La mise en examen de deux détenus de la prison de Fresnes, soupçonnés de vouloir commettre des attentats après leur libération imminente, a mis de nouveau l'accent sur la bombe à retardement que sont devenues les prisons françaises.
L'un des deux détenus, âgé de 28 ans, est né au Cameroun et semble être le meneur. L'autre est né en France il y a 22 ans. Tous deux ont été condamnés pour des faits de droit commun, dont vol avec arme, et repérés pour radicalisation islamiste.
Le premier devait sortir de prison ce mardi et le second la semaine prochaine, dit-on de sources pénitentiaires.
Selon ces sources, une clef USB contenant des documents faisant l'apologie du terrorisme et appelant au djihad avait été trouvée sur le plus âgé lors d'une fouille au retour du parloir il y a environ deux ans. Il avait été mis à l'isolement pendant six mois, puis replacé en détention classique.
Lors d'une perquisition de sa cellule, la semaine passée, des agents de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ont notamment saisi un couteau en céramique et un téléphone portable. L'enquête a montré qu'il avait été en contact avec une personne présente en zone syro-irakienne mais sans qu'il soit établi qu'elle ait joué un rôle.
La surveillance des deux hommes a révélé qu'ils évoquaient dans leurs échanges des projets d'action contre plusieurs types de cibles, notamment des agents pénitentiaires et des policiers, "sans que l'on puisse définir le contour d'un projet précis", dit-on de sources proches de l'enquête. Ils évoquaient également des projets de braquage, notamment contre des bijouteries.
Signaux d'alarme
Ils étaient par ailleurs en contact téléphonique avec des détenus radicalisés dans d'autres prisons. Selon Cédric Boyer, responsable du syndicat SNP-FO à Fresnes, ils voulaient "former un groupe de combattants".
Ils ont été mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle.
"Ce qui a été révélé témoigne de l'urgence de cette situation", a déclaré à Europe 1 la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, selon qui les surveillants sont "les premiers agents de la lutte contre la radicalisation".
"Nous faisons un effort tout à fait considérable sur le renseignement pénitentiaire", a-t-elle ajouté. "Il y a des quartiers d'évaluation de la radicalisation. Quand un détenu arrive, nous passons quatre mois à évaluer son degré de dangerosité."
Pour les syndicats de l'administration pénitentiaire, des experts, des magistrats et des avocats, cet effort reste très insuffisant et la France est en train de fabriquer une génération de djihadistes en puissance dans ses prisons.
L'attaque à l'arme blanche, le 4 septembre 2016, d'un surveillant de la maison d'arrêt d'Osny (Val d'Oise) par un détenu de l'unité de prévention de la radicalisation avait déjà été un sérieux signal d'alarme.
Selon le secrétaire général de l'UFAP-Unsa, premier syndicat de l'administration pénitentiaire, Jean-François Forget, huit autres projets d'attaque contre des surveillants ont été déjoués à la même époque : "Nous sommes des cibles à part entière."
Impuissance politique
Selon des sources pénitentiaires, l'homme qui a tué deux policiers le 13 juin 2016 à Magnanville (Yvelines), assassinat revendiqué par l'Etat islamique, était lui-même en contact avec des détenus, dont l'auteur de l'attaque du 4 septembre 2016 à la maison d'arrêt d'Osny.
Les syndicats de l'administration pénitentiaire dénoncent, au-delà d'un manque chronique de moyens, avec dans les maisons d'arrêt un surveillant pour 150 détenus en moyenne, une forme d'impuissance politique face à ce phénomène.
Jean-François Forget chiffre à environ 500 le nombre de détenus pour faits liés au terrorisme islamique et à quatre fois plus celui des détenus de droit commun radicalisés en France.
"Ce qui nous préoccupe, c'est leur prise en charge, qui n'avance pas depuis des années", a-t-il déclaré à Reuters. "Nous réclamons depuis des années des structures spéciales hautement sécurisées pour les détenus pour faits de terrorisme."
"Il faut mettre en quarantaine tous ces détenus d'un côté, tous les détenus radicalisés de l'autre et les séparer très vite du reste de la population carcérale, parce qu'ils sont en train de polluer l'ensemble de la détention et ils gagnent fortement du terrain", ajoute ce syndicaliste.
Un point de vue partagé aujourd'hui par son homologue du SNP-FO, Emmanuel Baudin.
"On voit bien que le problème de la radicalisation ne fait que s'amplifier dans nos prisons, parce qu'il n'y a pas eu de vraies décisions politiques", a-t-il dit à Reuters.
(Avec Service France, édité par Yves Clarisse)
Emmanuel Jarry