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lundi 1 janvier 2018

Système carcéral : pourquoi la Norvège réussit là où tout le monde échoue ?


LA NORVÈGE, UN EXEMPLE À SUIVRE

La prison de Halden, en Norvège


Douglas Hurd a beau être un homme politique conservateur, il reste persuadé que la prison est « un moyen onéreux de rendre les mauvaises personnes encore plus mauvaises ». Associé à la justice, le système carcéral est un élément structurel de notre société censé empêcher les criminels de récidiver, dissuader les populations d’enfreindre la loi, et transformer le comportement des prisonniers pour qu’ils puissent retourner à la liberté. Cependant, peu de modèles de prison remplissent véritablement ces missions ; surtout ils donnent lieu à de nombreuses dérives aussi coûteuses qu’inhumaines. Face à la défaillance généralisée des prisons du monde, la Norvège est parvenue à instaurer un modèle centré sur le respect, le bien-être et la réinsertion des détenus.

Torture, humiliations, exterminations de masse, certaines prisons sont pires que les représentations que nous pourrions avoir de l’enfer. La prison de Saydnaya s’est transformée en véritable abattoir humain le temps du conflit syrien. D’après un rapport d’Amnesty international, plus de 13 000 personnes, essentiellement des civils, ont été pendues entre 2011 et 2015, et ce, souvent après avoir été battues, violées, et condamnées par un procès factice.

Malheureusement les États n’ont pas besoin de la guerre pour fermer les yeux sur les atrocités qui se passent en prison. Beaucoup de prisons brésiliennes autorisent par exemple que les barons de la drogue et les gangs sévissent derrière les barreaux. Une centaine de personnes sont mortes au début de l’année dans les émeutes en prison au Brésil. Enfin, tout le monde garde en tête le camp de Guantanamo qui, échappant au système judiciaire américain, a permis que des combattants jugés « illégaux » soient torturés et enfermés dans des cages au soleil.

Si de telles pratiques existent encore, c’est parce qu’elles ont lieu dans des zones de non-droit qui, même quand elles se dressent contre la volonté des gouvernements, sont particulièrement difficiles à démanteler. Bush a peut-être cautionné le système de Guantanamo après le 11 septembre mais Obama n’a pas réussi à fermer le camp, notamment à cause de l’opposition du Congrès. Bien que ces zones de non-droit soient considérées comme des exceptions au regard de la communauté internationale, un grand nombre de systèmes carcéraux restent défaillants.

D’après Roy Walmsley de l’« Institute for Criminel Policy Research », il y a environ 10.3 millions de personnes derrière les barreaux, et ce, sans compter les Etats qui n’ont pas de statistiques publiques comme la Corée du Nord. Depuis les années 2000, le nombre de prisonniers dans le monde a augmenté de 20 %, soit une hausse plus importante que la croissance de la population (18 %) ! Si les chiffres ont baissé de 21 % en Europe, ils ont explosé en Amérique du Sud, en Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient.

Les États-Unis disposent également d’un des plus forts taux d’incarcération au monde. Bien que le nombre d’emprisonnements ait baissé entre 2008 et 2015, il existait toujours 700 prisonniers pour 100 000 personnes à cette date. Cette tendance risque de s’aggraver avec l’administration Trump et son procureur général Jeff Sessions qui a explicitement manifesté la volonté de rendre les États-Unis plus punitifs ! La Norvège en revanche, a un taux d’incarcération de 74 détenus pour 100 000 personnes, soit à peine un dixième des chiffres de l’Amérique du Nord !

En plus d’être moralement contestable, cette course à l’incarcération trouve sa limite dans la surpopulation des prisons partout dans le monde. Ainsi, dans 58 % des 198 pays transparents sur leurs données carcérales, les prisons sont pleines à plus de 100 % ! Avec de tels excès, il est particulièrement difficile de s’occuper des détenus, pourtant c’est là que le bât blesse, car le travail de réinsertion est fondamental dans la prévention de la récidive. La Norvège qui réserve la peine de prison pour les cas particulièrement graves, a la place et les moyens de faire un véritable travail avec les détenus.

Les peines de prison sont longues, particulièrement aux États-Unis. On a tendance à penser que ce type de peine est particulièrement dissuasif, mais en réalité cette conception est très éloignée de la réalité parce que les criminels pensent à court terme. Peu importe les caractéristiques de la peine, ce qui compte, c’est la certitude qu’elle sera rapidement appliquée. Si le criminel sait qu’il va être condamné alors il peut s’empêcher d’agir. De même, la plupart du temps les détenus sont maintenus en prison bien après avoir passé l’âge de poser un problème pour la société.

Si les États-Unis ont essayé de limiter les incarcérations, c’est avant tout parce qu’elles sont trop onéreuses. Ainsi, l’emprisonnement revient 8 fois plus cher que de mettre le condamné en probation. Même si la France est loin d’être le pays qui prononce le plus de peines de prisons, le budget annuel de l’administration pénitentiaire était tout de même de 2,69 milliards d’euros au 1er janvier 2016. Les prisons coûtent cher et il est légitime de penser que le budget des États pourrait être mieux employé.

Dans ces prisons à caractère bureaucratique, les détenus sont laissés pour compte. Perdus dans la masse de la population carcérale, à purger des peines trop longues, ils sont la plupart du temps victimes d’exclusion et d’isolement. Sans accompagnement social ou psychologique, les détenus sombrent et prennent de mauvaises habitudes. S’il est impossible de réintégrer de tels prisonniers dans la société, notons que certains groupes font l’objet d’une stigmatisation particulière.

Pour Laurent Roesch, la peur et le rejet de l’autre qui se sont insérés dans les représentations sociales aux États-Unis ont contribué à faire passer le pays de « l’État-providence à l’État pénal ». Sous couvert de contrôle social, l’État américain a procédé à l’incarcération massive des Afro-Américains, punissant de prison la délinquance de rue souvent liée à la pauvreté. La mise sous tutelle de ces populations a toujours un coût social immense et continue de les stigmatiser comme des minorités.

La Norvège a un taux de récidive presque deux fois moins élevé que les États-Unis. Elle détient également le taux le plus bas de Scandinavie. Ainsi, à peine 20 % des détenus voient leur peine de prison reconduite après leur libération. La Norvège doit ce succès à sa conception unique du système carcéral fondé non pas sur la sanction mais bien sur la réhabilitation.

En Norvège, on privilégie la probation et la thérapie comportementale et cognitive ; la peine d’emprisonnement est réservée pour les actes les plus graves. Les prisons sont accueillantes parce que la privation de liberté constitue une peine suffisante. La prison de Halden notamment dispose de grandes fenêtres, d’écrans plats, d’instruments de musique, de bibliothèques et de pièces communes pour que les détenus puissent partager du temps ensemble. Les gardes ne sont pas armés et encouragés à communiquer avec les détenus.




Située dans le fjord d’Oslo, l’île de Bastøy a été qualifiée de « meilleure prison au monde ». Si les chambres sont agréables, le but de la prison est de responsabiliser les détenus et de leur laisser un minimum de liberté. Les détenus peuvent se promener sur l’île, aller à la plage en été et faire du ski en hiver. Ils sont régulièrement amenés à prendre des décisions pour réapprendre à gérer leur vie dans la société rurale qui caractérise l’île. Ainsi, les détenus font pousser leurs propres cultures et élèvent du bétail, ils vivent en collectivité et tentent de créer du lien social.

Pourtant, les prisonniers utilisent des objets contondants notamment pour les travaux agricoles. Mais les altercations sont peu nombreuses parce qu’ils sont traités en adulte. Bien sûr, les détenus ne se rendent pas immédiatement à Bastøy et doivent généralement passer par un emprisonnement conventionnel. Mais il n’empêche que même les criminels ayant commis de lourdes fautes ont le droit d’aller à Bastøy.

Les programmes de réhabilitation qui refusent d’aborder le comportement criminel en se focalisant uniquement sur la créativité, le sport et l’estime de soi sont voués à l’échec. Toujours dans l’optique de responsabiliser les détenus, les thérapies comportementales et cognitives ont pour objectif de comprendre les éléments déclencheurs des actes délinquants et criminels sans en minimiser les effets. Il s’agit d’aider les prisonniers à mieux se connaître pour qu’ils réussissent à se maîtriser et à se réinsérer. La Norvège utilise beaucoup ce genre de thérapies et les résultats sont très positifs.

En revanche, une étude sur les prisons et agences de probations américaines menée par Faye Taxman de la George Mason University a révélé que seulement 20 % des établissements procédaient à ce genre de thérapies et que très peu y avaient accès. Pourtant, une méta-analyse réalisée par le National Institute of Justice sur 50 programmes de thérapies comportementales et cognitives a démontré que 74 % d’entre elles étaient performantes.

Nelson Mandela pensait que « personne ne connait vraiment une nation avant d’avoir été dans ses prisons », en cela le traitement des prisonniers est assez révélateur de la culture morale des États. Le système carcéral norvégien est un modèle pour nombre d’entre eux qui doivent aujourd’hui réformer les conditions d’incarcération, la vie en prison et penser de nouveaux modèles de réinsertion pour le bien être de la société entière.

 Camille Chuquet