L'État islamique s'est entièrement emparé de la ville syrienne de Palmyre ce jeudi 21 mai, connue pour ses inestimables ruines antiques qui se revendent à prix d'or sur le marché noir.
Les djihadistes se trouvent aujourd'hui à seulement un kilomètre du site archéologique de Palmyre. Doit-on de nouveau s'attendre aux destructions systématiques d'objets d'art comme au musée de Mossoul ou à Hatra ? Sur quelles justifications religieuses s'appuient-elles ?
Fabrice Balanche : Si l’Etat islamique s’empare de Palmyre, le musée et le site archéologique seront détruits tout comme cela est arrivé en Irak. Daech considère que tout ce qui existait avant la venue de l’Islam doit être éliminé, car cela appartient à des temps "barbares" ("al jahylya" en arabe). Lorsque Mahomet est entré dans la Mecque en 632, il a commencé par détruire les idoles qui se trouvaient dans la Kaaba.
L'Etat islamique ne fait que reproduire cet épisode. Mais il n’est pas le seul, de tout temps les Eglises furent transformées en Mosquée et les monuments hérités des périodes pré-islamiques éliminés. On se souvient de mars 2001, lorsque les Talibans avaient détruit à coups de canon les bouddhas de Bamiyan, en Afghanistan.
Un des portes-parole de l'EI a récemment déclaré que l'organisation n'était pas intéressée pas les "millions de dollars" que ces antiquités pouvaient générer à son bénéfice. Difficile à croire cependant, Daech ayant besoin d'argent pour faire fonctionner son "califat". Les statues présentes dans les vidéos sont énormes, donc seraient difficiles à écouler sur le marché noir, mais qu'en est-il du trafic d'objets plus discrets ?
L'Etat islamique vend du pétrole et laisse des intermédiaires commercer avec ses ennemis. L’organisation terroriste a besoin d’argent pour payer ses troupes et ses cadres n’agissent pas tous dans un but idéologique. Dans toute prise d’otage, il existe toujours une question d’argent, tout comme dans la main mise sur les richesses archéologiques. Les pièces les plus importantes et les plus connues ne peuvent pas être vendues, en revanche le petit matériel : monnaies, mosaïques, statuettes, tablettes, etc. sont facilement négociables sur le marché parallèle. La Turquie est devenue la plaque tournante d’un vaste trafic d’œuvre d’art en provenance de Syrie et d’Irak. Il n'y a pas que Daech qui se livre à cetrafic, toutes les organisations rebelles vendent les richesses archéologiques de Syrie. Dans les années 1980, ce trafic, via le Liban, était l’apanage de Rifaat el-Assad, l’oncle de Bachar el-Assad, réfugié en France depuis 1984.
A chaque fois qu'il y a des destructions de telles antiquités, l'Etat islamique les met en scène à grand renfort de vidéos incluant un tournage digne d'un film d'action accompagné de psalmodies religieuses. Quel effet Daech cherche-t-il à produire avec ces images ?
En quoi peuvent-elles convaincre certaines personnes à adhérer à la thèse de l'EI ?
Dès que le groupe terroriste touche à du patrimoine archéologique, les élites intellectuelles et les médias s’émeuvent. C’est donc un excellent moyen d’avoir de la publicité à bon compte. Il faut comprendre que Daech, tout comme les autres mouvements jihadistes, ont un fonctionnement fasciste : "lorsque j’entends parler de culture, je sors mon revolver", disait un dignitaire nazi. C’est exactement la même chose pour Al Baghdadi, il n’y a d’autre culture que celle véhiculée par une lecture fondamentaliste du Coran. Cela convient parfaitement à ses recrues qui nourrissent une haine pour la culture et la connaissance en général. Car ce sont les symboles d’une société dans laquelle ils n’ont pas leur place.
Les vidéos s’inscrivent donc dans la campagne de recrutement de l’organisation terroriste. C’est un moyen de promouvoir sa conception de l’Islam : frustre, radicale et exclusive. En touchant au patrimoine de l’humanité en toute impunité, ils renforcent leur conviction qu’ils sont dans le "droit chemin" (selon l'expression arabe "al tariq al moustaqim").
La destruction des antiquités pré-islamiques par Daech choque profondément les opinions occidentales. Mais finalement n'occulte-t-elle pas celle d'autres destructions de monuments plus récents comme des mosquées, des églises, ou des temples yézidis, qui sont entreprises à grande échelle en Irak et en Syrie ?
Les opinions occidentales se passionnent peu pour les monuments religieux des minorités. L’Eglise arménienne des quarante martyrs d’Alep, un monument vieux de cinq siècles, a été détruite la semaine dernière. La cathédrale maronite d’Alep s’est effondrée sous les tirs des rebelles en avril. En Irak, les mosquées chiites sont rasées par Daech dans l’indifférence générale.
Les opinions occidentales ne comprennent pas que, par certains aspects, nous sommes dans une guerre de religion au Proche-Orient. Les lieux de culte de l’adversaire sont donc des cibles privilégiées des groupes fondamentalistes.
Le fait que nous vivions dans une société sécularisée ne permet sans doute pas de comprendre les véritables enjeux des conflits au Proche-Orient. Dénoncer la destruction d’une Eglise en Syrie par les rebelles, c’est prendre le risque d’être taxé de "croisé" voire d’islamophobe. La défense du patrimoine antique est plus neutre.
Fabrice Balanche
maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient