Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 27 décembre 2016

L'Italie, véritable carrefour de jihadistes


Après quatre jours de cavale, Anis Amri a été abattu dans la banlieue nord de Milan. Ce mardi 27 décembre, la police italienne a diffusé une photo issue des images de vidéo surveillance montrant le terroriste tunisien arriver tranquillement à la gare centrale de la ville vendredi 23 décembre, quelques heures avant de tomber sous les balles des policiers.

Sitôt le jihadiste stoppé dans sa fuite, les regards se sont braqués vers l'Italie où la menace terroriste ne cesse de progresser. "Le pays n'est pas à l'abri du terrorisme comme il l'a cru jusqu'à présent", prévient dans La Stampa le spécialiste Gilles Keppel, expliquant que l'Italie et l'Allemagne "représentent le ventre mou de l'Europe".

Au-delà de la progression de la menace, le rôle de la péninsule dans la circulation des jihadistes sur le territoire européen interroge. Antonello Guerrera, journaliste à La Repubblica, a recensé sur Twitter les terroristes impliqués dans les attentats récents et ayant transité par l'Italie. Et la liste est longue. Salah Abdeslam, Mohamed Lahouaiej Bouhlel (auteur de l'attentat de Nice), Khalid El Bakraoui (l'un des kamikazes des attentats de Bruxelles)... Le point sur les raisons qui ont conduit des jihadistes à se trouver le territoire italien.

La route du jihad

Les cas évoqués par Antonello Guerrera ne se sont pas tous retrouvés en Italie pour les mêmes raisons. Reste que, en toile de fond, se dessinent les différents trajets empruntés par les candidats au jihad. Le 1er août 2015, Salah Abdeslam est contrôlé à Bari à bord d'un ferry reliant l'Italie à la Grèce. Il est accompagné par Ahmed Dahmani, soupçonné d'avoir joué un rôle dans les attentats de Paris (arrêté puis condamné en Turquie depuis). Cinq jours plus tard, Salah Abdeslam revient en Italie, d'où il regagnera Bruxelles en voiture.

Le 23 juillet 2015, c'est Khalid El Bakraoui, kamikaze de la station Malbeek à Bruxelles, qui atterrissait à l'aéroport de Trévise, selon la chaîne italienne Sky TG24 citant l'anti-terrorisme. Le lendemain, il prenait un ferry direction Athènes. Se révèle dans les trajets d'Abdeslam et El Bakraoui le fonctionnement logistique de la nébuleuse franco-belge mise en place autour d'Abdelhmid Abaaoud, coordinateur des attentats du 13 novembre, consistant à faire transiter des jihadistes sur le territoire européen par de multiples trajets pour compliquer la tâche des services de renseignement.

Réfugiés et vieux réseaux milanais

Outre le fonctionnement de la cellule franco-belge, le pays concentre plusieurs caractéristiques qui expliquent la présence de jihadistes sur son territoire. D'un point de vue géographique, sa proximité avec la Libye (ou Daech s'est implanté) l'expose à l'arrivée de jihadistes infiltrés dans le flux des réfugiés qui gagnent ses côtes par bateaux. Par ailleurs, l'Italie est l'un des points de passage pour les migrants fuyant les théâtres syrien et irakien, exposant donc la péninsule à voir des terroristes s'infiltrer parmi les candidats à l'asile (comme ce fut le cas pour les attentats du 13 novembre).

L'hypothèse de l'existence d'une filière syrienne liée à l'arrivée de migrants en Italie a fait récemment l'objet de nombreux commentaires avec les révélations de BFMTV, selon lesquelles l'auteur de l'attentat de Nice se rendait régulièrement en Italie afin d'apporter de la nourriture à des migrants syriens. Le 15 août 2015, au hasard de l'un de ses aller-retours sur la péninsule, il était contrôlé à Vintimille à bord d'un véhicule, en compagnie de trois hommes, dont l'un était soupçonné d'organiser une filière jihadiste depuis l'Italie.

On aurait cependant tort de réduire la présence jihadiste en Italie à sa seule situation de pays de transit. Dès l'émergence du jihadisme global, l'Italie -au même titre que d'autres nations occidentales- était aux premières loges. En 2000, un attentat ciblant le marché de Strasbourg et organisé par la cellule dite "de Francfort" a été démantelé in extremis. Sa base arrière? L'Italie. "La cellule était basée à Francfort, mais était en relation avec la mosquée de la rue Jenner (à Milan ndlr), où les membres du réseau se mêlaient aux fidèles", explique à Libération un parlementaire italien rappelant que c'est grâce à une opération d'envergure menée dans la capitale lombarde que le projet a pu être déjoué.

L'Italie compte aussi son lot de "têtes d'affiche" jihadistes. Moez al-Fezzani, connu aussi sous sa kunya (nom de guerre) "Abu Nassim", a passé plusieurs années à Milan avant d'être expulsé en 2012. Ex-détenu de Guantanamo, il est devenu l'un des responsables de l'EI en Libye (arrêté en novembre au Soudan). Milan a ainsi vu passer plusieurs générations de candidats au jihad, que ce soit pour mener la guerre sainte en Bosnie, en Afghanistan ou plus récemment sur les théâtres irakien et syrien (110 départs recensés pour l'Irak et la Syrie).

"Nous conquerrons Rome"

Dans une vidéo de propagande diffusée le 15 février 2015 par l'Etat islamique en Libye, 21 Égyptiens coptes y sont décapités dans une mise en scène sordide. Dans cette séquence, un jihadiste affirme face caméra que Rome est officiellement désignée parmi les nations occidentales visées par Daech. Avertissement réitéré dans le message de revendication des attentats du 13 novembre, dans lequel l'EI affirme: "nous frapperons l'Amérique, nous conquerrons Rome". Quelques semaines plus tôt, un photomontage publié dans le magazine Dabiq montrait le drapeau noir de l'EI hissé sur le dôme de la basilique Saint-Pierre.

En 2009, un attentat perpétré à Milan par Mohamed Game n'avait fait qu'une seule victime (son auteur). Depuis cette époque, les services italiens sont alerte. "Au cours des quinze dernières années, près de 200 islamistes radicaux ont été expulsés", détaille Libération. Alors, l'Italie est-elle plus exposée que la France en terme de menaces? Toujours dans Libération, un sociologue italien relativise et explique que le contexte italien est différents de celui qui prévaut en France ou en Belgique. "Il n'y a pas de Molenbeek en Italie, La plupart des musulmans sont dans des petites ou des moyennes communes. L'intégration fonctionne plutôt bien, les gens se connaissent. Et le pays a connu par le passé le terrorisme politique. La police en a gardé une expérience, ce qui permet une meilleure connaissance du terrain", explique-t-il.

Un point de vue qui correspond à celui exprimé par le journaliste italien Antonello Guerrera, qui a noté sur Twitter que malgré cette situation préoccupante, 'l'Italie n'a pas de 'banlieues' ou des 'zones islamisées' comme d'autres pays où la vigilance et les contrôles sont plus difficiles". Notons toutefois que l'absence de ces caractéristiques n'a pas épargné les États-Unis d'être durement frappés par Daech.