de séparation privilégiée par les États-Unis 
En rouge : celle privilégiée par l’Empire britannique 
En vert : le compromis


L’histoire commence en 1846, lorsque les États-Unis et la Grande-Bretagne ratifient le traité de l’Oregon, censé mettre un terme à un litige frontalier de longue date entre les deux nations. Retour sur cet épisode historique unique.

Le traité de l’Oregon précise que la frontière entre les États-Unis et la Colombie-Britannique sera matérialisée par le 49e parallèle, une ligne de séparation toujours valable aujourd’hui.

Si cela semble simple sur le papier, la réalité s’avère bien différente : un ensemble d’îles situées au sud-ouest de la ville de Vancouver pose problème, et bien que le traité précise que la frontière « traverse le détroit séparant le continent de l’île de Vancouver », cette ligne de partage pour le moins floue va être source de fortes tensions.

San Juan est l’une des îles les plus importantes de cet archipel, et sa position stratégique à l’embouchure du détroit va pousser les États-Unis et l’Angleterre à en revendiquer la souveraineté lorsque leurs ressortissants vont commencer à s’y installer.

En 1859, les Britanniques sont majoritaires sur l’île, et leur présence est renforcée par l’arrivée de la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui y installe un élevage de moutons. Au même moment, 20 à 30 colons américains arrivent sur l’île et y élisent domicile.



À en croire les rapports officiels de l’époque, les deux groupes d’insulaires entretiennent des rapports plutôt cordiaux, mais cela ne va malheureusement pas durer. Le 15 juin 1859, un porc appartenant aux Britanniques se rend sur les terres du fermier américain Lyman Cutlar et commence à manger ses pommes de terre. Fou de rage, Cutlar abat l’animal.

Le porc appartient au britannique Charles Griffin, membre de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Ce dernier possède de nombreuses bêtes et a l’habitude de les laisser évoluer librement sur l’île, et il est probable qu’un tel incident se soit déjà produit auparavant.

Lorsque Griffin apprend la mort de l’animal, il se rend sur les terres de Cutlar afin d’obtenir des explications. Cutlar lui propose 10 dollars en compensation, mais Griffin refuse catégoriquement et dénonce le fermier américain aux autorités britanniques locales qui menacent de l’arrêter.

Cet incident provoque la colère des citoyens américains locaux qui ripostent en rédigeant une pétition afin de bénéficier de la protection de l’armée américaine.

L’élevage de moutons de la Compagnie de la Baie d’Hudson


Le document arrive jusqu’au général William S. Harney, commandant du Département de l’Oregon ouvertement anti-britannique. Sans réfléchir, l’homme envoie une compagnie de 66 hommes de la 9ème division d’infanterie américaine à San Juan le 27 juillet 1859.

Lorsqu’il apprend la nouvelle, James Douglas, alors gouverneur de la Colombie-Britannique, décide d’envoyer trois navires de guerre britanniques dans la région en guise de démonstration de force.

Dans les mois qui suivent, la tension grimpe et les deux nations renforcent leur présence militaire dans la région, et bien qu’en infériorité numérique, les troupes américaines refusent catégoriquement de quitter l’île de San Juan.

Il faut attendre l’arrivée de l’amiral Robert L. Baynes, commandant en chef de la marine britannique dans le Pacifique pour que les choses évoluent.

Le camp des anglais installé au nord de l’île


James Douglas ordonne à Baynes de débarquer ses troupes sur l’île de San Juan et d’engager le combat avec la neuvième division d’infanterie américaine, mais ce dernier refuse en déclarant qu’il « n’impliquerait pas deux grandes nations dans une guerre née d’une querelle au sujet d’un cochon ».

Les échos de cet étrange conflit arrivent finalement jusqu’à Washington et Londres, et les fonctionnaires des deux nations sont sidérés par le fait qu’une banale dispute soit devenue une impasse impliquant 3 navires de guerre, 84 canons et plus de 2 600 hommes.

L’un des campements américains installés sur l’île de San Juan


Craignant que la situation ne s’aggrave davantage, les deux parties entament rapidement des négociations, et décident finalement que les États-Unis et la Grande-Bretagne devront maintenir une présence militaire inférieure à 100 hommes sur l’île jusqu’à ce qu’un accord formel puisse être trouvé.

Les Britanniques installent leur camp au nord de l’île, tandis que les Américains se regroupent au sud. Il faut finalement attendre 1872 pour qu’une commission internationale menée par le Kaiser Wilhelm Ier d’Allemagne ne place l’île sous le contrôle des Américains, et mette définitivement un terme à la Guerre du Cochon.



Aujourd’hui, les camps britanniques et américains peuvent encore être visités sur l’île de San Juan. Fait intéressant : il s’agit du seul territoire appartenant aux parcs nationaux des États-Unis où un drapeau étranger est régulièrement hissé. Il a été gracieusement offert au pays par le gouvernement britannique, en signe d’amitié.

Yann Contegat