Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 29 juillet 2016

Pourquoi les djihadistes français préfèrent partir de l'aéroport de Genève


Comme Adel Kermiche, les islamistes qui tentent de rejoindre Daech passent souvent par Genève, profitant du manque de coopération franco-suisse.



Mercredi 27 juillet, l'assassinat du père Jacques Hamel dans l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray fait, comme partout, les gros titres de la presse genevoise. Mais pas seulement : un des deux terroristes ayant égorgé le prêtre en pleine messe, Adel Kermiche, accompagné d'un jeune mineur, également de nationalité française, s'était envolé le 12 mai 2015 de l'aéroport de Cointrin, à Genève, pour rejoindre Istanbul. Précédemment, les deux jeunes gens s'étaient arrêtés à la mosquée du Petit Saconnex, appartenant à l'Arabie saoudite. Prévenue trop tard de ce départ, la police suisse alerte aussitôt les autorités françaises.

L'ancien juge antiterroriste Marc Trevidic raconte la suite dans les colonnes de La Tribune de Genève : « J'ai aussitôt faxé un mandat d'arrêt international à Genève et prévenu les autorités turques en leur demandant de renvoyer vers Genève Adel Kermiche Ce qui fut fait. » De retour sur les bords du lac Léman dès le 14 mai 2015, les deux postulants au djihad sont aussitôt interpellés. Après une semaine de détention en Suisse, ils sont extradés vers la France. Dans ce cas précis, la collaboration entre la France, la Suisse et la Turquie a parfaitement fonctionné.
Des islamistes radicaux employés à l'aéroport

Mais ce vendredi 29 juillet, changement radical de ton de La Tribune de Genève, qui titre sur le « Conflit franco-genevois sur la sécurité à Cointrin », ajoutant qu'un incident diplomatique guette la France et Genève. De quoi s'agit-il ? Tout simplement du manque affligeant de coopération entre les deux voisins. Depuis des décennies, les deux pays, pourtant amis, peinent à échanger leurs informations. Les Helvètes reprochent aux Gaulois de vouloir espionner leurs banques. De son côté, Paris a tendance à traiter un peu de haut les services secrets suisses fort démunis (la loi ne les autorise même pas à poser des micros !), et qui comptent à peine plus de 300 agents.

Les apprentis djihadistes ont vite compris que, pour passer entre les mailles du filet, mieux valait privilégier l'aéroport de Genève à ceux de Nice ou de Lyon. Il a d'ailleurs fallu attendre les attentats de novembre 2015 à Paris pour que les services français pensent enfin à prévenir les Genevois qu'ils employaient dans leur aéroport, à des postes sensibles, des islamistes radicaux, domiciliés en Haute-Savoie ou dans l'Ain… À la fin 2015, une trentaine de bagagistes se sont donc vu retirer leur badge d'accès au tarmac de l'aéroport, et ont ainsi perdu leur emploi.
Dans l'attente d'un avis juridique

Mais, depuis, la France ne livre plus à la police genevoise de données personnelles sur ses résidents travaillant en Suisse. Or, le canton accueille près de 100 000 frontaliers. Et beaucoup d'employés de l'aéroport international de Cointrin sont des Français ou des étrangers domiciliés dans l'Hexagone (la piste jouxte la commune de Ferney-Voltaire, dans l'Ain). Le quotidien genevois assure que, le 10 juin 2016, le chef de cabinet du préfet de l'Ain, lors d'une réunion du comité du centre de coopération policière et douanière, « annonce carrément stopper la transmission d'informations, évoquant des raisons juridiques ».

La Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, rattachée au ministère de l'Intérieur, n'aurait pas encore analysé la légalité du partage du contenu du fichier Traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) « sous l'angle de l'accord de Paris signé entre la France et la Suisse en 2007. En attendant sa réponse, tout est suspendu », explique La Tribune de Genève, particulièrement en pointe pour tout ce qui concerne la lutte contre le terrorisme. Les données personnelles, même d'individus potentiellement dangereux, ne doivent pas être transmises aux Suisses.

Ira-t-on jusqu'à l'incident diplomatique entre Berne et Paris ? Le canton de Genève a effectivement saisi au niveau fédéral le département (ministère) de Justice et Police, dirigé par la socialiste Simonetta Sommaruga. Tant que le manque de coopération entre Suisses et Français portait sur des histoires de contraventions (les gendarmes tricolores ne se bousculent pas pour transmettre aux mauvais conducteurs savoyards ou gessiens les PV dressés dans la Cité de Calvin), les conséquences n'étaient pas vraiment dramatiques. Mais aujourd'hui, fini de plaisanter, il est question de terrorisme et de folie djihadiste.

IAN HAMEL