Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 8 juillet 2017

« cellule Alpha »: équipe spécialement formée à l’assassinat ciblé




C’est le secret dans le secret ! L’existence au sein même de nos services secrets d’une cellule encore plus secrète : un petit noyau de tueurs qui ne peuvent être activés que par les plus hautes instances de la France ! C’est-à-dire le président de la République ! Mais attention, ces assassins d’état ne sont pas censés exister. Et leurs faits d’armes encore moins !

Ce sont les tueurs Alpha ! Ils ne figurent dans nul organigramme et aucun document administratif ne mentionne leurs activités. Et, bien sûr, dans les archives officielles on ne trouve pas trace des missions qui leur ont été confiées !

Autre révélation, qui n’est pas moins étonnante – je l’ai trouvée dans un livre récent de mon confrère Vincent Nouzille – parmi les présidents de la Ve République qui ont eu recours aux services de ces spécialistes de l’assassinat ciblé et extrajudiciaire, c’est François Hollande qui semble avoir été leur employeur le plus constant ! Celui, donc, qui n’a pas hésité à secrètement condamner à la peine suprême les pires ennemis de la France. Et, évidemment, il s’agit de terroristes coupables d’avoir donné la mort… Et qui ont donc été châtiés en tant que tels ! Bref, c’est l’application de la loi du Talion au plus haut sommet de l’État.

Mais naturellement François Hollande n’a pas été le premier président à agir ainsi. Et avant même la création du groupe Alpha, au mitan des années 1980, d’autres chefs d’état ont usé, et parfois même abusé, de ce redoutable droit de vie ou de mort, exercé dans le plus grand secret et sans le contrôle d’une instance élue et donc représentative.

C'est l'un des secrets les mieux gardés de la République française: en son nom et sur ordre des plus hautes autorités, des tueurs sont disponibles à tout moment pour éliminer des personnes jugées dangereuses pour la sécurité nationale ou conduire des guerres secrètes contre des ennemis présumés.

Oui, la France tue parfois pour régler des comptes. Oui, la France mène clandestinement depuis des décennies, au nom de la protection de ses intérêts, du Moyen-Orient à la Françafrique, des actions meurtrières inavouables : vengeances d'État, assassinats en série, attentats commandités par l'Élysée, guérillas sanglantes, éradication de chefs terroristes, emploi de mercenaires sulfureux ou de services secrets alliés peu regardants...

Vincent Nouzille. CRÉDIT PHOTO : PHOTO DR


Pour ce faire, la DGSE dispose de son Service Action et, en marge de celui-ci, d'une cellule clandestine dont le livre de Vincent Nouzille retrace l'histoire. Ses agents et des commandos des forces spéciales sont entraînés pour mener à bien ces exécutions ciblées, appelées "opération Homo" (pour homicide), ainsi que des opérations plus vastes de "neutralisation", souvent en marge des conflits déclarés. Les présidents successifs de la Ve République, de De Gaulle à Hollande, ont, chacun à leur manière, recouru à ce type d'actions, même s'ils s'en sont défendus.

Au cours d'une enquête de plusieurs années, Vincent Nouzille a recueilli des témoignages exclusifs et des documents inédits. Des acteurs clés qui ont donné ou obtenu ce "permis de tuer" éclairent ici cette face sombre du pouvoir.

Et la décision de créer ce groupe aurait été prise après l’affaire du Rainbow Warrior, au milieu des années 80. Les Présidents de la République qui ont succédé à François Mitterrand ont toujours nié officiellement l’existence de ce groupe, baptisé « Alpha » dont certains membres ont accepté de parler à Vincent Nouzille qui publie son enquête dans son livre "Les tueurs de la République". Avec lui, nous allons revenir sur cette guerre de l’ombre dont les échecs ou les victoires ne sont jamais officiellement revendiqués.

Vincent Nouzille a passé trois ans à recueillir les témoignages d'anciens ou d'actuels membres des services de renseignements français. Il en sort un ouvrage époustouflant, où la réalité semble parfois dépasser la fiction.

C'est en 2002 qu'un événement lui met la puce à l'oreille : deux agents de la DGSE sont arrêtés en Espagne, alors qu'ils transportaient des faux passeports et un vrai arsenal de guerre... Ces agents, bien plus secrets que des agents secrets, faisaient partie de la "Cellule alpha"... Une appellation que le journaliste a tenté de comprendre, et de mettre à jour. Une cellule constituée d'une dizaine d'électrons libres, capables de mener des doubles vies sans éveiller l'attention, et de tuer sans poser de questions.

Ce dispositif, créé sous Mitterrand, a été utilisé par tous les présidents depuis. A commencer par François Hollande...

Interview

Vous levez un coin de voile sur les secrets les mieux gardés de la République

Vincent Nouzille. Ça fait une dizaine d’années que je travaille sur le monde du renseignement. Je me suis rendu compte qu’il y avait une vraie inconnue : les opérations clandestines. J’avais envie de connaître les guerres secrètes que la France peut mener et celles engagées par le passé. On a beaucoup parlé des pratiques de la CIA, je voulais savoir, côté français, ce qu’on faisait.

Quelle est la nature des opérations menées ?

Ce sont de vraies guerres secrètes des opérations spéciales, et bien souvent des assassinats ciblés. Leur principal motif est la lutte contre le terrorisme.

Qui réalise ces actions ?

Sous l’autorité du chef de l’État, ces opérations sont menées par le Service Action de la DGSE. 800 agents, essentiellement des militaires, qui agissent de manière clandestine.

Au sein du Service Action a été constituée au milieu des années 1980 une minicellule : la cellule Alpha, qui regroupe une dizaine de personnes. Des tueurs, les « tueurs de la République ». Ils agissent sans que l’on puisse rattacher leur action aux services français.

À ce Service Action s’est ajoutée une montée en puissance des forces spéciales, qui œuvrent dans des conflits déclarés, comme c’est le cas au Mali. Elles opèrent, au choix, en amont ou en aval, de manière clandestine. Ce fut le cas en Libye, les forces spéciales sont intervenues en civil. Elles ont joué un rôle clé pour faire tomber le régime de Kadhafi. Les forces spéciales, ce sont 3 000 soldats surentraînés (RPIMa de Bayonne, commandos de marine). Elles se sont fait la main en Afghanistan en ciblant les HVT [high value targets, cibles de grande valeur, NDLR] et ensuite en marge de l’opération Serval (1). Au sein de ces forces ont été constitués des mini-groupes de tireurs d’élite qui peuvent identifier et tuer un individu en quelques heures.

Ce personnel est-il utilisé régulièrement ?

Jamais les forces spéciales et le Service Action n’ont été employés autant qu’aujourd’hui. Pour des raisons de contexte, bien sûr. À partir de 2012, on voit apparaître une pratique beaucoup plus offensive, notamment pour les répliques. La France règle ses comptes. Il n’y a pas d’attentats ou de prises d’otages qui n’aient donné lieu à une réplique : traque d’un chef terroriste qui a enlevé des Français, envoi de commandos de forces spéciales au Sahel pour éliminer des terroristes, frappes aériennes sur des chefs talibans ayant tué des soldats français…

Vous évoquez un François Hollande qui garde sur lui une liste où figurent les noms des cibles à abattre. Vous décrivez un président plus faucon que colombe. C’est une surprise ?

J’ai démarré cette enquête il y a trois ans, et cela a en effet été une vraie surprise. De tous les présidents de la Ve République, il est celui qui assume le plus les opérations clandestines. Du fait de son tempérament plus guerrier qu’on ne le croit. C’est aussi lié à son entourage, notamment son chef d’état-major particulier. On l’a vu lors de l’opération Serval, il s’agissait de tuer les chefs terroristes : pas de prisonnier, pas de négociation. Les consignes ont été étonnamment simples et claires : « search and destroy », rechercher et détruire. La France ne fait plus de quartier. C’était un peu le cas avant. Aujourd’hui plus encore, depuis les attentats de Paris.

François Hollande a été plus loin que ses prédécesseurs ?

Sous les présidences Mitterrand et Chirac, soit vingt-six ans, ça n’a pas été très assumé. Un certain nombre d’actions ont été menées sans que l’autorité politique soit aux commandes. Il est arrivé que le patron de la DGSE aille voir le président Mitterrand, lui donne des indications sur les opérations Homo et que le président ne réponde pas. Ce n’est pas normal. À cette époque, il y avait le syndrome du « Rainbow Warrior » et surtout la peur de prendre des coups. C’était aussi la crainte de Jacques Chirac après les attentats du 11 septembre 2001 : que la France soit à son tour frappée. Chirac est le plus timoré de tous.

Et Nicolas Sarkozy ?

Il est à cheval entre deux tendances. Les premières années de son mandat, le président Sarkozy était plutôt calme et peu offensif. Tout bascule en 2010, parce que les prises d’otages se multiplient au Sahel. Au même moment, il nomme le général Puga comme chef d’état-major particulier. Ce militaire est un faucon et va l’inciter à lancer des opérations de vive force. François Hollande l’a maintenu à ce poste.

N’y a-t-il pas un problème lié au contrôle ou plutôt au non-contrôle de ces opérations ?

Tout est à la discrétion du président. Et, on l’a vu, il peut très bien ne pas assumer. La question du contrôle par le pouvoir politique est capitale. En France, les parlementaires n’ont quasiment pas voix au chapitre. Il leur est formellement interdit de mettre leur nez dans les opérations. Contrairement aux États-Unis, où la commission du Congrès est très pointilleuse sur le budget de ces opérations secrètes.

On est pleine zone grise en termes de légalité ?

La France est un des seuls pays occidentaux à ne pas avoir de cadre juridique pour le renseignement ; c’est l’objet de la loi justement en cours d’élaboration : elle va offrir un cadre qui faisait défaut. On se situe au croisement de questions morales, éthiques, politiques. Est-on fondé à tuer quelqu’un à l’étranger ?

Ces guerres clandestines sont-elles efficaces ?

On mène des guerres secrètes de plus en plus violentes sans que l’opinion en ait conscience.
Nous sommes pris dans cette spirale de violence, et ceci bien avant les attentats de Paris du mois de janvier dernier. Un certain nombre d’actions qui nous visent sont des réponses à des choses que nous avons pu faire. Nous sommes engagés dans des engrenages où la violence répond à la violence.
La lutte contre le terrorisme ne peut pas être qu’une lutte militaire ou clandestine. Le combat politique, diplomatique, doit permettre d’endiguer le phénomène. La seule réponse militaire ne suffit pas. Car après, quand vos ennemis sont déterminés à vous détruire, la négociation s’en trouve plus que limitée. On voit bien que c’est le cas aujourd’hui avec Daesh ou Aqpa (al-Qaida dans la péninsule Arabique).

L’ancien Premier ministre Lionel Jospin et son ministre de la Défense Alain Richard ont fermement contesté avoir discuté de l’éventualité d’opérations «Homo» (assassinats ciblés ) après le 11 septembre 2001. Un ancien cadre de la DGSE réagit, sous le couvert de l’anonymat, à la publication par Libération des notes du général Philippe Rondot qui font état d’une «planification à faire» concernant les opérations «Alpha» et «Homo».

Les écrits de Rondot doivent-ils être pris au sérieux ?

Je ne vois pas Philippe Rondot inventer le compte rendu d’une réunion. Mais d’abord une précision : lorsqu’il mentionne le mot «Alpha» dans ses notes, il parle des commandos qui sont chargés d’exécuter les opérations «Homo». «Alpha», c’est le nom des unités spéciales chargées de passer à l’acte. La structure préexiste au sein du service action de la DGSE. Ce sont des gens qui s’entraînent tous les jours à tuer des gens alors qu’ils n’en tueront peut-être jamais de leur vie.

Donc les responsables politiques peuvent nier les discussions, mais pas l’existence d’un tel dispositif…

Ces équipes existent parce que le président de la République a ce pouvoir. Un pays doit être en mesure d’exécuter ce type de mission. On est face à des atteintes aux intérêts stratégiques du pays. Ce sont des gens que l’on ne peut pas neutraliser autrement. Le président peut donc donner l’ordre au directeur de la DGSE d’exécuter une cible. Des gens sont prêts en permanence. Ils sont préparés et formés exclusivement à ça. Celui qui passe à l’acte ne sait pas sur qui : il l’apprendra par le journal. Mais c’est une prérogative du chef de l’Etat.

Ce type d'opération échappe-t-il à tout contrôle ?

Le pouvoir politique en France ne l’assume pas. C’est un sujet tabou. Est-ce que le service action de la DGSE peut aller jusqu’au permis de tuer ? La question transcende les clivages politiques. Ce que les politiques n’osent pas dire, c’est qu’on peut tuer des gens. Cela veut dire qu’effectivement le chef de l’Etat a un droit de vie ou de mort. Il y a une règle : les opérations «Homo» ne s’appliquent qu’aux non-ressortissants. On estime qu’un ressortissant est soumis aux règles de droit et qu’on dispose à son égard de tous les moyens légaux de coercition. Mais le président de la République, Nicolas Sarkozy, peut dire demain : «Ce monsieur, il faut l’éliminer.»

Philippe Rondot rapporte l'épisode d’agents arrêtés lors d’un exercice «Alpha». Est-ce vraisemblable ?

Les exercices grandeur nature existent. Ils sont généralement faits dans des pays amis pour pouvoir récupérer nos agents en cas de problème. On teste votre aptitude opérationnelle. Ce n’est pas un simple exercice de tir. C’est un grand moment de solitude… Mais vous êtes nécessairement informé qu’il s’agit d’un exercice.



(1) L’opération Serval est une opération extérieure (Opex) menée au Mali par l’armée française. Lancée en janvier 2013 pour repousser une offensive des groupes armés islamistes, elle s’est achevée en juillet 2014. Les forces engagées ont depuis intégré un dispositif régional, intitulé opération Barkhane.