Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 21 janvier 2016

La mort de Litvinenko met Londres dans l’embarras


Entre le 31 août et le 16 septembre 1999, cinq attentats meurtriers, attribués à des rebelles tchétchènes, furent commis à Moscou, Bouïnaksk et Volgodonsk. Alors que les forces russes s’apprêtaient à intervenir une nouvelle fois en Tchétchénie, Vladimir Poutine, qui était, à l’époque, le Premier ministre d’un président Eltsine déclinant, lança son fameux « on ira buter (les terroristes) jusque dans les chiottes ». Quelques semaines plus tard, il s’installa au Kremlin, avec l’appui de l’oligarque Boris Berezowski, alors au faîte de sa puissance.

Cependant, la vague d’attentats de septembre 1999 présentèrent quelques zones d’ombres qui n’ont pas été totalement éclaircies à ce jour. Un fait troublant nourrit les soupçons : à Riazan, le 23 septembre, la police locale trouva des explosifs dans un véhicule garé devant un immeuble, avec un détonateur prêt à fonctionner à 5h30 du matin. Selon l’enquête, il s’avéra que des agents du FSB (le service de renseignement intérieur russe, issu d’un ex-directorat du KGB) étaient impliqués… Leur chef soutint alors qu’il s’agissait d’un « exercice pour tester la préparation des forces de l’ordre ». Et, à deux reprises, le Parlement russe rejeta deux motions appelant à une enquête sur cette affaire et décida de mettre au secret tous les documents la concernant pour 75 ans.

Quoi qu’il en soit, plusieurs personnalités exprimèrent leurs doutes sur les auteurs réels des attentats. Comme l’ex-général Alexandre Lebed, ancien candidat à l’élection présidentielle russe de 1996, et éphémère patron du Conseil de la sécurité nationale (*). Le 28 avril 2002, alors qu’il était devenu gouverneur de Kranoïarsk, avec le soutien de Boris Berezowski, son hélicoptère s’écrasa en Sibérie…



Ancien du FSB, un certain Alexander Litvinenko, fervent opposant à Vladimir Poutine, quitta la Russie pour la Turquie, afin de proposer ses services aux Américains. Devant le refus de ces derniers, il se tourna vers les Britanniques, qui, visiblement, le firent intégrer les rangs du MI-6, leur service de renseignement extérieur.

Installé à Londres, Litvinenko continua de dénoncer le pouvoir russe et se rapprocha de Boris Berezowski, également en exil au Royaume-Uni après être tombé en disgrâce auprès de Vladimir Poutine. L’oligarque fut même accusé par le Kremlin d’avoir soutenu les rebelles islamistes du Caucase… ce que l’intéressé s’efforça de démentir (**).

De son exil londonien, Litvinenko se mit à écrire un livre dans lequel il accusait le FSB d’être à l’origine des attentats de 1999. « Blowing up Russia : terror from within », publié avec le soutien financier de Berezowski (qui sera retrouvé mort en mars 2013, la thèse du suicide ayant été retenue), fut interdit en Russie.

Plus tard, Litvinenko s’intéressa aux activités de la mafia russe en Espagne. Il n’eut guère le temps d’aller plus loin. Empoisonné avec du polonium 210 [ndlr, une substance radioactive toxique], il rendit son dernier souffle sur un lit d’hôpital londonien le 23 novembre 2006.

Très vite, Scotland Yard soupçonna deux ressortissants russes d’être à l’origine de l’empoisonnement de Litvinenko : Andreï Lougovoï et Dmitri Kovtoun, deux anciens membres du FSB qu’il avait rencontrés au Millenium Hotel pour boire un thé quelques semaines avant sa mort.

L’affaire provoqua des remous entre Londres et Moscou : devant le refus de la Russie d’extrader les deux principaux suspects, le gouvernement britannique prit la décision d’expulser quatre diplomates russes de son territoire. De son côté, le Kremlin en fit autant et alla jusqu’à interrompre la coopération antiterroriste  et la délivrance de visas aux fonctionnaires d’outre-Manche.

Depuis, on en était resté là… Jusqu’en juillet 2014, avec l’autorisation du gouvernement britannique d’ouvrir une enquête publique sur la mort de Litvinenko. Cette procédure est particulière, outre-Manche, dans la mesure où, à la différence de celles qui sont « classiques », elle permet d’examiner à huis clos des documents sensibles. Pour autant, elle ne peut établir que des faits sans prononcer de condamnations.

Pourtant, en mars 2013, les autorités britanniques avaient refusé d’ouvrir une telle enquête : à l’époque, il s’agissait de ne pas remettre en cause le réchauffement des relations avec Moscou. Mais, l’affaire de la Crimée, du Donbass et du vol MH-17 changèrent la donne…

Cela étant, et sans surprise, les conclusions de cette enquête publique, conduite sous la direction du juge Robert Owen, confirment les soupçons à l’égard d’Andreï Lougovoï et de Dmitri Kovtoun, preuves à l’appui.

« Je suis sûr que les deux hommes ont mis le polonium 210 dans la théière le 1er novembre 2006″, a en effet écrit le juge Owen. Plus exactement, une première dose, plus faible, a été administrée par Litvinenko le 16 octobre.

« Les preuves que je présente établissent clairement la responsabilité de l’État russe dans la mort de Litvinenko », va même jusqu’à affirmer le juge britannique. « L’opération du FSB contre Litvinenko a probablement été approuvée par Nikolaï Patrouchev, (ex-chef du FSB) et aussi par le président Poutine », a-t-il insisté.

Et pour cause : « Le fait que M. Litvinenko ait été empoisonné par du polonium-210 fabriqué dans un réacteur nucléaire suggère que M. Lougovoï et M. Kotvoun agissaient pour le compte d’un État plutôt que d’une organisation criminelle », a affirmé le juge Owen.

Le porte-parole de David Cameron, le Premier ministre britannique, a immédiatement réagi aux conclusions de cette enquête. « Que le meurtre de l’ex-agent du KGB Alexandre Litvinenko ait été autorisé au plus haut niveau de l’Etat russe est extrêmement dérangeant », a-t-il dit. « Ce n’est pas une manière de se comporter, encore moins pour un pays qui est membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU », a-t-il estimé.

Comme l’on pouvait s’y attendre, Moscou a vivement critiqué la procédure britannique en dénonçant son manque de « transparence ». « Nous regrettons que cette enquête purement criminelle ait été transformée en enquête politiquement motivée et qu’elle ait assombri l’atmosphère générale des relations bilatérales », a ainsi fait valoir le ministère russe des Affaires étrangères. L’ambassadeur russe en poste à Londres a même parlé de « provocation grossière ».

En attendant, les résultats de l’enquête du juge Owen mettent le gouvernement britannique dans l’embarras étant donné qu’il semble hésiter à aller au-delà du froncement de sourcils. Downing Street a ainsi fait savoir que d’éventuelles sanctions seraient prises en fonction de « la nécessité de travailler avec la Russie dans la lutte contre l’État iskmaique ». Cependant, la ministre de l’Intérieur, Theresa May, a évoqué un possible gel des avoirs appartenant aux deux suspects.

Aussi, il est peu probable que cette affaire aille plus loin. En outre, il est impensable que Andreï Lugovoï, qui s’est vu attribuer, l’an passé, une médaille pour « service à la patrie », et Dmitri Kovtoun soient extradés et condamnés…

(*) Alexander Lebed : « Le pouvoir veut déstabiliser la Russie » – Le Figaro du 29 septembre 1999

(**) Boris Berezowski : « Je n’ai jamais soutenu les chefs de guerre tchétchènes » – Le Figaro du 22 septembre 1999


L'enquête britannique sur l'affaire Litvinenko est une «blague»

Le ministère russe des Affaires étrangères a réfuté les conclusions du rapport sur la mort par empoisonnement d’Alexandre Litvinenko en 2006, qui accusent la direction du Kremlin, regrettant que le document soit fondé sur les «opinions» des témoins.

«On ne pouvait pas s’attendre à un rapport objectif et impartial à l’issue d’une enquête extrêmement engagée et très opaque qui cherchait dès le début à en venir à la conclusion voulue», a estimé la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova suite à la publication du rapport, en soulignant que son «objectif évident depuis longtemps était de dénigrer la Russie et ses responsables».

La décision sur l’arrêt de l’enquête du coroner et du début de l’«enquête publique», qui permet de ne pas dévoiler les données de l’affaire n'est pas innocente, selon la responsable, qui a ajouté que ce tournant a «coïncidé opportunément avec les événements dans l'est de l’Ukraine».

«Tout [l'examen de l'affaire] se passait en secret. Cette forme originale d'enquête n'est "publique" et "ouverte" ni pour le côté russe, ni pour la société britannique», a remarqué Maria Zakharova.

Les actions de Londres créent un «précédent dangereux» d'utilisation des mécanismes légaux internes aux buts politiques, a en outre noté la porte-parole. Dans le même temps, elle a noté que Moscou regrette qu’une affaire «purement criminelle a été politisée et a ainsi jeté un froid sur les relations russo-britanniques».

Maria Zakharova


De l’avis des principaux protagonistes de l’affaire, Andreï Lougovoï et Dmitri Kovtoun, deux anciens agents du FSB qui réfutent toute implication, le gouvernement britannique se sert de ce scandale à des fins politiques.

«Pour Londres, le "scandale du polonium" est devenu un bon moyen d’atteindre ses objectifs politiques, ce qui est clair depuis le début», a commenté Andreï Lougovoï à TASS.

Le deuxième personnage, Dmitri Kovtoun, en est allé encore plus loin, en mettant en doute la véracité des sources utilisées par les enquêteurs.

«Robert Owen n’a pas pu tirer d'autres conclusions en se basant sur des données falsifiées», a-t-il déclaré à l'agence Interfax.

Alors qu’on constate l’absence de preuves concrètes, le porte-parole du président russe Dmitri Peskov a qualifié l’enquête britannique de blague.

«Ca s'apparente [...] peut être à une blague. Visiblement, on peut relier ça à l'élégant sens de l’humour britannique», a-t-il annoncé aux journalistes, ironisant sur le rapport, «basé sur des informations confidentielles de services secrets non identifiés».

Poutine et la direction russe pointés du doigt

Le président de l’enquête, Robert Owen a estimé que Vladimir Poutine avait «probablement» approuvé une opération de meurtre de Litvinenko, fervent détracteur du Kremlin et  allié du milliardaire russe en exil Boris Berezovski.

Les deux principaux suspects dans cette affaire, Andreï Lougovoï et Dmitri Kovtoun, «ont pu agir sur ordre du FSB», note le rapport de l’enquêteur, qui avance ensuite une implication possible des autorités russes dans l'assassinat. La coopération de Litvinenko avec les services spéciaux britanniques aurait pu être un facteur, souligne Robert Owen.

Robert Owen remarque toutefois qu’il a été impossible de lier l’origine du polonium à Moscou.  «Aucune hypothèse, ni témoignage […] ne me permet de conclure que le polonium a été obtenu en Russie», note le document.

Ce rapport, issu d’une «enquête publique» ouverte officiellement en juillet 2014, souligne que ses conclusions sont fondées sur des opinions de témoins qui «ne pourraient être admises en tant que témoignages», car elles ne sont pas soumises aux règles strictes s’appliquant normalement aux documents judiciaires.

Suite à la publication du rapport, la ministre britannique de l’Intérieur Theresa May a annoncé que le Royaume-Uni entend convoquer l’ambassadeur russe pour lui exprimer son mécontentement sur le «manque de coopération» de la part de la Russie dans le cadre de l’enquête.

L’administration de David Cameron a annoncé qu’était examinée la possibilité de mesures supplémentaires contre la Russie, en qualifiant les conclusions des enquêteurs d’«extrêmement perturbantes».

Une affaire qui garde des parts d’ombre



L’ex-agent russe du FSB (Bureau national de sécurité) Alexandre Litvinenko est mort le 23 novembre 2006 après avoir été empoisonné au polonium-210, un isotope rare et indétectable.


Une enquête du coroner entamée immédiatement après sa mort a pourtant été fermée par le gouvernement britannique en 2014. Contrairement àcette enquête qui oblige les enquêteurs à mettre à disposition les témoignages disponibles à toutes les parties concernées, l’enquête publique qui l’a remplacée permet de tirer des conclusions uniquement à partir des données des services secrets sans les dévoiler pour autant.

Auparavant, le coroner responsable de l’enquête Robert Owen avait refusé d’examiner la piste accusant les responsables russes, vu que le gouvernement britannique avait classifié des preuves cruciales concernant l’affaire. En l’absence de preuves, toute décision en ce sens pourrait s’avérer «incomplète et potentiellement erronée», avait alors déclaré Robert Owen.