Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 20 décembre 2016

Procès des 5 gradés de la cellule S3, pointe de l'iceberg d'une affaire P26 ?



Cinq militaires romands sont accusés d’avoir organisé des cours payants durant cinq ans en utilisant les places de tir de l’armée, ses outils et ses munitions.

Cette semaine, le bel hôtel de ville en pierre blanche et jaune d’Yverdon-les-Bains se transforme en tribunal militaire. À l’étage, une quinzaine de vestes en treillis sont suspendues dans le hall glacial et attendent leurs propriétaires affairés dans la salle d’audience. À l’intérieur, certains sont juges, d’autres greffiers, auditeurs ou prévenus mais tous sont gradés et en habit. Le ton y est autoritaire et saccadé. C’est que l’on juge une affaire de cinq militaires romands qui auraient pu «monter une armée secrète». Enfin, dans le fantasme des accusateurs car dans les faits, le lieutenant-colonel et ses quatre complices sont accusés d’avoir détourné des infrastructures, du matériel militaire et volé des munitions pour dispenser des cours de tir à des civils contre rémunération. Ils se sont ainsi enrichis personnellement, sans en référer à ArmaSuisse. L’escroquerie a généré plus de 800 000 francs en cinq ans, entre 2008 et 2013.

Le procès de ce quintet est intenté pour abus de confiance aggravé, dilapidation et abus du matériel militaire. Tout tourne autour du principal accusé, vice-président de l’association des cours de tir, qui est aussi accusé d’escroquerie par métier. L’acte d’accusation est pourtant succinct: il reproche aux militaires d’avoir utilisé les places de tir de l’armée suisse à Lussy, dans le canton de Fribourg et de l’Hongrin, dans le canton de Vaud, sans en payer les frais de location.


Un dossier «emmental»

L’avocat genevois Me Robert Assaël défend l’un des accusés. Dès l’ouverture de l’audience, il s’indigne de cet acte d’accusation qu’il compare à un emmental, car «le dossier est vide et qu’il comporte des trous». «Sa teneur squelettique et lacunaire doit être complétée», exige-t-il en demandant en chœur avec ses quatre confrères le report du procès. Le «manque de preuves et de pièces à conviction» n’a pas raison du choix du président du tribunal, le colonel Stéphane Mérot, qui décide de rejeter le renvoi.

On parle alors de cette association, NDS, qui promouvait de nouvelles techniques de tir de combat en offrant des cours payants sur le terrain de l’armée. Ce qui aurait porté «gravement préjudice aux intérêts financiers de la Confédération», selon l’acte d’accusation. On y a prélevé de la munition militaire en grande quantité. Mais tout reste flou en ce début de procès. Qui étaient les membres qui venaient tirer et pourquoi n’y a-t-il pas eu de contrôles par l’armée? Les prévenus ont-ils falsifié les bons de munition, en affirmant qu’elles étaient tirées alors qu’elles ne l’étaient pas?

Le cerveau présumé de l’opération surnommé «le pape du tir»

Le vice-président de l’association, le lieutenant-colonel B., (qui écrivait ceci en 2012) semble être le cerveau de l’opération. Il fait autorité dans le tir de combat auprès de l’armée suisse et jouit d’une réputation internationale. «Le pape du tir», l’appelle le président du tribunal. «A-t-il usé de son aura, de sa prestance pour vous influencer?», demande le président à ses collaborateurs. Non, tous semblent soudés. L’homme de 53 ans travaille 18 heures par jour, a un cancer et deux divorces à son actif, une collection de deux cents armes, et le respect inaltérable de ses subalternes. Pour le défendre, les accusés le décrivent d’une seule voix: un chef accessible dont le seul point faible est ses affaires administratives.

«Le pape du tir», le lieutenant-colonel Alain Baeriswyl





Le haut gradé, comme ses co-accusés, semble ne pas vraiment comprendre pourquoi il se retrouve sur le banc des accusés. «Un juge d’instruction a cru que c’était l’affaire du siècle», critique encore Me Robert Assaël. «Il s’attaque au gratin de l’armée. Il n’a instruit qu’à charge, voulant décrire une sorte d’armée parallèle, œuvrant à l’insu du haut de la hiérarchie. La réalité est tout autre». La valeur du préjudice réclamée par ArmaSuisse se monte à 67 000 francs par prévenus. Certains de ces militaires de carrière n’ont plus de revenu depuis la découverte de la supercherie. La semaine ne sera pas de trop pour clarifier l’affaire. Le verdict sera rendu vendredi.

Aïna Skjellaug