Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 3 décembre 2017

La veuve de l’assassin du commandant Massoud déchue de sa nationalité


En Suisse, où elle a sévi il y a une dizaine d’années, on la surnommait l’«islamiste de Guin» (elle habitait à Guin (Dudingen en allemand) dans le canton de Fribourg). Ailleurs, elle est plutôt la «veuve noire du djihad» ou la «pionnière de la djihadosphère». Et voilà que la redoutable Malika El Aroud, aujourd’hui 58 ans, refait parler d’elle. Elle a été déchue de sa nationalité belge jeudi à Bruxelles. Une décision rarissime pour une femme au «parcours unique dans les annales du terrorisme», souligne La Libre Belgique.

Ça n’a rien d’une exagération. Née à Tanger, en 1959, Malika El Aroud est arrivée à Bruxelles à 5 ans. Son adolescence est chaotique et loin de la religion. C’est au contact d’un cheikh syrien rigoriste de Molenbeek qu’elle se radicalise, presque sur le tard, à un peu plus de 30 ans. Il lui présente un Tunisien, Abdessatar Dahmane. Ils se marient religieusement.

Veuve du tueur de Massoud

Début 2001, ils gagnent les montagnes afghanes et deviennent des proches de Ben Laden. La suite est dans les livres d’histoire. Deux jours avant les attentats du 11 septembre, Al-Qaida réussit une opération retentissante. Deux faux journalistes parviennent à approcher le pire ennemi des talibans, le commandant Massoud. Ils se font exploser et tuent le célèbre «Lion du Panshir». Dahmane est l’un des deux assaillants.

Malika El Aroud rentre en Belgique quelques semaines plus tard. La voilà veuve de martyr, «auréolée de gloire» dans la mouvance islamiste, écrivait Slate en juin dernier. A-t-elle poussé son mari à se faire exploser? On ne trouve aucune preuve. Elle bénéficie d’un non-lieu en 2003.

Torture, mutilations, attentats

Cette même année, elle rencontre sur un forum Internet Moezeddine Garsallaoui, un islamiste tunisien qui mène une vie discrète à Guin, en Singine fribourgeoise. Elle le rejoint en Suisse, l’épouse religieusement. Et publie en 2004 «Les soldats de lumière», qui relate son épopée afghane et loue son «héros» de premier mari.

Cette même année, le couple commence à être surveillé par les services helvétiques. El Aroud et Garsallaoui sont particulièrement actifs sur le Web, appelant à la guerre sainte sur une nébuleuse de forums qu’ils ont créée.

En février 2005, à 5 h 30 du matin, l’unité spéciale de la police judiciaire fédérale défonce la porte de l’appartement du couple. Ils sont interpellés et passent quelques jours en préventive. Ils repartent en Belgique mais reviennent deux ans plus tard pour leur procès, au Tribunal pénal de Bellinzone. Il a des airs d’intello inoffensif. Elle est entièrement couverte d’un niqab. Images de torture, de mutilations, de décapitations, d’attentats, conseils pour concocter des explosifs ou mener une guérilla: on découvre alors l’ampleur et l’horreur des activités qu’ils ont menées sur le Web depuis la Suisse. Il écope de 24 mois de prison dont 6 ferme. Elle de 6 mois avec sursis. Pour la première fois en Suisse, on démontre qu’Internet peut être une arme de guerre. Malika El Aroud ne dira pas autre chose dans une rare interview publiée en 2008 par l’International Herald Tribune : «Ce n’est pas mon rôle de déclencher des bombes, c’est ridicule. J’ai une arme, c’est d’écrire. C’est mon djihad. Vous pouvez faire beaucoup de choses avec des mots. Écrire est aussi une bombe.»

Retour en Belgique. Mais lui part fin 2007 au Pakistan et devient l’émir des Soldats du califat, un groupe d’Al-Qaida. Il tue, recrute, forme. Il apprend par exemple le maniement des armes à Mohamed Merah, qui deviendra le sinistre tueur de Toulouse. Garsallaoui finira par être tué par un drone américain en 2012.

«Chiens d’Américains»

Et elle? Après le djihad numérique, Malika El Aroud est passée au recrutement. Mais pas longtemps. Les autorités belges l’interpellent en 2008. Son procès se tient en 2010. Elle apparaît sans voile intégral, cette fois, la justice lui interdit de le porter. On lui demande si elle regrette d’avoir traité les Américains de «chiens» ou de «porcs». «Je m’excuse… pour les animaux», rétorque-t-elle.

Elle est cette fois condamnée à 8 ans de prison ferme pour avoir «participé, en tant que membre dirigeant, à une activité d’un groupe terroriste». Le président la juge «enfermée dans une logique maladive à propos d’un conflit qui ne la concerne en rien». Malika El Aroud a purgé sa peine. Elle est libre depuis un an. Mais vient donc de perdre sa nationalité belge pour avoir «manqué gravement à ses devoirs de citoyen belge». Elle ne serait que la quatrième dans ce cas dans l’histoire du Plat Pays.

Presque sexagénaire, Malika El Aroud représente-t-elle encore un danger? D’une certaine manière ça n’a plus d’importance, la fanatique a déjà «gagné». Cette pasionaria du djihad est devenue un modèle, une icône, elle a inspiré des générations de terroristes islamistes. Et son bouquin, note Slate, est devenu le «livre de chevet d’une génération d’apprentis djihadistes».

lematin.ch