jeudi 15 mars 2018
Le MIT voulait anesthésier et kidnapper un opposant, avec l'aide de l'ambassade turque à Berne
Le régime turc a envoyé en Suisse trois membres de ses services secrets, le MIT. Leur mission: enlever un opposant turc vivant dans le canton de Zurich. Le commando a également bénéficié de l'aide de deux employés de haut rang de l’ambassade de Turquie à Berne, raconte le Tages-Anzeiger dans son édition du 15 mars 2018.
Leur projet a toutefois été éventé par le Service de renseignement de la Confédération (SRC), qui a mis en place une surveillance discrète. Le contre-espionnage helvétique a ainsi pu photographier une réunion secrète dans un petit cimetière de l'Oberland zurichois un après-midi d'août 2016.
L'ambassade turque impliquée
Le commando du MIT a essayé de convaincre Emre*, un compatriote, de l'aider à enlever un homme présenté comme un ennemi du régime de Recep Tayyip Erdogan. Il aurait soutenu les putschistes lors de la tentative de coup d'état quelques semaines auparavant, affirment les agents.
Les photos prises à cette occasion par le contre-espionnage helvétique montrent également la présence à cette réunion de deux membres de haut rang de l’ambassade de Turquie à Berne. Le premier n'est autre que le second secrétaire de l'ambassade, Hakan Kamil Yerge.
L'autre a pour nom Haci Mehmet Gani, très connu dans la communauté turque en Suisse et ancien attaché de presse de l'ambassade. C'est lui qui a mis le commando en contact avec Emre, aux abois en raison de ses dettes et qui a l'avantage de connaître l'homme qu'Ankara veut enlever.
Un entrepreneur visé
En échange de ses services, Emre se voit promettre beaucoup d'argent et une vie sans soucis en Turquie s'il accepte de verser dans la nourriture de la cible quelques gouttes de GHB, un psychotrope hypnotique surnommé les gouttes du KO ou la drogue du violeur tant il est puissant.
La cible du commando est un entrepreneur d'une cinquantaine d'années vivant depuis des années à Zurich. Il évolue dans la mouvance du prédicateur Fethullah Gülen, dont Recep Tayyip Erdogan veut la tête. Il vit désormais sous la protection de la police
Au début 2017, Emre est invité par le Ministère public de la Confédération dans le cadre de son enquête. Il dévoile tout à Carlo Bulletti, le responsable du département Protection de l'Etat, qui est déjà bien documenté sur l'affaire. Mais il avertit également l'ambassade de Turquie qu'il a été convoqué et qu'il dira tout.
Comme les nazis
L'émotion est vive à Berne, à tel point que le Conseil fédéral va autoriser le Ministère public de la Confédération (MPC) à ouvrir une procédure. L'enquête porte non seulement sur des soupçons d'activités d'espionnage mais aussi sur la préparation d'enlèvement par un Etat étranger.
Les deux membres de l'ambassade turque n'ont toutefois rien à craindre car ils sont protégés par l'immunité diplomatique. Seule Ankara pourrait lever leur immunité et il est peu probable qu'elle le fasse. Haci Mehmet Gani n'est d'ailleurs plus en Suisse mais il reste accrédité comme le numéro deux de l'ambassade à Berne.
Ce dossier rappelle des heures sombres à Berne. Il faut en effet remonter à 1935 pour voir une affaire similaire en Suisse. Cette année, les nazis avait fait enlever par la Gestapo le journaliste Berthold Jacob à Bâle.
* Prénom d'emprunt