Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 9 mars 2017

MH370 : le mystère selon Marc Dugain




On n’a jamais retrouvé le Boeing 777 de Malaysia Airlines et ses 239 passagers disparus le 8 Mars 2014. Passionné d’aviation, l’auteur de « La Chambre des Officiers » et de « la malédiction d’Edgar » a mené l’enquête. Alors que des débris ont été retrouvés à La Réunion, qui pourraient provenir du Boeing, le travail de Marc Dugain prend une tonalité nouvelle: celle de la vérité.

«  Tout le monde nous ment. Il y a une omerta dans cette affaire, il y a trop d’incohérences. Je ne fais plus confiance à personne. » Ghyslain Wattrelos ponctue sa dernière affirmation par un sourire, pour exprimer sa détermination intacte, puis reste longuement absorbé par ses pensées. Perdre, le même jour, sa femme et deux de ses enfants va bien au-delà du drame. C’est une atrocité à laquelle personne n’est préparé. Y survivre ­demande un effort colossal que cet homme mesure chaque jour, depuis neuf mois, tant il est difficile de maintenir de la cohérence devant une telle absurdité. La difficulté est d’autant plus grande lorsque les autorités en charge de faire la lumière sur cette tragédie s’esquivent, comme si l’anéantissement du vol MH370, à bord duquel 239 personnes ont disparu, n’était rien de plus que la réalisation d’une funeste probabilité dans un monde sécurisé.

La disparition du vol Air Malaysia reliant Kuala Lumpur à Pékin, le 8 mars 2014, ne ressemble à aucun autre accident ­recensé jusqu’ici. A son effacement sans laisser de traces s’ajoute l’édification, en un temps record, d’un mur du silence qui rappelle celui érigé par les autorités américaines lors de l’explosion du vol 800 de la TWA, près des côtes de la Nouvelle-Angleterre. Dans le cas du vol MH370, le mutisme s’est substitué à ­l’effervescence des premières heures avec une rapidité qui fait penser que la transparence n’est pas la priorité dans cette affaire. Sans doute ne s’agirait-il là que de supputations, si des menaces sur cette enquête n’avaient pas été adroitement distillées par un agent de renseignement occidental. De nombreux espions sont des écrivains contrariés. D’où l’emploi de métaphores étudiées pour nous déconseiller d’aller plus loin et nous faire comprendre, au final, qu’« il s’agit d’une affaire hautement sensible, d’une grande complexité », et qu’« il est préférable de laisser le temps faire son œuvre plutôt que de chercher à l’accélérer, avec tous les risques que cela induit ». Dans l’univers technologique qui est le nôtre, et particulièrement celui de l’armée américaine, il est surprenant qu’un gros-porteur de 63 mètres de longueur ait pu littéralement s’évanouir. Comme est surprenant le mépris pour des familles particulièrement maltraitées...  Alors qu’on le connaît si actif dans les affaires d’otages, on comprend mal que François Hollande n’ait pas pris le temps de recevoir le mari et père des victimes françaises qui ne sont, à ce jour, que portées disparues.

La volatilisation de l’appareil n’a laissé aucune trace officielle, ni sur terre ni sur mer. Déterminée selon des indications très larges données par un satellite géostationnaire anglais, la zone retenue dans le sud-ouest de l’océan Indien, ratissée avec des moyens considérables, n’a rien restitué. Pas le moindre débris et, bien entendu, aucune des boîtes noires de l’appareil qui auraient permis de reconstituer les circonstances du drame. En déclarant l’avion perdu, les autorités malaisiennes ont ­invité ­récemment les familles des victimes comme les observateurs à tirer un trait sur cette affaire. Près de neuf mois après la tragédie, ils considèrent l’affaire insoluble. Pourtant, une chose nous apparaît comme certaine : elle ne l’est pas. Le 8 mars de cette année, le commandant de bord du Boeing 777-200 se prépare normalement pour son vol du soir. Sur le chemin de l’aéroport, il a décidé de se rendre au procès du principal opposant au régime ­malaisien, jugé pour « sodomie », accusation médiévale qui en dit long sur le degré de modernité du régime. Une caste de politiciens corrompus tient le pays depuis ­cinquante-sept ans sur la base de prébende et de népotisme, avec un goût limité pour le partage. A 54 ans, ­Zaharie Bin Ahmad Shah, pilote expérimenté, fait partie de cette élite qui aimerait voir son pays entrer dans une ère démocratique. La condamnation à cinq ans de prison du leader de l’opposition lui prouve que ce temps n’est pas advenu et, selon certains ­témoignages, il en est particulièrement contrarié. Sur le plan personnel, on dit qu’il vient juste de divorcer. Le commandant de bord ne peut pas ignorer que dans sa cargaison des piles au lithium hautement inflammables  ont déjà provoqué de graves incidents.

Fariq Bin Ab Hamid, le copilote, est beaucoup plus jeune, 27 ans, et plus inexpérimenté, même s’il a commencé sa carrière à 20 ans. Il est sur le point d’épouser sa compagne et l’on connaît surtout de lui une de ses frasques, qui l’a conduit à faire entrer deux jeunes touristes étrangères dans le cockpit d’un avion qu’il copilotait, en infraction au règlement. Sans doute le commandant de bord prend-il alors connaissance du chargement en fret. Un avion de ligne, même plein en passagers auxquels s’ajoutent leurs bagages, garde une capacité de transport cargo conséquente. Le bordereau de chargement mentionne des piles au lithium, ces fameuses piles qui alimentent la plupart des appareils issus de notre frénésie de connexion. Il ne peut pas ignorer qu’elles sont hautement inflammables et à l’origine de plusieurs incidents graves, dont l’accident mortel d’un 747 de UPS qui s’est écrasé après avoir pris feu près de l’aéroport de Dubai. Manifeste-t-il sa réprobation ? Nous n’en savons rien. Le reste du chargement est beaucoup plus flou. Des fruits frais sont évoqués, bien que la saison fasse douter de leur réalité. NNR Global Logistics, la société chargée du fret, interrogée à plusieurs reprises, suit les consignes de silence et ne ­répond à aucune question. Le commandant de bord a certainement consulté aussi la liste des passagers, 227 personnes, essentiellement des Chinois, mais également des Malaisiens et, entre autres nationalités, deux Américains et quatre Français. Il ignore que deux passagers iraniens voyagent sous des passeports européens volés, et que plusieurs autres travaillent dans le domaine du contrôle des avions à distance. Un seul a pressenti le drame, Paul Weeks, un Australien qui a survécu récemment à un tremblement de terre en Nouvelle-Zélande et à un grave accident de voiture. Persuadé que son heure est venue, il remet sa bague et sa montre à sa femme, pour ses deux enfants. Son épouse le convainc de les reprendre, mais il la quitte avec la certitude de ne jamais la revoir.

Kuala Lumpur a la réputation d’avoir un aéroport passoire. D’autres passagers s’embarquent-ils alors dans l’avion sans figurer sur la liste ? C’est une éventualité. Une chose, en revanche, est acquise. Les pilotes savent que leur avion, le B 777-200, est un des plus vendus dans le monde, la fierté de Boeing qui a fait de ce gros-porteur un des modules les plus sûrs en service sur la planète, même si des phénomènes d’usure ont pu être observés sur la carlingue des plus anciens d’entre eux.
 Le MH370 décolle de Kuala Lumpur à 0 h 41, heure locale. A 1 h 01, il confirme avoir atteint son altitude de croisière, soit 35 000 pieds. Le système Acars, qui transmet les données techniques du vol à la maintenance, fonctionne normalement. L’avion fait route au nord, à destination de Pékin. Le plan de vol prévoit qu’il survole le Vietnam. Alors qu’il quitte l’espace aérien malaisien, une dernière conversation a lieu entre le cockpit et le contrôle aérien. Le copilote prend congé de ses interlocuteurs : « Bonne nuit ! Malaysia 370. » Des commentateurs affirmeront ensuite, sur la base de prétendus témoignages du contrôleur ­aérien, qu’il y avait comme un ton de défi, un rien sardonique, dans la façon dont le copilote s’est exprimé, signe annonciateur de la suite. Pourtant, rien n’indique que le dialogue, dans ses propos ou ses intonations, ait varié des usages. A 1 h 19, quand l’avion quitte l’espace aérien malaisien, rien d’anormal ne transparaît de ce vol. Puis tout se gâte brutalement. Trois minutes plus tard, à 1 h 22, le transpondeur, cet appareil qui permet à un avion d’être localisé depuis le sol autant que par les autres avions, est soudainement débranché. Ultime contact avec l’extérieur, il n’est désactivé par le pilote qu’en cas de problème électrique grave.

Encore trois minutes plus tard, l’avion dévie soudain de sa route et, apparemment, part en sens inverse. A 1 h 30, le centre de contrôle aérien vietnamien de Hô Chi Minh-Ville échoue à ­entrer en contact avec le MH370 et demande à l’avion commercial présumé le plus proche de le faire pour lui. Le pilote de ce ­dernier ne reçoit en retour que des marmonnements sur fond de parasites. A 1 h 37, le système Acars, censé transmettre de nouvelles données, n’émet pas. A 1 h 38, le contrôle aérien d’Hô Chi Minh-Ville demande à celui de Kuala Lumpur de prendre des nouvelles du MH 370. L’avion n’a pas pris contact avec lui, comme le veut la coutume, et il a disparu de son radar après le point de cheminement Bitod. Le contrôle aérien de Kuala Lumpur ­répond que le MH370 n’est jamais revenu sur sa fréquence après avoir franchi le point de cheminement Igari, le dernier sous son contrôle. A 2 h 03, Malaysia Airlines, prévenu de la disparition, envoie un message au cockpit lui demandant de joindre d’urgence le contrôle aérien vietnamien. Pas de réponse. A 2 h 15, le contrôle aérien de Kuala Lumpur contacte le centre des opérations de Malaysia Airlines. Ce dernier lui fait savoir qu’il est capable d’échanger des signaux avec le vol 370 et que celui-ci est dans l’espace aérien cambodgien. Trois minutes plus tard, à 2 h 18, le contrôle aérien de Kuala Lumpur demande à celui d’Hô Chi Minh-Ville si le MH370 est supposé entrer dans l’espace aérien cambodgien. La réponse est immédiate.

La route prévue ne comprenait pas l’espace cambodgien, et ses responsables confirment que l’avion ne l’a pas emprunté. A 2 h 22, un dernier contact entre le radar militaire primaire malaisien et l’avion situe celui-ci à 370 kilomètres au nord-ouest de Penang. A 2 h 25, un « log-on request » est envoyé à l’avion via le satellite Inmarsat. Il s’agit en réalité d’une demande d’information sur le fonctionnement des moteurs, transmise par Rolls-Royce. Sur les avions modernes, les moteurs parlent à leur constructeur à heure fixe via une liaison satellite. L’avion accuse réception de la demande, sans y répondre. Il en ira ainsi toutes les heures jusqu’à la disparition définitive présumée de l’appareil. A 2 h 24, le centre des opérations de Malaysia Airlines revient sur sa déclaration de prise de contact avec l’avion. Malgré cela, une minute plus tard, Malaysia Airlines confirme au centre de contrôle de Kuala Lumpur la localisation de l’avion au-dessus du Nord-Vietnam, information relayée à Hô Chi Minh-Ville. A 2 h 39, une tentative est faite de joindre le cockpit par téléphone, via le lien satellite de l’avion : échec. A 3 h 30, le centre des opérations de Malaysia informe Kuala Lumpur que ses informations concernant la ­position de l’avion étaient basées sur des projections et non pas sur la réalité. A 5 h 30, le centre de coordination du secours aérien de Kuala Lumpur est activé. A 6 h 30, heure prévue de l’arrivée du vol MH370 à Pékin, l’avion est déclaré disparu aux familles, sidérées par la nouvelle. A 7 h 13, un nouvel essai de contact téléphone échoue. A 7 h 24, l’appareil est déclaré officiellement disparu à la presse. A 8 h 19 et trente-sept secondes, un dernier signal satellite, apparemment de faible intensité, provient de l’avion.

Aucun contact satellite avec l’avion, depuis sa disparition, n’a donné lieu à un échange d’information, mais uniquement à une reconnaissance de signaux. Sur la base de ces derniers, la société britannique qui exploite le ­satellite a déterminé, selon des règles très complexes, la trajectoire de l’avion qui, après sa disparition des écrans radars, a servi de base aux recherches. Selon l’arc qu’elle a défini, l’appareil aurait pu aussi bien se diriger vers le nord, au Kazakhstan, qu’au sud, vers l’Australie. La route au nord se faisant au-dessus de la terre, l’avion aurait ­forcément été identifié par des radars militaires ou civils. On en a déduit que l’avion ne pouvait avoir fait route qu’au sud, selon un trajet qui le mène dans l’océan Indien à l’ouest de l’Australie où les recherches ont été lancées, sans aucun résultat. Même si tout le monde à bord est mort asphyxié, l’avion peut voler des heures en pilote automatique.



Revenons sur la chronologie des faits. L’incident tragique et les mystères qui lui sont associés commencent lorsque les moyens de communication avec le sol sont débranchés. Le sont-ils volontairement ou involontairement ? Les enquêteurs ont tout de suite penché pour un acte volontaire. Parfaitement en accord avec la déclaration qui suit la disparition de l’appareil, faite par le président de la Commission de sécurité intérieure de la Chambre des représentants à Washington. Pour lui, il ne fait pas de doute que l’avion a été détourné pour servir, plus tard, de missile de croisière, sur le modèle du 11 septembre 2001. Cette théorie n’a ensuite jamais été argumentée ni développée.

La tragédie qui a marqué l’histoire du terrorisme sert de prisme à toutes les enquêtes sur des catastrophes aériennes. Mais qu’est-ce qui prouve, à ce stade, que l’avion a été détourné ? Rien. Les systèmes de détection peuvent très bien avoir été volontairement débranchés à la suite d’une procédure d’urgence concernant le système électrique, ou d’un incendie. Le débranchement du transpondeur se fait manuellement, très facilement, depuis un interrupteur et sous la seule responsabilité du pilote. Celui du système Acars est un peu plus long, une minute environ, selon un pilote. Alors, pourquoi ne pas prévenir le sol ? Parce que la priorité, en cas d’incident grave, n’est pas de communiquer, mais de gérer. Ce qui pourrait également justifier le changement de cap. Le commandant de bord pourrait avoir décidé de se diriger vers la piste d’atterrissage la plus proche. Un incident de type incendie pourrait aussi expliquer que l’avion soit monté à 45 000  pieds, altitude au-dessus de celle autorisée à ce type d’appareil, pour étouffer un feu de soute, par exemple. Et qu’il y soit resté dix minutes, informations communiquées par les autorités militaires malaisiennes... mais dont il est permis de douter, tant les renseignements malaisiens sont opaques et souvent contradictoires. D’après certaines thèses, ce scénario permettrait aussi d’expliquer que l’avion ait continué son périple vers l’océan Indien, puis au-dessus de lui. En effet, le dégagement de fumée aurait pu conduire à une asphyxie des passagers comme de l’équipage, même si, au final, les extincteurs embarqués avaient réussi à éteindre l’incendie. Il existe deux exemples similaires où des avions ont continué leur route alors que personne n’avait survécu à bord. Dans un des cas, au-dessus des Etats-Unis, l’avion d’affaires concerné a été abattu par la chasse américaine, convaincue de l’absence de survivants, et cela pour éviter un crash dans une zone habitée.

Le débranchement des moyens de détection de l’avion, couplé à son changement de direction radical, pourrait résulter d’autres causes qu’un accident survenu immédiatement après la sortie de l’espace aérien malaisien. Alternatives d’autant plus affirmées que certains prétendent que, après un demi-tour, l’appareil n’aurait pas volé en ligne droite, mais serpenté en suivant les frontières, de façon à ne pénétrer dans aucun espace aérien.

Si la thèse de l’accident devait être écartée, resterait celle du détournement. C’est d’ailleurs dans ce sens que s’est orientée la plainte en justice de Ghyslain Wattrelos. Que l’avion ait été détourné de sa trajectoire prévue est, à ce stade, le fait le moins contesté. Détourné par qui ? Le débat est plus ouvert et conflictuel. Les pilotes eux-mêmes, d’abord. Pour les Occidentaux, l’appartenance à la religion musulmane crée chez un individu une prédisposition quasiment naturelle au terrorisme. L’imaginaire collectif entre alors en ébullition. Les pilotes n’ont-ils pas détourné l’avion avec l’idée de se suicider ou de le projeter sur un symbole fort, comme les tours de Kuala Lumpur ?

Très vite, après la disparition de l’avion, une perquisition a été effectuée au domicile du commandant de bord. On y a ­découvert un simulateur de vol où il s’entraînait à des atterrissages sur des pistes courtes, comme celles des Maldives ou de Diego Garcia, cette puissante base militaire américaine qui trône au milieu de l’océan Indien. Dépêchés sur place, des enquêteurs du FBI ont saisi le simulateur pour conclure que les données avaient été effacées un mois avant. Le pilote complotait-il ou s’entraînait-il, comme ses collègues, à atterrir dans des configurations d’urgence ? Pour le reste, les deux pilotes montrent un profil psychologique plutôt éloigné des islamistes radicaux. La thèse du suicide, telle que développée pour le crash de l’avion d’EgyptAir en 1999, semble improbable, de même que l’implication des deux pilotes dans une action terroriste. Si l’avion n’a pas été détourné par les pilotes eux-mêmes, qui aurait pu le faire ?

On découvre chez le pilote un simulateur de vol pour se poser sur la base américaine de Diego Garcia.

C’est alors que s’ouvre un champ vertigineux qui va du ­détournement sous la menace physique au détournement pacifique par la prise de contrôle de l’informatique embarquée. L’étude précise de la liste des passagers « officiels » a attiré l’attention sur deux ressortissants iraniens voyageant sous des passeports volés. Leurs billets avaient été pris depuis l’Iran auprès d’une agence de voyage thaïlandaise. L’enquête a rapidement conclu que ces deux hommes n’étaient pas répertoriés par les agences antiterroristes. En même temps, on sait très bien que les agents des centrales d’espionnage de certains pays ne le sont jamais. Mais quel aurait été, pour l’Iran, l’intérêt de s’impliquer dans une action de pareille envergure, à ce moment du conflit qui l’oppose aux Occidentaux ? On l’entrevoit mal, car le principe des actions terroristes est d’être revendiquées et surexploitées médiatiquement. Les Tigres tamouls constituent une exception, d’ailleurs régionale ; mais, même si leurs relations sont au pire avec la Malaisie, personne, connaissant leur peu de ­sophistication en termes d’action, n’a pris cette piste au sérieux.

Le détournement physique de l’avion par un groupe de terroristes ne se serait pas produit sans un but précis, qui aurait été soit de précipiter l’appareil sur une cible, soit d’enlever les passagers pour exercer un chantage. Aucun indice officiel ne mène à l’un ou à l’autre, malgré la pléthore de théories qui ont fleuri en ce sens sur Internet. L’une, basée sur la déclaration d’un agent des services secrets australiens, affirme que l’avion se serait posé en Afghanistan. Mais on imagine que si l’avion avait été détourné pour être caché, ­depuis neuf mois une demande de rançon ou d’échange aurait probablement déjà ­filtré.

Depuis le 11 Septembre 2001, les informaticiens travaillent sur la prise de contrôle à distance d’un avion

L’alternative à un détournement par la force serait celle d’un détournement par la douceur, autrement dit par une ­action directe sur l’informatique. Dès 1984, les Américains avaient fait décoller un Boeing vide avant de l’écraser volontairement, pour étudier la propagation de l’incendie. Depuis le 11 septembre 2001, la question n’est plus seulement de faire voler un avion sans pilote, mais de prendre le contrôle d’un appareil dont le pilote serait soumis à une menace intérieure, en neutralisant toute action provenant du cockpit. Nombre de sociétés ont étudié la question, et la convergence de leurs travaux a permis à Boeing de déposer, en 2006, un brevet de contrôle à distance, depuis un ordinateur connecté à l’intérieur ou à l’extérieur. Les Américains n’ont pas été les seuls à développer des technologies dans ce sens, et il est théoriquement possible que cet avion ait été détourné par une action sur l’informatique embarquée. Sans doute faut-il voir une coïncidence dans le fait que la société Freescale Semiconductor, elle-même impliquée dans ces technologies, a reconnu avoir perdu vingt de ses cadres chinois et malaisiens dans le vol MH370.

Beaucoup de théories plus ou moins complotistes convergent vers Diego Garcia. Certaines affirment que l’avion aurait été détourné par des terroristes pour l’y écraser, ou que les Américains eux-mêmes seraient à l’origine du détournement, motivé par le chargement. Une troisième théorie, toujours liée à Diego Garcia, abandonne l’idée d’un détournement.

Louée aux Américains par les Anglais, située au milieu de l’océan Indien sous l’archipel des Maldives, l’île de Diego ­Garcia est une base militaire stratégique pour le Proche et le Moyen-Orient. C’est également un centre de renseignement sophistiqué, à la fois comme base d’interception de satellites de télécommunication et d’écoute des câbles sous-marins, qui reçoit par ailleurs des bombardiers furtifs Northrop B2. Les Etats-Unis en ont fait leur fer de lance dans la lutte contre le terrorisme ­islamique.

On a cherché l’avion dans la mauvaise direction, sur les seules indications d’une société de satellite anglaise, Inmarsat, elle-même très liée aux services de renseignement

Etant donné l’importance de ce dispositif en plein milieu de l’océan Indien, on peut se demander comment cette base, constamment en alerte et disposant des technologies les plus avancées au monde, a pu « égarer » un objet de 63 mètres de longueur, alors que, de l’avis même du patron du renseignement américain, les Etats-Unis sont capables de détecter et d’identifier, à tout moment et à tout endroit, n’importe quel objet de la taille d’un poing. Il est également difficile de concevoir que la perte de cet avion, dans un espace aérien menaçant pour les Etats-Unis, n’ait pas créé, la nuit même de sa disparition, une mobilisation exceptionnelle pour le localiser.

La théorie selon laquelle le vol MH370 aurait été détourné pour être précipité sur la base de Diego Garcia, si elle paraît théoriquement cohérente, se heurte à une objection formulée par un expert, lui-même commandant de bord. Pourquoi choisir un avion partant au nord, alors que d’autres vols de Kuala Lumpur vers l’Europe empruntent une route qui passe à l’ouest, près de Diego Garcia ?
Une dernière hypothèse pourrait impliquer la base américaine, liée à la théorie selon laquelle un incendie mortel se serait déclaré à bord. La route alors suivie par le pilote automatique aurait pu conduire l’avion vers Diego Garcia, faisant croire à une possible attaque, ce qui aurait nécessité de l’abattre.

A ce stade, neuf mois après la tragédie, si aucune hypothèse n’est certaine, il apparaît toutefois de plus en plus évident qu’on a cherché l’avion dans la mauvaise direction, sur les seules indications d’une société de satellite anglaise, Inmarsat, elle-même très liée aux services de renseignement. D’autres indices, comme la soudaine interdiction faite aux familles chinoises de se manifester, laissent penser que la transparence n’est pas privilégiée. La personnalité même de Sarah Bajc, une Américaine qui a pris la tête de la défense des familles de victimes à Kuala Lumpur et qui a elle-même fait sa carrière dans des entreprises impliquées dans le contrôle des avions à distance, comme la société israélienne Tescom, pose plus de questions qu’elle n’en résout.

Certains faits, assez largement minimisés, nous ont conduits aux Maldives, au-dessus de Diego Garcia. Des habitants de l’île de Kudahuvadhoo, à l’extrême sud de l’archipel, y ont fourni des témoignages dont le ministre indonésien des Transports a très vite nié l’existence.

Deux semaines après La disparition, au large des Maldives des adolescents repêchent un extincteur de Boeing. Aussitôt récupéré par l’armée...

Le matin du 9 mars, peu avant 7 heures, des villageois de cette île sans touristes ont vu passer dans le ciel un avion de grande taille, comme ils n’en avaient jamais vu auparavant. Parmi ces témoins, un pêcheur d’une cinquantaine d’années se trouvait dans l’eau jusqu’à la taille. Il a suivi l’avion depuis son arrivée jusqu’à sa disparition dans le ciel, à une altitude qui lui permettait de voir les hublots : « J’ai vu un avion énorme nous survoler à basse altitude. Il faisait beaucoup de bruit. Il a fait un virage au sud-sud-est et il a continué à la même altitude. J’ai vu des stries rouges et bleues sur une couleur blanche. » Aucun des ­témoins ne savait alors qu’un avion avait disparu. Leurs récits ont été recueillis par la police puis l’armée des Maldives, sans suite. L’armée leur a d’ailleurs demandé de ne pas nous parler, mais les habitants de l’île, à quatre heures de la capitale par bateau rapide, n’en ont pas moins continué à témoigner de façon désintéressée. Pourquoi aucun enquêteur officiel n’est-il venu ­recueillir leurs témoignages ? Parce qu’ils convergeaient tous sur le fait que l’avion se dirigeait vers Diego Garcia ? Les témoins de ­Kudahuvadhoo, pêcheurs, informaticien à l’hôpital local, écolier, mère de famille, s’offusquent que le ministre des Transports malaisien ait été jusqu’à dénier leur parole. Autre élément important, l’avion a fait un virage au-dessus de l’île pour s’aligner sur le sud-est, signe que quelqu’un le pilotait, de l’intérieur ou de l’extérieur. Avant de se murer dans le silence, l’armée des ­Maldives a elle-même indiqué qu’aucun avion de ligne suivant une route normale ne pouvait se trouver à l’aplomb de l’île ce matin-là. D’ailleurs, les témoins interrogés nous ont tous confirmé qu’ils n’avaient jamais vu un avion à réaction passer au-dessus d’eux, raison pour laquelle ils s’en étaient inquiétés au point de rapporter leur découverte aux autorités. Autre convergence, l’heure à laquelle l’avion a été vu est l’heure où il aurait dû l’être s’il avait suivi cette trajectoire depuis sa disparition. Il n’en ­demeure pas moins que, si beaucoup d’éléments concordent, rien n’explique que l’avion volait à basse altitude alors que Diego Garcia est à près d’un millier de kilomètres, au sud.

Une autre découverte « sensible », dans ce même archipel, a été ignorée par les investigateurs. Un peu plus de deux ­semaines après la disparition, des adolescents qui pêchaient près des côtes de l’île de Baarah, dans le nord de l’archipel, ont vu flotter un objet étrange qu’ils ont ramené sur la plage. Pensant qu’il pouvait s’agir d’une chose dangereuse, les autorités locales ont alerté l’armée, qui a dépêché une première équipe. Elle a conclu à la non-dangerosité de l’objet, qu’une seconde équipe militaire a ensuite emporté. Selon nos informations, il aurait été confié à Boeing qui n’a, depuis, fait aucun commentaire sur cette trouvaille . Après avoir récupéré les photos prises par le maire de Baarah, nous les avons transmises à un responsable de la maintenance d’une grande compagnie aérienne et à un spécialiste basé à Los Angeles. Tous deux ont conclu à une forte similitude avec un extincteur de Boeing. Un militaire des Maldives nous a également confirmé, sous le sceau du secret, qu’il s’agissait bel et bien d’un extincteur. Qu’il ait pu flotter indique évidemment qu’il était vide, donc déclenché automatiquement lors d’un incendie. Pendant plus de deux semaines, l’objet peut avoir dérivé, en fonction des courants, sur plusieurs centaines de kilomètres.

Le fait que les autorités aient ignoré ces indices laisse penser qu’elles en savent beaucoup plus qu’elles ne veulent bien le dire, comme si aucune nouvelle preuve ni aucun nouveau ­témoignage ne devaient venir perturber le mutisme qui, peu à peu, a recouvert le plus grand mystère à ce jour de l’histoire de l’aviation. Quelqu’un sait, c’est la seule conviction solide qui ­ressort de cette enquête. Conviction partagée par Tim Clark, le président de la compagnie Emirates : « L’avion est resté sous contrôle jusqu’au bout, on ne peut pas se satisfaire des déclarations officielles. » Quelques-uns, quelque part, pensent que la protection de leurs sombres intérêts, stratégiques, militaires ou autres, vaut mieux que l’information des familles des victimes happées par cette tragédie. Il semble désormais que chaque Etat s’en fasse le complice, y compris le nôtre.

« Je n’ai que deux raisons de continuer à vivre : le fils qui me reste et la vérité sur cette tragédie », nous dit Ghyslain Wattrelos. Ce cadre dirigeant des Ciments ­Lafarge, pudique et rigoureux, n’a rien de ces complotistes qui inondent la Toile. Mais il a le sentiment que les moyens mobilisés pour entraver la vérité sont considérables, comme les dizaines de millions de dollars dépensés par l’Australie pour chercher l’épave de l’avion au mauvais endroit. Alors que nombre de médias se sont assoupis, bercés par les déclarations officielles, Ghyslain Wattrelos n’est pas près de baisser les bras. Comme les deux enfants de Jee Jing Hang, passager chinois du vol MH370. A 13 et 14 ans, ils ont décidé de porter plainte contre le gouvernement malaisien et la compagnie qui a failli à sa mission de ramener leur père à Pékin.

Marc Dugain