Alors que Moscou dit qu'il a retiré ses troupes de Syrie, des mercenaires russes témoignent qu'ils ont été recrutés pour combattre Daech.
Les opérations militaires russes sont de moins en moins opaques. Alors que les Occidentaux soupçonnent depuis longtemps la présence de mercenaires russes dans l'est de l'Ukraine, on sait maintenant que certains sont déployés en Syrie pour combattre Daech. C'est ce que révèle une enquête du journal russe indépendant Fontanka , appuyée par des témoignages de mercenaires recueillis par Sky News. Dmitry et Alexander (leurs prénoms ont été modifiés) expliquent avoir été recrutés à prix d'or par une très secrète compagnie militaire privée russe nommée OSM, avant d'être utilisés comme chair à canon en Syrie. Pour 2 750 euros par mois (7 fois le salaire moyen en Russie), ils ont été envoyés combattre les rebelles syriens et les combattants du groupe État islamique.
« C'était quitte ou double, explique Alexander, la plupart des hommes qui y sont allés pour l'argent ne sont jamais revenus. D'autres voulaient combattre les alliés des Américains ou les forces spéciales américaines en personne. Ceux-là avaient déjà de meilleures chances de survie. » Selon Dmitry, plus de cinq cents hommes sont morts sur les champs de bataille, « et personne ne saura jamais ce qu'il en est advenu, c'est le plus effrayant ».
La Russie a l'habitude de camoufler sa présence militaire dans de multiples zones de conflit, dont la Crimée et le Dombass en Ukraine ou encore le Moyen-Orient. Pour Nicolas Hénin, journaliste spécialiste du terrorisme et de l'Europe de l'Est, « Moscou utilise la guerre par procuration » pour ne pas s'impliquer directement dans les conflits. Et malgré de nombreuses enquêtes et preuves tangibles obtenues par des ONG ou des journalistes, Vladimir Poutine a toujours démenti les accusations qui le visaient.
Ancien membre des Spetsnaz et admirateur du IIIe Reich
Mais la Russie joue également un double jeu en interne. Si sa Constitution interdit les organisations militaires privées, celles-ci n'ont pas l'air de s'en inquiéter outre mesure. Il y a peu de temps, les mercenaires du Slavonic Corps s'étaient fait repérer en Syrie et avaient dû rentrer précipitamment en Russie. Dès leur retour, les dirigeants de cette milice avaient été emprisonnés. Dans le cas d'OSM, la situation est tout autre : leur armement est cher (missiles antichars, équipement tactique, etc.) et l'entraînement, très professionnel.
À l'origine de cette milice, le très discret Nikolai Utkin. Selon Fontanka, cet ancien membre des Spetsnaz (forces spéciales russes) et admirateur du IIIe Reich se ferait surnommer Wagner en hommage au compositeur préféré d'Adolf Hitler. Il a notamment fait partie de la campagne désastreuse des Slavonic Corps en Syrie fin 2013. Maintenant âgé de 46 ans, le sulfureux Utkin entraîne ses hommes à Mol'kino, dans le sud de la Russie, directement sur les terrains militaires des forces spéciales nationales.
Sur place, les fraîches recrues apprennent à manier toutes sortes d'armes. Alexander raconte à Sky News que certains hommes n'avaient aucune expérience militaire. « Si la personne n'a jamais servi dans l'armée, elle apprend tout. Elle est intégrée à l'infanterie ; ce sont eux qui servent de poudre à canon par la suite. Si la personne a déjà de l'expérience en artillerie ou en reconnaissance, ses compétences sont exploitées. On t'apprend à te servir de tout l'équipement qu'ils possèdent. » Wagner a recruté des centaines d'hommes en postant des annonces sur VK, l'équivalent russe de Facebook. Selon Fontanka, Sergey Vladimirovich Chupov, 51 ans, ancien militaire mort à Damas en 2013, aurait servi de trait d'union entre Wagner et le gouvernement russe.
Sergey Chupov est un ancien de l'armée russe qui a combattu en Tchétchénie.
© Capture d'écran Fontanka
Pour Nicolas Hénin, cette façon de faire des Russes n'est pas nouvelle. « Tous les grands conflits amènent des volontaires étrangers : l'ex-Yougoslavie ou l'Ukraine notamment. Iraniens, Russes, Kurdes et même des Français sont présents en Syrie et en Irak. Mais Poutine est persuadé que l'Occident a comme plan d'accaparer la Syrie. Or, il souhaite la garder dans son camp coûte que coûte. » Stéphane Mantoux, historien agrégé et connaisseur du conflit, confirme : « Le support militaire apporté par les Russes maintient en vie le régime de Bachar el-Assad. Surtout qu'il y a beaucoup de déserteurs. Pour la Russie, envoyer des milices permet d'accroître sa présence dans une région qui lui est historiquement très liée. »
Missions suicidaires et déni d'existence
Un ou deux mois d'entraînement plus tard, les hommes de Wagner sont déployés dans une base à la frontière syrienne. « Il y avait 564 hommes avec moi », témoigne Alexander. Des Serbes et des Bosniaques font aussi partie du camp. Alexander raconte : « À Palmyre, on était de la chair à canon. Trois hommes ont été envoyés en reconnaissance, ils sont morts avant même d'avoir atteint la ville. Dans ma compagnie, dix-huit sont morts. Les soldats du régime d'Assad sont arrivés à la fin pour terminer le travail, mais c'est nous qui avons quasiment tout fait. » Selon les chiffres officiels, dix-neuf Russes sont morts en Syrie, mais les rescapés d'OSM disent que les victimes se compteraient par centaines.
Des mercenaires de Wagner armés posent en Syrie © Capture d'écran Fontanka
Pour eux, le plus scandaleux est le traitement infligé aux camarades tombés au combat. « Qui va raconter ça ? Même quand les corps sont incinérés, les papiers sont perdus. Parfois, il est marqué que le soldat est mort en Ukraine. De temps en temps, ils mettent même accident de voiture ! » s'insurge Alexander. À force d'insistance auprès d'OSM, Alexander et Dmitry ont été rapatriés à Moscou. Mais lorsque ce dernier a voulu récupérer ses papiers d'identité au camp de base de Mol'kino, un officier lui a expliqué que Wagner « n'a jamais existé ». Pourtant, selon Fontanka, des documents officiels signés par Vladimir Poutine prouvent bien l'existence de la milice. Des combattants de Wagner ont même été décorés de médailles pour leur courage en Syrie. Ils sont désormais une cinquantaine comme Alexander à errer dans les rues de Moscou, sans papiers et traumatisés par la guerre. « Ils nous ont abandonnés », conclut Dmitry.
Les mercenaires de Wagner ont reçu des récompenses après leur retour de Syrie, comme témoigne le site russe Fontanka. © capture d'écran Fontanka
LOUIS CHAHUNEAU