Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les nazis ont envahi de nombreux pays et dérobé des objets, des bijoux et des œuvres d’art d’une valeur inestimable. Si les tentatives de récupération des plus spectaculaires de ces trésors ont été largement documentées, l’étrange programme allemand impliquant le vol d’étalons comptant parmi les plus précieux au monde, reste largement méconnu.
L’idéologie colportée par le régime nazi était en grande partie basée sur l’existence et la pérennisation d’une race humaine supérieure, et Hitler croyait dur comme fer qu’il lui serait également possible de créer une race de super-chevaux, les plus braves et les plus « purs » de l’histoire de l’humanité, en sélectionnant des centaines d’étalons. Loin d’être une vulgaire fantaisie, cette décision représentait une réponse délibérée aux mauvaises fortunes qu’avait connu l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale.
Lors de l’invasion de la Pologne en 1939, l’armée allemande utilisait plus d’une centaine de milliers de chevaux© Wikimedia Commons
Comme l’explique Elizabeth Letts dans son fantastique livre The Perfect Horse, l’industrie équine allemande avait été fortement impactée par la Grande Guerre et la défaite allemande, et Hitler voulait rendre à son pays sa gloire passée :
« Après la Première Guerre mondiale, plusieurs facteurs se sont combinés et ont quasiment détruit l’élevage de chevaux et les sports équestres en Allemagne. Le nombre de victimes équines a été si élevé durant le conflit que le nombre de chevaux a diminué de moitié. En outre, les conditions inflationnistes en Allemagne ont rendu la vente et l’entretien des chevaux difficiles et, pour compliquer encore un peu plus les choses, l’Allemagne a dû se séparer de milliers de chevaux dans le cadre des réparations imposées par le Traité de Versailles. »
Lorsque l’Allemagne est entrée en guerre deux décennies plus tard, les chevaux étaient devenus l’une des principales préoccupations d’Hitler. Et malgré la forte production industrielle du pays et les progrès technologiques réalisés, les dirigeants allemands étaient persuadés qu’ils avaient besoin de davantage de chevaux pour contribuer à l’effort de guerre. Selon l’ouvrage d’Elizabeth Letts, l’armée allemande utilisait plus de 180 000 chevaux et ânes en 1938.
Afin de créer cette lignée parfaitement pure, Hitler faisait appel aux services de Gustav Rau, un hippologue qui avait passé des années à développer l’élevage équin en Allemagne. Rau allait finalement jeter son dévolu sur le célèbre étalon Lipizzan, une race royale réputée pour son allure et sa dextérité hors du commun. Persuadé qu’il pourrait créer des légions entières de super chevaux en l’espace de trois ans et ignorant les risques impliqués par la consanguinité (mutations génétiques, malformations) l’homme écrivait à ce sujet : « Nous devons développer et pérenniser cette lignée par tous les moyens ».
Les purs-sangs réquisitionnés ou dérobés étaient traités avec le plus grand soin par les soldats allemands © Wikimedia Commons
Dès lors, les soldats allemands commençaient à dérober des étalons Lipizzan de race pure dans les haras et les centres équestres les plus réputés d’Europe. Bénéficiant d’un traitement privilégié, les animaux kidnappés étaient transportés dans des wagons de train spacieux et placés en pension dans les fermes les plus réputées des territoires occupés par l’Allemagne. Comme l’écrit Letts : « Le fait de traiter ces animaux avec le plus grand soin et la plus grande gentillesse représentait une énième bizarrerie de la philosophie nazie, si inhumaine pour les humains ». En 1942, Rau était en possession de la quasi-totalité des Lipizzans de race pure au monde.
Gustav Rau était considéré comme l’un des plus éminents hippologues allemands du 20ème siècle
© Wikimedia Commons
Lorsque le vent tournait pour l’Allemagne quelques années plus tard, Rudolf Lessing, vétérinaire nazi travaillant dans un haras de Tchécoslovaquie commençait à craindre pour la vie des chevaux alors que les Russes étaient sur le point de prendre possession des lieux. À l’époque, le New York Post rapportait que les soldats de l’armée rouge « ne montraient aucun intérêt pour les étalons célèbres » et qu’Alchemist, légendaire cheval de course pur-sang faisant la fierté du régime nazi, « avait été abattu par des soldats russes en maraude au printemps 1945 après avoir refusé de grimper dans leur camion ».
Craignant que les étalons Lipizzans qu’il soignait ne soient les prochains sur la liste, Rudolf Lessing réalisait alors l’impensable en prenant contact avec les Américains et en leur demandant « d’exfiltrer » les chevaux.
Lorsque le général George Patton apprenait que les étalons en question se trouvaient loin derrière les lignes ennemies en Tchécoslovaquie, il envoyait la cavalerie pour les rapatrier au plus vite, déclarant notamment aux hommes chargés de cette mission secrète : « Mettez la main sur ces chevaux et faites ça vite ». À l’époque, l’armée américaine avait convenu avec Staline de ne pas avancer plus loin que la frontière séparant l’Allemagne de la Tchécoslovaquie, et les équidés se trouvaient à des dizaines de kilomètres de là.
Avec l’aide de Lessing, Hank Reed, commandant de la Seconde Cavalerie américaine en Europe, négociait une reddition avec la ferme équestre occupée et plaçait les chevaux sous la surveillance des militaires américains. À l’automne 1945, 151 chevaux étaient chargés sur un bateau à destination des États-Unis, et tous allaient survivre au voyage. Lorsque les journalistes interrogeaient Reed au sujet de cette mission de sauvetage insolite, il déclarait : « Nous étions tellement usés par la mort et la destruction. Nous voulions faire quelque chose de beau ».
Yann Contegat