vendredi 6 juillet 2018
Terrorisme : quelles sont les menaces qui pèsent sur les centrales nucléaires ?
Après les attentats du 11 septembre 2001, l’hypothèse de voir un avion commercial détourné par des terroristes s’écraser sur un site aussi sensible qu’une centrale nucléaire ne pouvait plus être écartée.
Pour contrer cette menace, l’on pense évidemment aux moyens engagés par l’armée de l’Air au titre de la posture permanente de sûreté aérienne, qui mobilise 8 avions de chasse, 5 hélicoptères [MASA], 1 AWACS et 1 ravitailleur (cela en fait d’ailleurs le dispositif le plus « robuste » d’Europe. Cependant, les délais d’intervention peuvent être très réduits, de l’ordre d’une dix minutes, comme l’a montré le drame de l’Airbus A320 de la Germanwings, qui s’est écrasé à cause d’un acte volontaire de son co-pilote : le temps que Mirage 2000 en alerte sur la base aérienne d’Orange décolle, l’appareil civil était déjà au sol.
Par ailleurs, un avion peut être détourné par des terroristes qui n’ont pas nécessairement l’intention de s’écraser sur une centrale nucléaire… « À quel moment est-on sûr de faire face à une agression terroriste? Au moment de l’impact! » a résumé le général Philippe Adam, commandant la brigade aérienne des opérations, lors de son audition par les députés de la Commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires.
« C’est désolant, mais dans bien des cas, c’est ainsi que cela se passe et c’est ce qui s’est produit le 11 septembre. Je pense que la disparition des avions des écrans a été notée, mais personne n’a su ce que les terroristes voulaient faire jusqu’au moment où l’avion s’est écrasé. Nous savons désormais que le mode d’action existe. Si cela se reproduisait, peut-être serions-nous un peu plus prudents et arriverions-nous un peu plus rapidement à une prise de décision » qui est « extrêmement difficile s’agissant d’un avion civil » car « même si elle n’est pas très claire, la Convention de Chicago n’encourage pas la destruction d’un appareil civil », a ensuite expliqué le général Adam.
Cela étant, un tel risque est peu probable. En premier lieu, les mesures qui ont été prises après les attentats du 11 septembre 2001 dans le transport aérien ont renforcé la sécurité afin d’empêcher la prise de contrôle d’un avion par des terroristes. Toutefois, cette dernière peut encore avoir des failles, comme l’ont montré les détournements des vols 8U209 (A320 de la compagnie libyenne Afriqiyah en 2016) et 702 (Boeing 767-300ER d’Ethiopia Airlines, détourné par… son co-pilote).
Ensuite, même si des pirates réussissent à prendre les commandes d’un avion civil, encore faut-il qu’ils soient en mesure de viser précisément le point critique d’une centrale, c’est à dire le bâtiment abritant les piscines de combustibles.
« Viser la cible nécessite de la voir suffisamment tôt. Il convient donc qu’il fasse beau. S’il fait nuit, des dispositifs de vision nocturne s’imposent, mais ils engendrent nombre de problèmes. Utiliser de tels dispositifs nécessite des entraînements. N’importe qui ne peut pas piloter avec des jumelles de vision nocturne, cela s’apprend et se travaille. Et si l’on ne s’est pas entraîné, on se tue avant d’atteindre l’objectif », a expliqué le général Adam.
« Le ciblage consiste à déterminer l’endroit où l’avion doit s’écraser et suppose une grande précision. L’opération est réalisable avec un petit avion, un chasseur, par exemple. Ce qui nous inquiète le plus, c’est que plus gros sera l’avion, plus l’énergie qu’il déploiera à l’impact sera élevée. Cela dit, ces gros avions sont difficiles à piloter en raison de leur grande inertie et parce qu’ils ne sont pas conçus pour des pilotages extrêmement précis », a continué le commandant de la brigade aérienne des opérations. En tout cas, une attaque contre une centrale nucléaire serait plus compliquée à réaliser que celles du 11 septembre 2001. « Les tours n’étaient pas difficiles à repérer dans un grand ciel bleu. Il suffisait que l’avion percute la tour n’importe où. Le pilote n’avait pas de problème pour atteindre son objectif », a-t-il commenté.
L’on peut toutefois supposer qu’un terroriste ayant détourné un avion puisse se servir du GPS pour se guider vers son objectif… Mais là encore, pour le général Adam, cela ne lui serait « pas d’une grande aide » car les « dernières manoeuvres se feraient manuellement ». Ainsi, a-t-il ajouté, « le pilote amènera à vue son avion sur la centrale, il n’utilisera pas le GPS. »
En outre, pour écarter définitivement un tel danger, il pourrait être envisagé de mettre en place un dispositif reposant sur des fumigènes afin de masquer l’approche finale d’une centrale à des terroristes ayant détourné un avion de ligne. L’Allemagne a adopté une telle solution. « Ce dispositif nécessite un certain préavis : nous devons être informés et puis alerter les personnels de la centrale afin qu’ils déclenchent le système au moment adéquat. En effet, le temps d’usage du fumigène est […] limité. Par ailleurs, en fonction du temps et du vent, il perd de son efficacité », a relativisé le général Adam.
Mais une attaque contre une site nucléaire peut se faire avec un avion léger, emportant une importante quantité d’explosifs. Sur ce point, a concédé le général Adam, « on s’aperçoit qu’un avion léger est en infraction au moment où il entre dans la zone. Tant qu’il est à l’extérieur, il fait ce qu’il veut. Ce serait un grand coup de chance si l’on parvenait à intervenir avant qu’il atteigne son objectif. »
« Notre dispositif couvre des menaces plus sérieuses, des avions plus gros, susceptibles d’infliger des dommages bien supérieurs. Encore une fois, un avion léger ne serait pas particulièrement inquiétant à cet égard. Bien sûr, la chute d’un avion sur une centrale ou sur un site sensible au milieu de Fos serait une mauvaise nouvelle », a-t-il déclaré.
Reste la menace des drones, apparue en 2014, quand plusieurs de ces appareils ont survolé des centrales et des installations nucléaires. À noter que le (ou les) auteur(s) de ces vols n’ont pas été identifiés à ce jour, même si la piste de « bidouilleurs » avait été évoquée en mars 2015.
Le 3 juillet, pour mettre en avant ce risque, Greenpeace a fait s’écraser un drone ayant l’apparence de « Superman » contre la piscine d’entreposage du combustible nucléaire usagé de la centrale de Bugey, près de Lyon. Les images diffusées à cette occasion n’ont fait que confirmer les propos du général Adam. « Pour que le drone soit réellement dangereux, il faut qu’il ait la capacité d’emporter une charge utile importante. Il ne s’agit pas de drones de loisirs que l’on fait voler dans son salon, mais d’engins de plus grande ampleur », a-t-il dit aux députés.
Cependant, l’hypothèse d’une attaque avec de tels moyens est évidemment prise en considération, d’autant plus que l’État islamique (EI ou Daesh) sait concevoir de tels appareils capables d’emporter des explosifs.
« Nous pourrions être confrontés à des attaques de très grande ampleur, voire à des attaques simultanées sur l’ensemble des sites », a admis le général Adam, pour qui, dans cette éventualité, « centraliser les informations pour être en mesure de fournir une réponse coordonnée et intelligente est une condition d’efficacité ».
La menace relative aux drones fait l’objet de recherches visant à la neutraliser. Des dispositifs sont d’ailleurs déjà au point mais ils ne sont pas encore opérationnels. Du moins pas tous.
Au niveau des Armées, le programme MILAD [Moyen intermédiaire de lutte anti-drone] est en cours. Développé par la Communication et Systèmes et devant être livré à l’armée de l’Air d’ici la fin de cette année, il vise à détecter et à neutraliser un drone. Mais, a reconnu le général Adam, la « détection reste un problème, à partir du moment où l’on s’intéresse à des zones qui sont relativement restreintes, nous disposons d’options autres que des gros radars de défense aérienne. »
Le contrôle des étrangers employés sur des sites nucléaires n’est pas totalement garanti
Plusieurs types de menaces peuvent peser sur une centrale nucléaire. La première qui vient à l’esprit est celle d’un avion de ligne détourné pour s’écraser sur un tel site sensible.
Or, une opération de cette nature, si elle théoriquement pratique, n’est pas aisée à mettre en pratique (il faut déjouer les mesures de sécurité, réussir à prendre le contrôle de l’appareil, viser le point le plus névralgique d’une centrale… à la condition de bénéficier de conditions favorables).
L’intrusion de terroristes dans l’enceinte d’une centrale constitue une autre menace. Elle est prise en compte par les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG), dont le rapport rédigé par Barbara Pompili, au nom de la commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, propose d’augmenter les effectifs.
Une troisième menace est liée à la cybersécurité. Mais pour Guillaume Poupard, le patron de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information [ANSSI, cyberdéfense française], le « secteur nucléaire civil est le plus sûr, le plus mature parmi les secteurs sensibles. Le secteur nucléaire est celui où le plus de travaux sont entrepris, où les obligations de moyens sont maximales. Nous ne sommes pas loin d’une obligation de résultat à la hauteur des enjeux », a-t-il confié lors de son audition par la commission parlementaire.
Cependant, une attaque informatique est toujours possible, notamment si, par exemple, l’employé d’une centrale introduit une clé USB dans le système informatique. C’est en effet par ce moyen que les automates programmables industriels (API) du site nucléaire iranien de Bouchehr furent affectés par le virus Stuxnet, en 2010.
Aussi, s’il est beaucoup question du risque d’intrusion ou encore de de menaces aériennes et informatiques, le risque interne est probablement le plus élevé, comme en témoigne l’exemple de la centrale nucléaire de Doel, en Belgique, victime d’un sabotatage en 2014. En attendant les résultats de l’enquête, les responsables du site ont augmenté le nombre de caméras et les employés ne sont plus autorisés à entrer seuls dans les zones les plus critiques pour la sécurité.
Pour écarter ce risque interne, un commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire [COSSEN] a été créé en 2016 sous l’égide de la Gendarmerie nationale. Cet organisme, rappelle Mme Pompili dans son rapport, est chargé de « l’instruction des demandes d’avis en vue d’autoriser une personne à accéder à tout ou partie d’un point d’importance vitale, mais également de l’instruction des enquêtes administratives liées aux procédures administratives de recrutement, d’affectation, d’agrément ou d’habilitation. »
Pour cela, le COSSEN a accès à 9 fichiers, dont le le TAJ (traitement d’antécédents judiciaires), le FPR (fichier des personnes recherchées) et le FSPRT (fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation terroriste).
Selon le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, « en 8 mois, 125.000 enquêtes ont déjà été traitées, qui ont donné lieu au final à 753 avis défavorables, soit 0,6 % du total. Ces avis défavorables sont motivés le plus souvent par des comportements liés à la consommation régulière de produits stupéfiants. Viennent ensuite les vols aggravés, les escroqueries ou les violences graves. Mais 15 avis défavorables sont liés à des phénomènes de radicalisation. »
En théorie, ce risque de sabotage interne est « maîtrisé ». Du moins peut-on le penser… Car s’il est possible de vérifier les antécédents de salariés français, les choses se compliquent pour ceux qui, employés le plus souvent par des sous-traitants, sont de nationalité étrangère.
« Nous criblons toutes les personnes, y compris les sous-traitants, qui travaillent à l’intérieur des zones sensibles. Effectivement, un certain nombre de personnes venant de l’extérieur pourraient ne pas être connues de la DGSI : cela peut représenter un point de faiblesse. Nous n’avons pas accès aux fichiers du type FSPRT de l’ensemble de nos partenaires : le droit européen ne le permet pas », a ainsi admis le ministre de l’Intérieur.
« La situation est plus compliquée pour les personnels de nationalité étrangère, pour lesquels une marge de progrès est possible. Si le fichier Schengen était accessible autrement que dans le cadre de poursuites judiciaires, on ferait mieux en matière de personnel étranger », a abondé Claire Landais, la Secrétaire générale de la Défense et de la Sécurité nationale [SGDSN].
Mais les freins sont aussi du côté français, comme l’indique le ministère de l’Intérieur. Ainsi, consulter le fichier ACCRED [Automatisation de la Consultation Centralisée de Renseignements et de Données], qui a fait un peu de bruit l’an dernier, n’est pas autorisé s’il s’agit de se renseigner sur les antécédents judiciaires d’un ressortissant étranger.
« Cette limitation fait actuellement l’objet d’une expertise juridique par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur. La modification du cadre juridique (…) nécessite un accord au niveau européen, ce qui rend cette difficulté particulièrement délicate. Même si les échanges entre services européens ont progressé, il est important de prendre les moyens d’améliorer nos moyens d’investigation dans ce domaine », souligne-t-on du côté de la place Bauveau.
Ces salariés étrangers seraient « quelques milliers », avance Mme Pompili. Ce qui, évidemment, n’est pas négligeable. Cela étant, leurs fonctions se limitent à des activités liées à la logistique qui ne demandent pas spécialement un accès aux zones sensibles. Cependant, « la question se pose cependant avec une acuité croissante, d’autant que les règles de concurrence ne permettent pas d’exclure une personne au motif qu’elle est étrangère », a-t-elle conclu.