Le Guardian a mis la main sur des écrits du groupe terroriste ô combien révélateurs de sa stratégie. Entre gouvernements régionaux, administration et contrôle de l’économie, Daesh a presque tout d’un véritable Etat.
Tout ceux qui s’intéressent à Daesh savent à quel point ces extrémistes sont bien organisés. La dernière trouvaille du Guardian, un document de 24 pages, précise un peu mieux l’étendue du contrôle exercé par les soldats d’Abou Bakr al-Baghdadi sur les régions qu’ils occupent.
De la diplomatie à l’indépendance économique
Écrit l’an dernier, le manuel détaille aussi bien les projets de Daesh en matière d’immobilier que l’établissement de relations avec «l’étranger». On y apprend que l’EI a ses propres ministères, son directeur du trésor et qu’il cherche, notamment par un contrôle centralisé des ressources énergétiques et autres recours financiers, à obtenir une indépendance économique.
Réputé pour sa violence sans limite, le groupe s’intéresse aussi de près aux questions de santé, d’éducation ou encore de chômage. Non vous ne rêvez pas. D’ailleurs, le manifeste aurait été distribué quelques mois seulement après la proclamation du califat le 28 juin 2014. Tout cela pour former «des cadres et administrateurs» capables d’évoluer dans un gouvernement organisé.
Question bataille, Daesh n’est pas en reste. On apprend ainsi que le groupe fait un distinguo entre ses troupes régulières et ses combattants vétérans. Ces derniers, évoluant dans camps d’entraînement différents, ont le droit a une piqûre de rappel chaque année. Le but ? Les instruire au maniement des dernières technologies en matière d’armement mais aussi de stratégie. Dont celles de l’ennemi. On est bien au-delà de ce qu’était capable de faire Al-Qaïda du temps où ils organisaient les attentats du 11 septembre.
Les enfants soldats
Récemment, une terrible vidéo montrant de très jeunes garçons exécuter des prisonniers pour le compte de l’EI a circulé sur le web. Il semble, selon le fameux document, que Daesh a toujours souhaité faire appel à des enfants soldats. Il appelle à «les entraîner à se servir d’armes légères» et «à choisir les meilleurs pour des missions de sécurité incluant la tenue de checkpoints».
Au delà d’une organisation bien huilée, c’est l’indépendance que recherche Daesh. Pour atteindre ce but, l’organisation terroriste veut «ses propres usines d’armement» et «de production alimentaire». Cela passe aussi par réunir étrangers et autochtones sous une culture commune. L’EI ne néglige pas le social.
Si ce document s’est retrouvé dans les mains de journalistes britanniques, c’est grâce au chercheur Aymenn al-Tamini, spécialiste de l’Etat islamique. Il l’a obtenu d’un homme d’affaires en lien avec Daesh.
Carte des zones contrôlées par Daesh en décembre 2015
Selon al-Tamini, qui s’est débrouillé pour mettre le grappin sur des centaines de documents du groupe terroriste au fil des mois, le véritable but de Daesh est celui de bâtir une théocratie : «L’EI est un projet qui vise à gouverner. Ce n’est pas juste à propos d’une bataille sans fin.»
Gen Stanley McChrystal, un ex haut-gradé qui a dirigé les forces luttant contre les djihadistes en Irak entre 2006 et 2008, semble du même avis : «Si c’est un document authentique, alors c’est fascinant et il devrait être lu par tous, surtout par les décideurs occidentaux. Car s’ils voient Daesh comme une simple bande de tueurs psychopathes, il se pourrait que nous les sous-estimions dramatiquement.»
Charlie Winter, chercheur à l’Université de Géorgie, voit en ce document la preuve de la capacité de préméditation de l’EI : «Très loin d’être une armée de fanatiques sanguinaires irrationnels, Daesh est une organisation très complexe avec un profond calcul politique. Derrière elle, il y a une infrastructure très bien organisée.»
La place des pays sunnites dans le combat contre l’EI
Pour le lieutenant Gen Graeme Lamb, ancien chef des forces spéciales britanniques, la vision de Daesh est un avertissement contre la stratégie militaire actuelle. A force de répéter qu’ils sont les seuls représentants légitimes des musulmans sunnites dans la région et de voir certains pays arabes, monarchies du Golfe en tête, prendre si peu d’importance au sein de la lutte contre l’EI, «il y a un risque de faire grandir le monstre».
Gen Graeme Lamb s’inquiète : «Le combat doit être mené par les pouvoirs sunnites et les nombreuses tribus à travers la région, avec un appui de l’Occident et des autres factions religieuses du Moyen-Orient. Aujourd’hui ce n’est pas le cas. Voici pourquoi nous risquons l’échec.»