Répondre au terrorisme islamiste en criminalisant l'une de ses idéologies. Telle était la proposition de Nathalie Kosciusko-Morizet lors des questions au gouvernement ce mercredi 20 juillet. À l'Assemblée, la députée Les Républicains a demandé au Premier ministre s'il "n'était pas temps de déclarer le salafisme hors-la-loi."
"Nous sommes prêts à étudier tous les moyens pour réduire l'influence de l'islam politique, avec la plus grande détermination", lui a répondu Manuel Valls, ouvrant ainsi timidement la voie à cette requête. "Oui, le salafisme est une idéologie violente qu'il faut combattre, a-t-il dit en préambule. Elle a détruit et perverti une partie du monde musulman, (...) nous devons protéger tous nos compatriotes musulmans, ou de culture musulmane, qui ont aussi peur et se sentent montrés du doigt".
Minorité agissante, ennemi principal
Le Premier ministre a également rappelé que le salafisme représentait une minorité, estimée à 120 lieux de culte et quelques milliers de fidèles. Mais qu'il s'agissait d'une minorité agissante qui gagne des batailles, avec "des mosquées déstabilisées, des stratégies d'expansion sur Internet".
Le 4 avril dernier, Manuel Valls s'était déjà inquiété de ce courant idéologique qui aurait "gagné la bataille de l'islam en France." "Il y a une forme de minorité agissante, des groupes salafistes, ajoutait-il, qui sont en train de gagner la bataille idéologique et culturelle dans l'islam de France". Elle est désormais désignée comme l'ennemi principal de la lutte contre le terrorisme.
Criminaliser le salafisme, c'est le nouveau cheval de bataille de NKM. Dans un texte publié dans L'Opinion quatre jours après l'attentat de Nice, la députée les Républicains proposait de "rendre le salafisme illégal".
L'idée n'est pas nouvelle
Pour les spécialistes de l'islamisme, le salafisme est l'une des portes d'entrée vers la radicalisation et le passage à l'acte, à travers les attentats. Gilles Kepel évoquait en février "la porosité entre salafisme et djihadisme (...) même si les salafistes affirment ne pas être violents. Culturellement, les djihadistes sont des salafistes".
Sur Le HuffPost en juin 2015, l'essayiste et journaliste Mohamed Sifaoui avait rédigé un texte intitulé "Criminaliser le salafisme et interdire les organisations liées aux Frères musulmans". Selon lui, "si la majorité des musulmans est apaisée et n'aspire qu'à vivre dans la quiétude, les courants, associations et organisations visibles et actifs sont dominés par les deux idéologies en question." Il accuse ces deux pensées d'être à la fois, de manière assumée ou dissimulée "antisémites, homophobes, misogynes, apologétiques de la violence et de la haine dans leurs textes et dans les discours de la plupart de leurs représentants".
Faisable sur le terrain?
C'est bien l'interrogation qui ressort après ces questions au gouvernement. Comment criminaliser une idéologie présente physiquement sur un territoire? Par quel bout la prendre? Expulser les prêcheurs de haine? Cette mesure existe déjà. Si cette idée fait son chemin, sa mise en oeuvre risque de poser de nombreux problèmes pratiques.
En attendant, NKM intensifie le débat politique, en s'emparant d'un sujet souvent délaissé au profit du Front national. Elle est d'habitude moins diserte sur ces questions. Hormis la taxe sur le halal qu'elle avait proposée consécutivement aux attentats de novembre, elle ne s'était pas prononcée publiquement sur d'autres mesures à prendre. L'horreur des attentats de Nice et l'approche de la primaire ont peut-être fait sortir la députée Les Républicains de sa réserve.
Qu'est-ce que le salafisme?
Le salafisme est une lecture idéologisée et politisée de l'islam qui revendique une pratique très rigoriste. L'idée est de revenir à l'islam des ancêtres, qui avait cours au temps du Prophète. Les pratiques en question sont le port de la barbe, la tenue traditionnelle -le kamis, ou djellaba, et la calotte pour les hommes; le niqab, un voile intégral, pour les femmes - et une pratique en cercle fermé de l'islam. L'idée est de "multiplier les jeûnes, les prières, les actions visibles d'adoration de dieu", comme le souligne Samir Amghar, chercheur spécialiste de l'islam contemporain.
L'idéologie a été conceptualisée par l'un des pères fondateurs de l'Arabie saoudite, Mohammed ben Abdelwahhab, et se base sur les lectures d'une seule école juridique musulmane, le hanbalisme, la plus rigoriste selon Antoine Sfeir.
Le salafisme se divise en plusieurs branches. Les deux dont on entend le plus parler en France sont le quiétisme et le jihadisme. Le quiétisme se veut apolitique par essence. En revanche, il se veut très influent en matière religieuse et cherche régulièrement à prendre le contrôle de certaines mosquées. Les quiétistes considèrent que les musulmans ne sont pas prêts pour la guerre sainte, qui ne pourra être déclarée que par l'Arabie Saoudite.
En expansion
Pour l’islamologue Rachid Benzine, "il remet en cause la notion d’égalité homme-femme, prône un isolement du reste de la société, pèse, plus ou moins violemment, sur les autres tendances de l’islam."
Le salafisme jihadiste, ensuite, est le résultat d'une jonction entre le wahhabisme saoudien et le courant dit qutbiste (relatif à Sayyid Qutb), issu de la pensée des Frères musulmans. Il a fait du jihad un élément consubstantiel de l'idéologie islamiste. Il revendique une action armée pour opérer une révolution autour de leur vision de l'islam.
Le salafisme reste difficile à quantifier en France. Un rapport de la DGSI de février 2015 dénombrait 60 lieux de culte sous influence salafiste. Fin 2015, un ancien du ministère de l'Intérieur parlait d'une centaine de mosquées. Manuel Valls a évoqué ce mercredi 20 juillet un rapport récent qui chiffre à 120 les lieux de culte problématiques. L'idéologie est en expansion sur le territoire.
Annabel Benhaiem