Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 27 juin 2015

Attentat en Isère : "Le renseignement ne peut pas empêcher une telle action"


Les services de renseignements sont-ils impuissants à éviter les attentats ? Comme Merah ou les frères Kouachi, l'auteur présumé de l'attentat en Isère a été à plusieurs reprises dans les radars des services de renseignements français. Un constat qui souligne la complexité du travail de ces policiers, débordés depuis des mois.

"J'espère que pour une fois on n'évoquera pas la faille des services de renseignements français", tente un commissaire parisien, ex du renseignement. Rien n'est moins sûr. Dès 2006, l'auteur présumé de l'attentat de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), Yassine Salhi, qui a décapité un cadre de son entreprise, avait fait l'objet d'une fiche S (pour sûreté de l'État), en raison de sa "radicalisation" et de ses "liens avec la mouvance salafiste", abandonnée en 2008, a expliqué le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Mais comme l'a précisé le procureur de Paris François Molins, ce n'est pas la seule période durant laquelle les lumières du renseignement se sont allumées. Après 2008, il a attiré "ponctuellement" l'attention des services entre 2011 et 2014, a priori ceux du renseignement territorial (les ex-RG), pour ses liens "avec la mouvance salafiste lyonnaise".




Un profil radicalisé

Son profil radicalisé n'avait donc pas échappé aux autorités, et ce, pendant des années. "Cela veut d'abord dire aussi que les services bossent, et plutôt bien. Après, une fois qu'on a une lumière qui s'allume, on travaille dessus, mais s'il n'y a plus rien, il est logique à un moment de l'abandonner", explique un haut fonctionnaire. Seulement, si l'on énumère les derniers auteurs d'attentats en France, Sid Ahmed Ghlam (dont l'attaque d'une église à Villejuif a été évitée), Mohamed Merah, les frères Kouachi, Amedy Coulibaly, et maintenant Yassine Salhi : tous sont passés à l'acte, tous avaient été repérés un jour par le renseignement.

Des agents dormants

"Chaque fois, aucun élément n'avait permis de prédire un tel passage à l'acte", rappelle une source policière proche des services de renseignements. C'est bien là la difficulté du travail de ces policiers, qui doivent décider un jour de débrancher, d'abandonner le suivi d'un homme qui peut potentiellement passer à l'acte des années plus tard.

"La vraie problématique, ce sont ces profils dormants, il est presque impossible de les déceler. Quand on estime que certains ne méritent pas un suivi, on ne le fait pas au hasard", défend cette source. "Nous n'avons pas les moyens humains de suivre tout le monde, nous le disons depuis des lustres", s'énerve un commissaire parisien. Cela n'empêche pas les services d'obtenir des résultats : cinq attentats déjoués en France depuis le début de l'année, avait affirmé le Premier ministre, Manuel Valls, en avril.

1 500 djihadistes français

La loi controversée sur le renseignement, adoptée mercredi au Parlement, est censée aider ces services, débordés depuis des mois, en leur offrant un cadre plus souple et de nouveaux moyens d'action (balises, écoutes, boîtes noires pour surveiller Internet).

La France est le premier pays européen pour le nombre de ses ressortissants présents dans les zones tenues par l'EI, avec 1 500 djihadistes en Irak et en Syrie, "dont certains reviennent, et qu'il faut absolument suivre", rappelle une source policière. Mais "comme le montre cette nouvelle affaire, il n'y a pas qu'eux qu'il faut suivre. Le suspect ne revenait pas d'Irak" a priori, pointe un haut fonctionnaire sous le couvert de l'anonymat.

Les renforts humains annoncés par Bernard Cazeneuve pour la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, ex-DCRI) en octobre 2014 ne sont pas tous arrivés, ni tous encore formés. "De toute façon, le renseignement ne peut pas empêcher une telle action. Même en mettant quatre flics derrière tous ceux que l'on peut estimer capables de passer à l'acte, ce qui est impossible", lâche, fataliste, ce commissaire parisien.

Yassin Salhi

En médaillon, arrestation de Yassin Salhi (à terre) par un pompier et les gendarmes

Né à Pontarlier, près de la frontière suisse, il y a 35 ans d'un père d'origine algérienne et d'une mère d'origine marocaine, Yassin Salhi y avait été repéré par les services spécialisés dès les années 2005-2006, car il fréquentait un groupe de personnes adeptes de l'islam radical, sans pour autant faire de prosélytisme, a expliqué à l'AFP une source proche de l'enquête.

Selon le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, il était «en lien avec la mouvance salafiste». Installé depuis quelques mois à Saint-Priest, dans la banlieue de Lyon, il avait trouvé du travail dans une société de transports. Il «fait de la livraison (...) livre des cartons, des commandes, des choses comme ça», a expliqué son épouse à la radio Europe 1, avant d'être elle-même interpellée vendredi. «On est des musulmans normaux, on fait le ramadan. Normal. On a trois enfants, une vie de famille normale», a-t-elle résumé, disant ne pas comprendre pourquoi son mari aurait commis cet attentat.

«Il m'avait déjà parlé de Daesh»

«C'était un loup déguisé en agneau», a jugé un collègue de travail interrogé par RTL, Abdel Karim. «Il m'avait déjà parlé de Daesh, pas pour m'embrigader dans quoi que ce soit mais simplement pour me demander mon avis. Quand je lui ai dit ce que je pensais, à partir de ce jour-là, c'était Bonjour-Au revoir ». Selon ce collègue, «c'était quelqu'un de mystérieux, mais quelqu'un de très calme à la fois. Ce n'était pas quelqu'un qui venait imposer son discours... il était dans son coin. Quand on parlait avec lui, il répondait avec gentillesse».

Yassin Salhi «était un gamin calme, ce n'était pas un nerveux», confirme le président de la mosquée de sa ville natale de Pontarlier, Nacer Benyahia. «C'était un plaisir de l'avoir à la mosquée, il était agréable», se souvient M. Benyahia, «très choqué» par l'attentat. D'après lui, Yassin Salhi était encore un adolescent lorsqu'il a perdu son père. Sa mère «a vendu leur maison de Pontarlier avant de partir», mais l'imam ne sait pas vers quelle destination. «Il était seul, c'était probablement la cible idéale pour les radicaux qui choisissent leur proie», estime le responsable religieux. 

Djellaba et barbe 
 
Le jeune homme a ensuite quitté Pontarlier pour Besançon, distante d'une soixantaine de kilomètres, où il s'installe avec son épouse et ses enfants. En 2013, il y est à nouveau repéré par les services spécialisés pour sa fréquentation d'individus soupçonnés d'être liés à l'islam radical. Il porte la djellaba et la barbe, ce qui laisse penser qu'il est proche des milieux salafistes, comme d'autres jeunes du secteur. Mais il n'a pas d'activité malveillante et ne fait pas parler de lui en dehors de son apparence vestimentaire, selon une source proche de l'enquête.

Puis fin 2014, Yassin Salhi quitte la région avec sa famille pour s'installer à Saint-Priest, dans un appartement situé au premier étage d'un petit immeuble social.

Une famille «discrète» 
 
Les voisins, interrogés vendredi par l'AFP, décrivent une «famille discrète» menant une vie tranquille. «Leurs enfants jouent avec les miens, ils sont tout à fait normaux et câlins», note ainsi une femme, qui tient à garder l'anonymat. «Il ne parlait à personne. On se disait juste bonjour-bonsoir », raconte un autre voisin, pour qui le suspect ne se distinguait pas non plus par sa tenue. «Il avait juste une petite barbe», selon lui.

Un jeune présent sur place affirme n'avoir «jamais vu» Yassin Salhi à la mosquée de Saint-Priest. Selon Bernard Cazeneuve, l'homme a été fiché (fiche S) de 2006 à 2008 et il n'avait pas de casier judiciaire.

Hommage à Hervé Cornara 

Il était très apprécié de ses proches qui le décrivait comme un homme de dialogue et très respectueux. 

La victime du terroriste présumé était le directeur commercial d'une entreprise de transport basée à Chassieu (Rhône) 


Hervé Cornara était un "enfant du quartier", qui "se donnait à fond dans tout", sur les hauteurs de Fontaines-sur-Saône dans le Rhône. Ses voisins saluent, émus, la mémoire de ce chef d'entreprise. "C'est un mec formidable", soupire, sans arriver à parler de lui au passé, Fernand Rodriguez, secrétaire de l'association des locataires du quartier des Marronniers, que présidait Hervé Cornara.

Ensemble, et surtout sous l'impulsion d'Hervé, ils avaient relancé l'association des locataires il y a 15 ans : "Il se battait avec l'Opac lorsque le chauffage ne marchait pas ; il s'est impliqué pour garder la poste ; il voulait organiser un grand barbecue ces jours-ci..." énumère son ami Fernand.

Père de famille

Âgé de 54 ans, marié et père d'un jeune homme aujourd'hui âgé de 22 ans, ce chef d'entreprise était resté fidèle, malgré ses succès, à ce morceau de ville où il a grandi. Il était très actif dans ce quartier situé sur les hauteurs de Fontaines-sur-Saône, composé de barres HLM de quatre étages, d'une grande tour, d'une crèche, d'une clinique vétérinaire et d'un coquet jardin partagé. Sa maman, 87 ans, habite toujours dans la tour en face. "Il travaillait beaucoup, surtout depuis qu'il avait sa deuxième société à Chassieu, on se disait que ça lui ferait trop", ajoute Fernand Rodriguez, tandis que son épouse baisse la tête et sanglote, dans leur appartement du premier étage de la même barre d'immeuble que la victime.

L'enfant du pays avait quitté un temps la région avant d'y revenir pour créer une petite entreprise de transport. Les affaires marchant correctement, il s'était récemment agrandi et avait racheté des locaux à Chassieu, ainsi que l'entreprise de transport Colicom. "C'était un mec vraiment sympa, je le voyais souvent. Son garage est à côté du mien. Il était dans le transport de différents produits, comme des vêtements, des pièces auto. Il avait dû prendre il y a quatre mois un dépôt pour s'agrandir", confirme Hamid, un autre voisin.

Dans le quartier, quelles que soient les générations, tout le monde semblait le connaître. Promenant son chien, Pascal Servino dit avoir "grandi avec lui" aux Marronniers. "Hervé était parti un temps en Martinique, et il était revenu. C'était un homme affectueux, généreux. Il était strict sur le quartier : dès que quelque chose n'allait pas, il se mobilisait pour résoudre les problèmes. Il va nous manquer."


Egger Ph.